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Eric Vauthier, propriétaire du Virtual Palace à Bruxelles

Publié le 24/06/2022 par David Hainaut et Vinnie Ky-Maka / Catégorie: Entrevue

« Il faut recréer des lieux de cinéma à taille humaine! »

Expert des salles de cinéma dont il a dressé l'inventaire au début des années nonante, Eric Vauthier est aujourd'hui le propriétaire du Virtual Palace qui, à Bruxelles, fut le siège belge de la société Gaumont entre 1946 et 1994. Réputé visionnaire, ce passionné ambitionne de développer son lieu pour en faire une maison dédiée au 7e art.
Rencontre avec un personnage volubile, qui espère ainsi créer un espace de convivialité et un endroit unique dans la capitale.
L'hiver dernier, son (vaste) établissement a accueilli le tournage d'un futur long-métrage français,
La Maison, d'Anissa Bonnefont.

Cinergie : Le Virtual Palace aujourd'hui, qu'est-ce que c'est ?

Eric Vauthier : Ayant la chance de posséder ce lieu construit en 1860 et qui a traversé l'histoire du cinéma, j'aimerais, après mon long parcours dans l'exploitation de salles et dans le patrimoine, en faire une maison du cinéma du 21e siècle. Je l'ai depuis 1994, et après y avoir installé la première champagnothèque de Bruxelles, je voudrais lui consacrer du temps pour le faire vivre autrement. L'idée, c'est qu'autour d'un bar, on aurait un endroit intégrant tous les outils de diffusion. Ce serait un outil du 7e art sans équivalent à Bruxelles.

 

C. : Et les choses se présentent bien ?

E.V. : Un architecte, Philibert de Viron, m'accompagne dans la réflexion. Comme avec Gaumont, il y a déjà eu ici par le passé une dynamique de cinéma, de tournages, de décors et de réceptions, on peut aller plus loin. Avec, par exemple, la création d'un cinéma privé dans l'écurie d'époque qui se trouve à l'arrière du bâtiment. Et à l'heure où l'on s'interroge sur la façon de montrer un film et dans quel environnement, le streaming m'intéresse aussi. On peut imaginer des avant-premières de séries ou de films de plateformes, dans de petits salons. Exactement comme l'a fait la célèbre société française MK2 à Paris pendant le Covid, avec son Hotel Paradiso, avec 35 écrans de trois mètres dans chaque chambre, dans un décor digne d'Alphaville de Godard ! Parce qu'en fait, on est en train de revenir aux prémices du cinéma, quand celui-ci était un objet de démonstration et de curiosité. Le tout est de le mêler aux techniques de visionnement les plus modernes.

 

C. : Le cinéma, autrefois un objet de curiosité, dites-vous. Mais pour le spécialiste que vous êtes, que représente-t-il, de nos jours ?

E.V. :  C'est simple, la salle de cinéma n'est plus le "centre". Actuellement, le centre économique, ce sont les plateformes de streaming. La salle doit donc continuer sa réinvention et les grands complexes de vingt-cinq salles pourraient bien être en fin de vie. On ne s'en rend pas encore bien compte, mais avec le coronavirus, le marché mondial des cinémas privés a complètement explosé ! Aujourd'hui, on en est donc là : (re)créer des lieux de cinéma à taille humaine, mais avec des conditions techniques irréprochables. Et c'est dans cette direction que je veux aller...

 

C. : En mai, après avoir reçu leur prix cannois, les frères Dardenne ont clamé qu'il fallait absolument (re)développer le parc de salles en Belgique, souvent jugé insuffisant. Votre avis, là-dessus ?

E.V. : Moi je trouve qu'il est déjà riche. J'ai récemment visité le Quai 10 à Charleroi, qui est très réussi. En regardant ce qui se fait à Namur, Liège et dans d'autres grandes villes belges, on a quand même une infrastructure de diffusion d'Art et Essai de qualité. Sans parler des réseaux Kinépolis et UGC. C'est surtout la fréquentation qui est à la peine ! Il suffit de compter le nombre de personnes présentes dans la salle du dernier film que vous avez vu pour le constater. Parfois 8, 10 ou 12 personnes ! Alors oui, on pourrait encore construire des salles, mais avant de voir cette crise de la salle de cinéma, il y a d'abord la crise du... spectateur. Avec la démocratisation des outils de visionnement à domicile, les gens se sont détournés de la salle, et pour la première fois de l'histoire ! Or, la base du spectacle ciné, c'est justement le spectateur...

 

C: ...qui en Belgique et plus qu'ailleurs, se trouve trop souvent éloigné de son cinéma le plus proche. Le retour vers de petits cinémas de quartier et de proximité, notamment dans de plus petites villes, vous y croyez ?

E.V.:  C'est vrai que derrière les grandes villes dont j'ai parlé, il y a un manque. Un petit cinéma qui ouvrirait en faisant des avant-premières de film en streaming par exemple, ça aurait tout son sens, en marge de la revitalisation d'un quartier. On a parfois des surprises, d'ailleurs : en allant il n'y a pas longtemps à un concert dans un village de la province du Luxembourg, j'ai découvert par hasard un centre culturel diffusant du cinéma, financé par une ... cimenterie locale ! Or, qui connaît cet endroit ? Mais je trouve aussi que le spectateur doit être plus curieux. Moi, je vis à Saint-Gilles, mais je n'hésite pas à faire quinze kilomètres pour aller au Stockel de Woluwé-Saint-Pierre, qui reste une expérience unique et hors du temps, un peu comme à Waremme avec le cinéma Les Variétés. Et c'est pareil à Rixensart avec le Ciné Centre ou à Jodoigne avec le cinéma L'Étoile. Avec des places à seulement sept euros. Je le dis, car un prix abordable pour tous et toutes, c'est crucial.

 

C: Et vous pensez que ces initiatives peuvent faire des émules ?

E.V. : Oui, car toutes les études démontrent que c'est possible. Avec de la motivation et quelques aides, on peut voir loin. À Bruxelles, la Région a racheté le mythique cinéma Movy à Forest en vue de le rouvrir. J'y ai servi de conseiller, et François Ozon a déjà songé exploiter le cinéma pour un film. Mais pas mal de cinémas doivent repenser leur confort. J'ajoute qu'on a quand même parfois des salles désagréables, alors que le décorum reste lui aussi fondamental. Aussi, des repéreurs de cinéma m'ont montré il y a peu une salle totalement inconnue à Charleroi, dans la maison communale, avec un décor incroyable. Et des lieux comme ça, il doit y en avoir beaucoup ! Le Kinograph à Ixelles fait depuis trois ans un travail fantastique, en ayant récupéré une ancienne salle de gendarmerie. Et le Cinematic, hyper confortable, vient d'ouvrir sur le site de Tour & Taxis! Mais encore une fois, les gens doivent être plus audacieux et sortir de leur confort. Comme dit si bien Martin Scorsese, «Si vous avez aimé le cinéma, transmettez votre passion !»

 

C: Pour revenir et conclure sur votre Virtual Palace, celui-ci a donc récemment accueilli un tournage assez important...

E.V. : En Belgique, grâce au Tax-Shelter, on fait trois cents films par an. Le pays est très dynamique, et parcouru en permanence par des repéreurs. Ceux-ci me contactent donc parfois pour placer ce lieu dans un décor de clip, de publicité, de film, comme récemment, un projet de Bouli Lanners. Et en effet, le Virtual Palace, a été choisi pour devenir le décor principal d'une maison close berlinoise, pour le film La Maison d'Annisa Bonnefont (NDLR: avec Ana Girardot, Aure Atika et Rossy de Palma), ce qui a nécessité pas mal de transformations. J'aimerais d'ailleurs proposer le visionnement de ce film quand il sortira. Pour les journées du patrimoine en septembre, on diffusera ici Kinshasa Now de Marc-Henri Wajnberg avec des casques en réalité virtuelle. On a aussi un green key (NDLR: décor numérique sur fond vert) et absolument tout ce qu'il faut pour centraliser un tournage, même de court-métrage. Il y a tout pour éclairer ou suspendre des perches, une cuisine même, etc... Et cela peut tout à fait se louer à la journée !

 

www.beaubbles.be

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