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Faites sortir les figurants de Sanaz Azari

Publié le 08/01/2019 par Nastasja Caneve / Catégorie: Critique

"Fondez-vous dans la masse"
Faire de la figuration, c'est s'immiscer intimement dans le monde du cinéma sans avoir son nom au générique, c'est côtoyer les acteurs, les "vrais", de près, c'est prendre part à un tournage et se rendre compte des difficultés liées à la réalisation d'un film, c'est attendre pour mieux recommencer. Être figurant, c'est un métier à part entière, c'est une présence invisible mais indispensable, c'est considérer qu'on n'est qu'une ombre qui passe, qui boit un café, qui danse dans une discothèque, qui arpente les rues, c'est combler le vide.

Faites sortir les figurants de Sanaz Azari

La réalisatrice iranienne Sanaz Azari a quitté son Iran natal pour s'installer à Bruxelles après la révolution islamique. Après des études de scénographie à la Cambre et de théâtre, elle mêle aujourd'hui les projets d'installation, d'écriture et de photographie et a réalisé deux films Salaam Isfahan et I comme Iran, deux documentaires sur son pays d'origine. Avec Faites sortir les figurants, elle parle du cinéma et plus spécifiquement du métier de figurant, cette figure de l'ombre.
Le film s'ouvre sur une scène à l'aéroport. Qui sont ces passagers anonymes ? Ces dames d'entretien ? Ces hôtesses de l'air souriantes ? Des quidams qui donnent au film sa consistance. Au même titre que les acteurs, les figurants sont coiffés, maquillés, habillés mais on ne les voit pas, on ne les entend pas. Or, ils constituent la chair du film.
À côté de ces scènes de tournage, la plasticienne s'amuse avec des scènes récurrentes figurant des mannequins gonflables qui prennent vie, petit à petit. Autant de personnages anonymes qui vont remplir l'arrière plan. Des anonymes de plastique qu'on prend, qu'on jette, qu'on habille, qu'on déshabille, à l'envi.
"Hommes, femmes, enfants de tout âge, caucasiens, corpulence moyenne, peau blanche, pas basanée, pas tatouée, pas grand, pas fort, des messieurs entre 20 et 70 ans, de toute origine, des femmes mesurant minimum 1m70, métisses, noires, dynamiques, débrouillardes, toute corpulence bienvenue, de vrais policiers, etc." Autant de petites annonces que scande la voix off, autant de possibilités de jouer, autant de personnages à incarner.
Le film donne la parole à toutes ces femmes, ces enfants, ces hommes qui veulent tenter l'expérience cinématographique, qui veulent vivre les mille vies du cinéma : vivre à l'époque de sa grand-mère, se mettre dans la peau d'une mère réfugiée qui brave la mer, etc. Ils réalisent ce rêve presque inaccessible : se voir, ne serait-ce que quelques secondes, devant la caméra. Sanaz Azari insiste sur l'anonymat, sur la diversité, sur l'attente, autant de paramètres intrinsèquement liés au métier de figurant.
Faites sortir les figurants est une ode à ces personnages multifonctions. Un métier propice aux rencontres, entre deux scènes, où chacun se raconte, où chacun frôle la gloire, du bout des doigts. Sauf que dans le film de Sanaz Azari, ils sont tous au générique.

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