Une ministre de la culture en Communauté française qui exerce un mandat sur toute sa durée, c'est un événement suffisamment exceptionnel pour le souligner, comme l'avait fait la profession cinématographique lors du Bilan de l'audiovisuel en mars 2009. Mais une ministre de la culture qui voit ses compétences reconduites pour une deuxième législature, cela relève de l'impensable ! Et pourtant, Fadila Laanan, juriste de formation, après s'être fait remarquer au Conseil Supérieur de l'Audiovisuel, est nommée en juillet 2009, pour la deuxième fois consécutive, Ministre de la Culture et de l'Audiovisuel en Communauté française de Belgique. Reçue avec scepticisme par les artistes et les professionnels de l'art en 2004, elle est parvenue à renverser la vapeur et a fait, en mars 2009, ses adieux à la profession sous des applaudissements sincèrement chaleureux. Mais ce qui aurait pu être une rupture de relation ne sera qu'une étape où les parties prennent le temps de faire leur bilan avant de poursuivre au moins cinq autres années côte à côte.
Curieux de connaître les nouvelles dispositions de la Ministre, suite aux coupes sombres annoncées dans le budget de la Communauté française, nous renouvelons notre visite place Surlet de Chokier. Même place, même bâtiment, même bureau. Mais c'est une femme plus posée et plus sereine qui nous accueille.
Fadila Laanan, nouveau mandat
Fadila Laanan : Mon premier mandat en tant que Ministre de la Culture et de l'Audiovisuel a débuté avec l'établissement des Etats-Généraux de la Culture. Ils m'ont permis de mieux connaître les acteurs culturels, et d'établir une relation de confiance avec eux. Les bases de nos relations ayant déjà été jetées, il sera d'autant plus aisé de pouvoir se remettre rapidement à la tâche et poursuivre les politiques que l'on a menées. C'est un défi et un honneur aussi que l'on m'a fait, parce que c'est la première fois que l'on nomme un ministre pour deux législatures consécutives. Mais connaissant la situation économique de la Communauté française et de l'ensemble du pays, il ne faudra pas dormir sur ses lauriers et rester créatif.
Cinergie : Pourquoi avoir reçu des matières supplémentaires à gérer ? Est-ce parce que, de toute façon, il n'y aura pas de grands projets à mener dans les domaines culturels ?
F. L. : Non. C'est notre façon, en tant que ministre, de contribuer à la réduction des dépenses de gestion demandée par la nouvelle coalition communautaire. Non seulement chaque ministre porte plusieurs casquettes, mais il a été également décidé de diminuer au maximum les équipes.
Mes compétences supplémentaires ne vont pas réduire celles que j'avais dans audiovisuel, au contraire, il va falloir être plus inventif et créer des passerelles entre les politiques. Par exemple, pour les campagnes de promotion de la santé, des passerelles avec l'audiovisuel devront être faites. Pour les rendre plus didactiques, il faudra faire travailler des secteurs de l'audiovisuel ou même des établissements scolaires qui forment à ces secteurs et les rendre interactives et créatives.
Cette législature sera la législature des sacrifices et des dépenses réduites, puisque la situation économique est celle que l’on connaît, même si on n'en est pas responsable. Nous n'avons pas été de mauvais gestionnaires. Nous ne sommes pas responsables d'une mauvaise gouvernance, au contraire, nous avons géré au mieux les deniers publics. Nous sommes face à une situation économique catastrophique avec l'effondrement de pans entiers de l'économie et les spéculations boursières scandaleuses. Il faut pouvoir élaborer un budget tout en comptant chaque cent pour pouvoir réaliser nos politiques. Ce qui me ravit, c'est que pendant la précédente législature, j'ai obtenu des financements importants pour les secteurs de l'audiovisuel et de la culture. Heureusement car aujourd'hui il va falloir faire tout aussi bien avec moins d'argent.
C. : Quels sont les points importants du programme à venir ?
F. L. : Nous allons garder les priorités culturelles, reprendre et mener à bout le dossier Décret cinéma. C'est un dossier qui avait été concerté à la fois par mon administration, les acteurs du secteur audiovisuel, la Commission de sélection et mon Cabinet. Ce dossier fait l'objet d'une analyse par la Commission européenne puisqu'il englobe des aides d'Etat, ce qui est toujours problématique pour la Commission en matière de concurrence.
Ce décret permettra à chaque acteur de l'audiovisuel de connaître les dispositifs de manière objective pour postuler aux aides d'Etat pour la production, la diffusion et la promotion de notre cinéma. Nous avons voulu mettre par écrit, pour le rendre légal et réglementaire, tout le dispositif qui existait jusqu'à présent. Quand un producteur voulait réaliser un film, il déposait un projet à la Commission de sélection qui remettait un avis. Jusqu'à présent, il n'y avait pas un dispositif très clair. Certains considéraient qu'il y avait un manque d'impartialité. On a voulu permettre à chacun de savoir comment réaliser son dossier, comment monter son projet, et comment il peut être aidé, avec des règles précises et objectives.
Il y aussi le Plan de fréquences, où les opérateurs radio demandent un meilleur confort de diffusion et son optimisation.
Dans la déclaration de politique communautaire, le chapitre consacré à la Culture et l'audiovisuel compte plus de 50 pages sur un total de 200 pages ! Ce qui est assez significatif sur le désir des négociateurs d'aller très loin dans les détails.
Ma priorité sera de continuer à travailler sur la diversité culturelle et aussi sur l'accessibilité des publics à l'ensemble des outils culturels : la gratuité des musées, le maintien du programme Culture-école.
Un secteur sur lequel j'avais déjà initié différentes politiques durant la précédente législature, c'est tout ce qui concerne les secteurs émergents. L'étape que je veux entamer, c'est leur permettre de s'ouvrir sur les lieux culturels pour lesquels ils n'ont pas suffisamment d'espace. Je pense par exemple, au réseau Plasma qui fait en sorte que des salles de spectacles en Communauté française s'ouvrent à des groupes musicaux émergents de tous horizons.
C. : La création d'Arte-Belgique était un défi auquel peu croyaient et que vous avez relevé avec beaucoup de succès. Est-ce un projet que vous avez l'intention de poursuivre ?
F. L. : C'est une belle réalisation, bien qu'elle ait été critiquée politiquement mais voulue par les acteurs culturels pour montrer aux citoyens tout ce que nos artistes produisent. Il a fallu trouver des moyens supplémentaires pour la RTBF qui réalise cette émission. Mais cela a été fait. Bien entendu, même si on est en situation de crise et qu’il va falloir faire des économies, je refuserai de remettre cette production en cause.
C. : Les Assises de l'Interculturalité sont lancées par le Gouvernement fédéral et il est demandé aux régions et aux communautés d'intervenir dans ce débat. Ces assises seront l'occasion de mettre sur table un certain nombre de questions encore taboues et peut-être permettre à chacun de trouver sa place dans cette société belge qui a muté fortement. Quelle est votre position personnelle devant la question du port du foulard à l'école ?
F. L. : C'est une question qui m'est souvent posée étant donné mes origines. Je ne porte pas le foulard, ma mère en porte un depuis longtemps, mais cela n'a jamais posé de difficultés. La règle adoptée par la Communauté française était de laisser la responsabilité de décision à chaque établissement scolaire en fonction de leur projet pédagogique. Ce système a plus ou moins bien fonctionné. Mais aujourd'hui, les établissements n'arrivent plus à gérer la question. Je crois que les politiques doivent se réapproprier le débat, d'une manière sereine, et ces Assises permettront de le faire. Ce qui pour moi est essentiel, et c'est ce que mes parents m'ont toujours inculqué, c'est que l'école est quelque chose de sacré, et à choisir, je choisis l'éducation plutôt que la dimension philosophique et religieuse. L'école doit être un lieu de rencontres, d'échanges et surtout d'apprentissage. Je ne suis pas choquée de voir des filles voilées et elles ne sont pas des intégristes pour autant. J'en connais personnellement qui sont très ouvertes et très tolérantes, mais il peut aussi y avoir un certain prosélytisme et cela peut poser des problèmes dans certains établissements. Il y a l'exemple de cet Athénée d'Anvers qui interdit aujourd'hui le port du voile, alors que la directrice est une femme progressiste et ouverte à la question. Elle s'est rendu compte que finalement son école était devenue un ghetto, parce que tous les établissements environnants interdisaient le port du foulard, toutes les filles musulmanes s'étaient inscrites dans son établissement. La question sous-jacente est de savoir si on veut ou non la mixité sociale et culturelle dans les écoles ?