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Du côté de l’ESRA Bruxelles

Publié le 02/09/2020 par Katia Bayer, Constance Pasquier et Oscar Medina / Catégorie: Entrevue

Moins connue que d’autres formations, l’ESRA est une jeune école de cinéma privée, apparue à Bruxelles il y a 5 ans. Elle fait partie du groupe ESRA fondé en 1972 par Max Azoulay, composé aussi des campus de Paris, Rennes et Nice. Installée rue du Beau Site, à quelques mètres de la rue du Bailli, l’école bruxelloise accueille des étudiants en réalisation, image, montage et son. De nombreux professionnels y donnent cours, de Jean-Jacques Rausin à Guillaume Senez en passant par Diana Elbaum, Olivier Magis ou encore Jean-Paul de Zaetijd. Cet été, pendant le mois de juillet, on s’est rendu à l’ESRA pour rencontrer Ariane Stassar, la directrice de l’école et Emilie Montagner, chef opératrice et professeure, afin de parler de transmission, de métier et de clés pour la suite. Sur place, on a également fait la connaissance d’étudiants contents de retourner à l’école mais aussi d’un petit groupe de 4 jeunes âgés entre 15 et 18 ans effectuant un stage d’analyse de films.

Les stagiaires sont rassemblés devant un ordinateur. C’est la deuxième fois que Maxime, 17 ans, vient à l’ESRA. Il souhaite tenter l’examen d’entrée à l’IAD à la rentrée en montage-scripte et doit pour cela s’y connaître en analyse filmique. Pour lui, le montage permet de “transformer quelque chose de mauvais en bon et d’ajouter sa touche personnelle au film”. Ce qui l’intéresse aussi, c’est la critique parce que c’est “quelque chose d’essentiel. On ne peut pas regarder un film sans voir ce qu’il y a derrière, sans comprendre le message, la manière dont le projet a été filmé”. De son côté, Avril, elle a 18 ans. À l’heure difficile des choix, elle ne sait pas encore si elle a envie de travailler dans le cinéma mais pour l’instant, c’est quelque chose qui lui plaît. Comme Maxime, le montage l’intéresse car ça “permet de rassembler plusieurs choses comme les images et la musique et de créer un résultat final”. Ces derniers mois, désœuvrée, elle a réalisé un petit film autour du confinement. Quand elle a voulu assembler le texte, les images et la musique, elle s’est rendu compte que le montage était mauvais. Pour “faire ça mieux”, elle a commencé à se familiariser avec l’idée d’études en montage et à regarder des courts-métrages d’écoles qui l’intéressait. 

 

Maxime et Avril ne sont pas les seuls jeunes gens présents ce jour-là à l’école. Victor et Justine sont venus à l’ESRA pour avancer sur leurs projets respectifs. Depuis le déconfinement, c’est l’un des premiers jours où l’école accueille à nouveau les élèves, les derniers mois s’étant plutôt déroulés en mode “Zoom”. Victor a 22 ans, il est étudiant en troisième année en section image et nourrit une passion pour la photo. À travers différentes expériences de tournage, il s’intéresse au travail autour de la lumière, se familiarise avec les techniques et le matériel disponible à l’école. Comment voit-il l’avenir ? Il aimerait se confronter à la pratique en multipliant les tournages et en essayant de se faire des contacts mais il est réaliste : “C’est compliqué car il faut identifier des gens et des stages accessibles”. En attendant, il travaille sur ses propres projets, écrit et aimerait passer à la réalisation un jour.

 

Justine a 20 ans. Elle est également en troisième année mais en option son audiovisuel. Aujourd’hui, elle travaille sur deux projets, l’un de l’école, l’autre de l’extérieur. Le son l’intéresse car “il nous fait ressentir des choses qu’on ne percevrait pas forcément. Le son nous porte et nous conduit dans des univers totalement différents que si on se contentait seulement de l’image. Devant certains films, on peut fermer les yeux et se laisser porter par la musique sans avoir besoin de l’image”.

 

On s’entretient avec Emilie Montagner, chef opératrice et professeur de découpage technique et de storyboard. Elle travaille avec les étudiants de première et deuxième année. Comme chaque été, c’est elle qui encadre aussi, le temps d’une semaine, les jeunes stagiaires désireux d’apprendre les bases d’une école de cinéma. Cette fois-ci, le module choisi s’articule autour de l’analyse filmique. Explication : “À la base, les jeunes gens qui participent à cette semaine sont cinéphiles, ils savent qu’ils veulent faire du cinéma, mais ils ne connaissent pas encore les ficelles, ils ne savent pas comment ça fonctionne. On commence par l’analyse mais ils doivent aussi comprendre ce que veut dire porter physiquement un film. Il faut qu’ils se mettent à la place de l’équipe technique pour intégrer comment le film a été réalisé et mis en scène”. 

 

Emilie MontagnerDécomposer le mouvement, découper la séquence en plans, reproduire une simple scène permet aux stagiaires d’assimiler cette notion d’effort. Emilie, encore : “Les élèves se rendent compte que c’est un défi en soi, ils voient le temps que ça prend. C’est intéressant de les confronter à ça car on a commencé la semaine en décortiquant American Beauty qui est ultra maîtrisé, où tout a du sens, où tout est précis et délicieux et où l’analyse permet de comprendre l’intention du réalisateur. Ils se rendent compte qu’ils ne peuvent pas faire du American Beauty tout de suite parce qu’il leur faut apprendre à maîtriser les bases, cette grammaire cinématographique. Après, quand ils auront pu s’approprier toute cette matière, cette théorie et ces bases, ils pourront casser les règles, être créatif, révolutionner le cinéma. Ils ont besoin de temps pour acquérir cette assurance, cette confiance en eux pour pouvoir casser ces codes et réinventer le cinéma de façon propre. Nous aussi, en tant que professionnels, on apprend toute notre vie. On apprend aux étudiants aussi à être un peu humbles par rapport à leurs apprentissages. On ne devient pas réalisateur ou chef opérateur en un an, peut-être même pas en trois ans. La chef opératrice que je suis aujourd’hui n’est pas uniquement celle que j’étais à la sortie de mes études. Je me suis nourrie de mes expériences professionnelles, du monde qui m’entoure, …”. 

 

Quels autres conseils leur délivre-t-elle ? 

“Je leur dis de ne pas avoir peur de sortir de leur zone de confort, de ne pas consommer que du cinéma parce que toutes les expériences vont étoffer leur esprit critique. Il faut rester ouvert. Aujourd’hui, je suis votre professeur. Dans trois ou quatre ans, vous pouvez être mon collègue. Je dois pouvoir compter sur vous. Dans la hiérarchie d’une équipe de cinéma, forcément, il y a des chances pour que vous ne soyez pas tout de suite au même niveau que moi néanmoins, je dois pouvoir respecter votre travail et vous devez respecter le mien. Je dois pouvoir compter sur vous et grâce à vos expériences, grâce aux films que vous aurez réalisés, vous pourrez rentrer dans cette équipe, faire vos preuves et, au fur et à mesure, monter [en grade] et devenir la personne que vous voulez être”.

 

Côté parcours, Emilie Montagner a étudié à l’IAD en image après s’être intéressée à la peinture. 
Quand a-t-elle senti qu’elle avait fait le bon choix ? 
“Il a fallu presque un an et demi pour que je sois sûre de moi, que je me sente à ma place, que je me dise que j’allais y faire ma carrière entière. Il faut aussi autoriser nos étudiants à avoir des doutes, des faiblesses, à se tromper, à recommencer. C’est à ça qu’une école sert. On doit pouvoir faire des erreurs pour apprendre un métier”. 

 

Ariane StassarVenue d’autres horizons, Ariane Stassar, la directrice de l’école, croit beaucoup à cette notion d’apprentissage continu et perçoit au quotidien les idées parfois erronées que les jeunes gens se font du monde du cinéma. On l’interroge dans un premier temps sur l’histoire de l’école et son lien à la Belgique. 

“L’ESRA Bruxelles, c’est la petite dernière du groupe ESRA France. Les trois écoles mères (Paris, Nice, Rennes) existent depuis plusieurs décennies. La formation de Bruxelles existe depuis 2015. Elle compte 140 étudiants au total, en département son et cinéma. Ce qui nous différencie au niveau belge, c’est le fait d’être lié à un groupe français et d’être moins connu sur le territoire belge. D’ailleurs, ça se sent sur la population belge : on a 40% d’étudiants belges actuellement inscrits, 50% de Français et 10% issus d’autres pays (Suisse, Luxembourg, Espagne, Maroc, …). 

 

Pour émerger et se différencier, l’école propose donc ces fameux stages d’été auxquels Maxime et Avril ont participé le mois dernier. Après avoir entendu les principaux concernés et leur professeur, on tend le micro à Ariane Stassar pour connaître son avis : “Ces stages représentent une forme d’initiation pour les 15-18 ans, c’est une façon de les aider à poser un choix en conscience car décider d’intégrer une école de cinéma ou de son, ce n’est pas une chose anodine. Il faut parfois convaincre les parents, l’entourage. En plus, la plupart des écoles fait passer des concours d’entrée qu’il faut réussir. Ces stages d’été permettent aux plus jeunes de s’immerger dans une école de cinéma et d’être en contact avec des professeurs qui sont des professionnels actifs dans les métiers de l’audiovisuel. Pendant une semaine, ceux-ci leur expliquent les réalités du métier, ce qui leur permet de prendre conscience de l’endroit où ils vont mettre les pieds”. 

 

La notion de fantasme, elle la perçoit aussi : 

“Quand on a 15-18 ans, on est passionné, on regarde plein de films, mais on n’est pas forcément conscient de ce que veut dire travailler dans le cinéma ni même de la multitude de métiers que ça implique. Pour le coup, on propose aux stagiaires une immersion à travers une semaine de travail. On leur apprend des choses basiques mais essentielles comme le découpage technique ou la valeur de plans”. On le sent, la directrice de l’ESRA est heureuse d’avoir réouvert l’école et d’accueillir élèves et professeurs après ces derniers mois bien compliqués du fait de la crise. 

 

Quel recul Ariane Stassar a-t-elle pris, comment s’est-elle adaptée, comment a-t-elle réussi à faire tourner l’école ? 

“Le début de l’année 2020 a pris un démarrage hors du commun avec la crise du coronavirus. En effet, on a dû rebondir très vite, s’adapter, se réinventer. Dès l’annonce du confinement mi-mars, on a mis sur pied pour les étudiants de première et de deuxième année des cours théoriques en vidéoconférence car tout ce qui était pratique (le travail en studio et les tournages) qui devait commencer début avril a été mis à l’arrêt et a été reporté. Tout va recommencer fin août et s’étaler jusque début octobre. La période a été traversée par la remise en question. La grande question, c’est : “Et après ?”  

Les cours en vidéoconférence ont été vraiment utiles pendant le confinement mais au bout de plusieurs semaines, ça a commencé à être contraignant. Ce n’est pas simple, pour les professeurs comme les étudiants d’une école à la fois technique et artistique, de se passer de l’interaction humaine. Le lien, c’est quand même capital. Les émotions par Zoom, ce n’est pas du tout la même chose. Ce qui est bien, c’est qu’on a réussi à ne pas accumuler trop de retard pour se lancer en août sur les tournages. Ce qui a changé bien entendu, ce sont les mesures sanitaires de protection, les kits spéciaux qu’on a dû constituer pour chaque équipe. On va devoir composer avec ça mais on est tous dans le même bateau”. 

 

Comme les autres écoles, l’ESRA garde en effet le cap avec comme objectifs la finition et la présentation de ces nouveaux films de fin d’études – cartes de visite des réalisateurs en herbe – aux jurys internes et externes à l’école. En attendant, les tournages ont effectivement repris (il suffit de jeter un oeil curieux aux réseaux sociaux de l’école) et l’ESRA prépare en parallèle sa rentrée prévue fin septembre. 

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