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Et j'aime à la fureur de André Bonzel

Publié le 01/07/2022 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

André le géant

D’André Bonzel, nous n’avions plus vraiment de nouvelles depuis… 1992 et une déflagration nommée C’est arrivé près de chez vous. Quasiment retourné à l'anonymat à la suite de projets inaboutis, le cinéaste se rappelle à notre bon souvenir, 30 ans plus tard, avec son second film.

Collectionneur de copies de films amateurs (muets et parlants), Bonzel, 61 ans, a amassé des centaines de bobines appartenant à ses aïeux, à des cinéastes anonymes ou filmées par lui-même au cours de sa vie. Grâce à un étourdissant montage de ces matériaux divers, il crée un joyeux kaléidoscope, tourbillon d’images où il raconte, réinvente et réécrit sa propre vie, de l’enfance à l’âge adulte, en passant notamment par la création du film culte qui l’a rendu célèbre - l’occasion de rendre un hommage pudique à son ami Rémy Belvaux, disparu bien trop tôt. « La meilleure chose avec les souvenirs, c’est de pouvoir s’en inventer », dit-il, déclarant au passage, avec douceur et ce ton irrévérencieux qui le caractérise, son amour démesuré pour le cinéma. Le tout sur une sublime partition originale de Benjamin Biolay.

Et j'aime à la fureur de André Bonzel

Ayant hérité d’un cahier de conseils rédigé par sa chère Tante Lucette, dans lequel la vieille dame, ancienne effeuilleuse pour des films coquins, décrit en long et en large ces ancêtres qu’André n’a pas connus, le réalisateur reconstitue et narre en voix off l’histoire incroyable de ses fascinants ancêtres. Son arrière-arrière-grand-père, Maurice Expedit, un industriel fortuné qu’André décrit comme un insatiable queutard, était notamment le réalisateur des Arroseuses Arrosées, une scandaleuse parodie dénudée de L’Arroseur Arrosé, pied de nez aux frères Lumière qui avaient refusé de lui vendre leur nouvelle invention. Quant à Raymond Expedit-Bonzel, grand-père d’André, il avait tourné un documentaire de 3 heures intitulé Le Tréfilage de l’Acier aux USA et s’étonnait que personne ne s’y intéresse. André évoque encore son oncle Octave, technicien talentueux ayant œuvré sur les films de Marcel Pagnol, mais aussi son parrain obsédé, Gaston, mort dans un accident de voiture alors qu’il filmait au volant une demoiselle peu vêtue qui passait à vélo

«  Et j’aime à la fureur les choses où le son se mêle à la lumière », une citation de Charles Baudelaire, sert de leitmotiv à ce grand assemblage. Ce qu’André constate en visionnant ces centaines d’heures d’antiques bobines, c’est que la caméra enregistre bien plus que le réel : elle enregistre aussi les sentiments et le désir. Depuis les débuts du cinématographe, les gens filment principalement les moments heureux, leurs familles, leurs enfants, leurs êtres chers. Souffrant d’avoir eu une relation distante avec son père, un homme grossier et indifférent, André se met entièrement à nu, crée une mosaïque intime et projette ses passions et ses tourments sur les images : son aversion pour la nourriture, sa découverte – à la même époque – de la beauté du cinéma et de la sensualité féminine, qui depuis, sont indissociables dans son esprit, son premier baiser sans la langue, son premier gros béguin, sa passion pour le sexe, ses premières expérimentations avec une caméra (un remake amateur de Lawrence d’Arabie dans les dunes d’Ambleteuse), les premiers essais avec Belvaux et Poelvoorde…

André s’amuse avec sa collection, triture ces milliers d’images pour s’inventer la famille qu’il n’a jamais eue, dans un torrent d'émotions mélancoliques, de poésie et d’humour, nous renvoyant à nos propres souvenirs d’enfance. La joie incroyable qui se dégage de ces archives aurait pu réduire le film à un simple exercice nostalgique à la façon d’Amélie Poulain. Mais Et j’aime à la fureur, si vertigineux dans sa forme, semble plutôt nous dire que rien ne change vraiment de génération en génération. Avec ce film irrésistible dans lequel rires, larmes et érotisme se succèdent, André Bonzel pourrait en inciter plus d’un à se saisir de toute urgence d’une caméra et inventer des histoires. Peu importe qu’elles soient réelles ou inventées de toutes pièces, elles feront, elles aussi, un jour partie de la collection d’un passionné.

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