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Fadila Laanan, Ministre de la Culture, de l'Audiovisuel et de la Jeunesse

Publié le 01/11/2004 par Dimitra Bouras et Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Entrevue

Souriante et décontractée Fadila Laanan, Ministre de la Culture, de l'Audiovisuel et de la Jeunesse, nous reçoit dans son bureau pour parler de ses projets et de l'avenir de l'Audiovisuel. Les finances de la Communauté étant quasi bloquées jusqu'en 2007, l'exercice est périlleux mais elle y fait face. Entretien.

 

 

Portrait de Fadila Laanan

Cinergie : Vous avez annoncé que vous alliez faire le point de la situation, en réunissant les différents acteurs du monde culturel pour organiser des Etats généraux de la Culture. Qu'en est-il ?
Fadila Laanan : Dans le courant du mois de novembre, je vais déposer une note de base donnant la méthodologie et le calendrier des Etats généraux de la Culture. Toute l'équipe travaille d'arrache-pied là-dessus. Je voudrais préciser que cela se fait à la demande du secteur culturel. Ce secteur a lancé l'initiative en protestant : « (qu'il) en a marre d'être maltraité, de ne pas savoir quelles sont les politiques culturelles mises en oeuvres par les pouvoirs publics. Nous réclamons un débat. » C'est ainsi que les Etats généraux de la Culture ont été inscrits dans le programme politique de la Communauté française. J'hérite d'un dossier qui, loin d'être une opération de marketing politique, est un dossier extrêmement concret. Il s'agit de la consultation la plus large possible du secteur culturel auquel je voudrais associer les secteurs de l'audiovisuel et de la jeunesse pour faire réfléchir ensemble les opérateurs des trois secteurs. C'est l'occasion ou jamais de mettre tout sur la table : les commentaires, les critiques, les réflexions importantes qui ont cours dans les deux secteurs. Qu'est-ce que ça va donner ? J'attends des Etats généraux que l'on me propose des priorités que nous pourrons mettre en évidence pendant la législature. Pour le moment on consulte beaucoup. Personnellement, je crois que tout le monde devrait intervenir dans ce processus : que ce soit les opérateurs, les médias ou les usagers. La note de méthodologie va expliquer dans quel cadre on travaille. Cette note sera mise en discussion et en consultation, pour tous, grâce à un site Internet, ainsi qu'en éditant des brochures qui seront déposées dans toutes les institutions ayant une visibilité ou une ouverture vers le public. On attend de cette première consultation des critiques et des réflexions. Ensuite, dans le courant de février je présenterai un nouveau dossier avec des amendements à la première note. A partir de là, lorsque la note sera amendée, déposée au Gouvernement et approuvée en tant que telle, on remettra à la discussion cette version chez tous ceux qui ont souhaité intervenir et je ferai des visites arrondissement par arrondissement. Ce ne sera pas simple, on le sait. Il est difficile de parler de tout sans tabou. Mais je l'ai toujours dit et je le répète encore aujourd'hui : si les Etats généraux entraînent uniquement, de la part des opérateurs, une demande d'augmentation de budget et rien de plus, alors, dans ce cas, il est difficile de continuer la discussion. Si la position des opérateurs est uniquement d'exiger plus d'argent, le dialogue est déjà cassé. Personne ne peut s'engager là-dessus aujourd'hui. Quand bien même c'est une priorité du gouvernement et mes collègues sont ouverts au secteur culturel et audiovisuel. Vous connaissez la situation budgétaire de la Communauté française ; l'enseignement, la santé, l'enfance et la RTBF y sont prioritaires. La question à laquelle je veux répondre est la suivante : avec le budget dont je dispose, ne peut-on faire mieux ? Tout en espérant pouvoir m'engager à demander une augmentation qui est justifiée par la maltraitance qu'a subi le secteur culturel et audiovisuel. On a quelques idées. On s'est rendu compte effectivement qu'en matière de subsides il y a des retards de liquidation de subvention qui obligent des opérateurs culturels à emprunter à partir des sommes qui leur ont été promises. Cela n'est pas normal. Sur ce point, on peut agir. Comme, par exemple, donner délégation à l'administration pour que cela aille plus vite afin d'éviter que la décision du Ministre ne retarde des transferts de subvention. Mais il est clair que si je donne délégation à l'administration elle doit être plus rapide que moi. Ce sont de petites choses sur lesquelles on peut avancer et qui facilitent la vie de tous.

 

C. : Au-delà des Etats généraux, avez-vous d'autres idées que vous comptez développer d'ici quelques mois ?
F. L. :
 
Ma priorité dans les dix mois à venir concerne les Etats généraux de la Culture. Je laisse les opérateurs nourrir la réflexion. Cela aura, sans doute, un effet boomerang. Car on risque d'avoir du bon et du moins bon. Mais en même temps on pourra dire qu'on a mis tout sur la table. Mais cela me paraît important même si cela n'est pas évident à gérer. En même temps les opérateurs commencent à s'inscrire dans ce processus. Je suis prête à les entendre. Ensuite, il faudra que j'opère des choix. Mais, je suis persuadée qu'il est essentiel qu'à un moment donné  tout le monde se remette en question aussi bien le politique que les opérateurs. De plus je crois qu'il n'y a pas que la Belgique qui soit devant des choix culturels. La France connaît une situation similaire.

 

C. : Est-ce que vous ne pensez pas que la télévision ne rend pas suffisamment compte de l'actualité culturelle en général et cinématographique en particulier ?
F.L.
C'est ce que la plupart des gens du secteur diront. La télévision de service public a des missions à remplir. Elle reçoit une dotation dont elle a des comptes à rendre aux citoyens de la Communauté. On n'en fait jamais assez. Les opérateurs du service public diront que s'ils essayaient de contenter tout le monde, ils perdraient la moitié des téléspectateurs. Actuellement, on les laisse gérer, tout en insistant sur leurs missions à remplir. Il faut être clair parce qu'ils ont une dotation importante qui absorbe une majorité du subside de l'audiovisuel en Communauté française, bien qu'ils estiment ne pas recevoir en suffisance et qu'ils doivent faire de plus en plus appel à la publicité.

C. : C'est vrai de quasiment toutes les télévisions publiques européennes. Il n'y a plus d'émissions spécifiques consacrées au cinéma. Le cinéma européen - confronté au marketing agressif du cinéma d'outre-atlantique - devient invisible. On va finir par se demander pourquoi faire des films qui manquent de visibilité ?
F. L. :
C'est pour cela que par rapport aux Etats généraux de la Culture il était essentiel d'y associer le secteur audiovisuel. Alors qu'au départ on comptait se limiter à la problématique du secteur culturel. Mais tout est lié. Le secteur audiovisuel a un rôle à jouer. Cela pourrait être le lieu de revendication par rapport au contrat de gestion, par exemple. Je veux évaluer la situation à la fin du contrat de gestion. Voir où l'on en est. Quels sont les manques, où faut-il équilibrer. Parce que le service public nous dit qu'il fait le maximum, mais certains estiment que la RTBF n'en fait pas assez. Donc je veux pouvoir avoir une vision claire de la situation afin de pouvoir revoir le contrat de gestion afin de mieux préciser les obligations qui incombent au service public.

C. : Le Tax Shelter apporte une bouffée d'oxygène au cinéma. Beaucoup pensent, dont nous sommes, que l'aide de la Communauté française reste cruciale. C'est l'une des seules garanties artistiques de notre cinéma qui, paradoxalement, jouit d'une meilleure réputation à l'étranger qu'ici.
F. L. :
Vous savez qu'il y a un million d'euros supplémentaires pour l'ajustement 2004 à la dotation de l'aide aux films. Et pourtant vous connaissez la situation de la Communauté française. Mais c'est un engagement sur lequel on n'a pas transigé. C'est peu mais c'est concret.

C. Est-ce que vous pensez que le refinancement de la Communauté puisse se produire à terme ?
F. L. :
Evidemment. Mais pour l'instant nous ne pouvons pas nous engager pour 2005. Si nous avons un bol d'oxygène ce sera plutôt vers 2007.

C. : Ne pensez-vous pas qu'il serait intéressant d'apprendre aux jeunes générations l'écriture de l'image qui possède une grammaire comme la langue française et que beaucoup de jeunes, hormis les professionnels de l'audiovisuel, ignorent.
F. L. :
Je peux vous dire que c'est un dossier que nous allons suivre particulièrement avec ma collègue la Ministre Marie Arena. Nous nous rendons bien compte que l'éducation aux médias est tout à fait essentielle et que pour le moment nous sommes à la traîne. Il faudra qu'on revoie la politique mise en place pour qu'elle soit le plus opérationnelle possible. Nous sommes tout à fait conscientes, Marie Arena et moi-même, du manque qui existe sur l'apprentissage du décodage de l'image.

C. : Dans le secteur culturel une coopération avec la Communauté flamande vous paraît-elle possible à Bruxelles ?
F. L. :
Avant d'être ministre j'ai toujours été interpellée par la politique culturelle des flamands sur Bruxelles. Quand on voit les moyens qu'ils se donnent ou le nombre d'associations, en principe francophones, qui sont subventionnées par des programmes de politique culturelle flamande, c'est impressionnant. La volonté de la Communauté flamande est de mettre un pied à Bruxelles. Je fais très attention à cela. En même temps je suis bruxelloise dans une ville bilingue. Quand vous voyez le KVS, on constate qu'ils produisent des spectacles francophones et sous-titrés en néerlandais. Vous connaissez beaucoup d'institutions francophones qui le feraient ? Ce que je peux dire c'est que le contact passe très bien avec Bert Anciaux, mon homologue néerlandophone. Il y a pas mal de choses qu'on pourrait faire ensemble. D'autant que lorsque je discute avec des opérateurs d'institutions culturelles francophones, ceux-ci me disent qu'ils n'ont pas de souci de travailler avec des opérateurs flamands.