Le Cinéma Méditerranéen à Bruxelles se déroulera au Botanique du 29 novembre au 7 décembre
Festival Mediterranéen 2002, quinze ans d'existence
Petit à petit ce festival est devenu un évènement tant pour les communautés issues de l'immigration qui peuvent y découvrir les films réalisés dans leurs pays d'origine que pour les cinéphiles qui ont rarement l'occasion de voir, en salles, des films syriens, albanais, turcs ou les films maghrébins qui ne sont pas coproduits avec la France. Nous avons donc demandé à Philippe Preux, qui organise le festival avec Patrick Mathys et Sophie Gaudin, du Service Audiovisuel de la Commission Communautaire française de la Région de Bruxelles-Capitale, ainsi qu'à Liliane Ravyts, la fondatrice de notre asbl et cheville ouvrière de la première édition en 1984 de nous conter l'histoire de ce festival hors du commun qui a pour objectif d'être le carrefour de différentes cultures.
Création
Cinergie : Quel est l'origine du Festival ?
Liliane Ravyts : La première idée a été de mettre sur pied un Festival du Film arabe en 1984. Il a bien marché. Le succès a dépassé nos espérances. Puis il y a eu Europalia Espagne qui a provoqué une forte demande de la part des associations espagnoles qui désiraient un lieu plus festif que la cinémathèque pour voir les films de leur pays.
Philippe Preux : D'autres communautés ont souhaitées participer. Et donc, en 1989, on a lancé la première édition du Festival méditerranéen.
C. : La première édition rassemble la plupart des pays du bassin méditerranéen ?
Ph. P. Pour la première fois - on était les seuls à le faire -- on a présenté des films albanais en Europe. C'était encore sous le régime communiste. J'avais pris des contacts parce que personne ne voulait le faire. Le cinéma albanais étant techniquement assez défaillant, à cette époque.
L. R. Oui, ils filmaient dans des conditions épouvantables n'ayant ni industrie cinématographique ni moyens même artisanaux. Ils filmaient sur de la pellicule récupérée à la télé. Les raccords lumière n'existaient pas. On passait, dans une même scène de la lumière à l'obscurité.
Ph. P. Le régime communiste existant encore c'était des films de propagande. Donc il y avait une censure très forte. Les conflits familiaux étaient vus dans l'optique du parti. Les enfants avaient toujours tort parce qu'ils s'écartaient de la ligne politique mais à la fin tout le monde se réconciliait.
L. R. : Mais il y avait un grand public. Chaque projection faisait salle comble.
Ph. P. : Leurs films étaient très mélodramatiques et très poétiques. C'est un pays dans lequel la poésie avait un large public. L'Albanie, comme beaucoup de pays dans le monde, avait encore une tradition orale très forte.
Evolution
C. : Est-ce que le fait que ce cinéma ait été montré en Europe l'a fait évoluer ?
Ph. P. : Pour les gens du Kosovo et d'Albanie le fait de montrer leurs films dans un festival extérieur et d'être reconnus officiellement a eu une importance. C'est une sorte de reconnaissance qui leur a été offerte. Ceci dit, le fait que l'Albanie et le Kosovo s'ouvrent de plus en plus a une influence sur l'activité cinématographique. Maintenant, un film comme Tirana année O de Fatmir Koci est co-produit avec la télé autrichienne et avec la Belgique, (Diane Elbaum, productrice d'Entre chien et loup). Nous le présentons, cette année, de même que Slogan, un film pour lequel Yves Hanchar a collaboré au scénario. Il est d'ailleurs sorti en France. Il y a donc un retour mais qui est davantage lié aux relations personnelles et aux contacts qui se prennent lors du Festival.
C. : Pour le cinéma maghrébin, vous avez eu moins de problèmes ?
L. R. : Pas tout a fait. Une année la Tunisie a donné l'exclusivité au Festival de Namur et leur production n'a pu être programmée au med.
Ph. P. : Le problème ce sont les relations avec les ambassades. Je me souviens que lorsque qu'on a demandé à l'ambassade de faire venir Amos Gitaï et ses films on nous a répondu : « Tout le monde sauf Amos Gitaï ! ».
Avec les pays où le cinéma est peu structuré -- hormis avec les grecs, les israéliens, les italiens ou les français -- tout se fait de façon plus informelle. L'avantage c'est que la qualité des échanges, les relations humaines sont plus chaleureuses. L'inconvénient c'est que c'est souvent anarchique. Par contre en Syrie il existe un centre du film mais il est soumis aux décisions du pouvoir politique.
C. : Encore maintenant ?
Ph. P. : Oui. On a de grosses difficultés à présenter les films syriens. Cette année, on va montrer un documentaire qui parle des difficultés qu'il y a à faire du cinéma en Syrie. C'est intéressant et plein d'humour !
C. : Avez-vous ce genre de censure avec les films maghrébins ?
Ph. P. : Non. Pas du tout. Ce serait plutôt les réalisateurs qui s'autocensurent. Le problème, comme je l'ai dit plus haut, vient des ambassades. Nous ne voulons plus traiter avec elles. Ce sont des politiques ! Donc qu'est-ce qu'ils veulent faire ?
L. R. : Sauver les apparences !
Ph. P. Pour organiser la soirée libanaise. On avait proposé à l'ambassade du Liban de programmer Quand Maryam s'est dévoilée d'A. Fouladkar, l'attaché culturel a sursauté à cause du titre. Heureusement, entre-temps, il vient d'être choisi par le gouvernement libanais pour les représenter dans la présélection aux Oscars du meilleur film étranger. Du coup, ils manquent de copies. On dispose donc, pour le moment, d'une copie sous-titrée en anglais ! Chaque fois qu'on est en contact avec les ambassades, quelles qu'elles soient on nous propose des navets et dès qu'on s'écarte de leur choix, on sent une réticence et ils n'interviennent plus.
C. Le Fest Mona Saber de Abdelhaï Laraki (Maroc) - Compétitionival a quinze ans. Voyez-vous une évolution dans le cinéma maghrébin ?
Ph. P. : Pour la Tunisie il y avait déjà des cinéastes comme Nouri Bouzid ou Farid Boughedir qui continuent à réaliser des films. Ils produisent davantage et les co-productions avec la France ou la Belgique se sont développées. Le Maroc me semble être le pays qui a le plus évolué. A la fin du régime d'Hassan II, on a vu apparaître Hakim Noury, qui aborde des thèmes intéressants comme la liberté de la presse, l'évolution de la femme, la prostitution. Peut-être de façon trop mélodramatique. Mais un film comme Mona Saber de Laraki est un film plus que prometteur.
L'histoire d'une française à la recherche de son père marocain lequel se révèle être un opposant politique et qui a disparu. De même on a vu apparaître des polars marocains. Par ailleurs on va passer Ouarzazate movie d'Ali Essavi qui parle de ces figurants utilisés dans les productions américaines se tournant dans la région. Le régime est en train de se rendre compte que le cinéma pourrait être une industrie au Maroc et donc une source de devises. En Algérie, il y a eu une parenthèse. Une grosse production existait auparavant. A la suite des événements que connaît l'Algérie depuis dix ans, il n'y a plus de production dans le pays lui-même. Les réalisateurs algériens tournent en France ou en Belgique (Salut Cousin de Merzak Allouache). Il y a eu une production mais en exil : Rachid Benhadj tourne en Italie, Bahloul à Paris. Mais depuis cette année, il y a à nouveau des films tournés en Algérie comme Rachida de Yamina Bachir Chouikh qui a obtenu Le Grand Prix au dernier FIFF de Namur.
Programmation
C. : Peux-tu nous présenter le festival qui aura lieu cette année, tout au moins ses temps forts ?
Ph. P. : Tout d'abord il y aura une importante section documentaire. Au départ on l'avait créée pour suppléer aux films de fiction. Nous présentons un documentaire en remplacement d'une fiction inexistante. De plus, il y a eu une demande du public vers le documentaire. On aura trois salles : la Salle de Cinéma, l'Orangerie et la Rotonde qui offrira deux documentaires par séance et, qui a l'avantage de permettre une rencontre ou un court débat avec le réalisateur, de manière informelle. Par ailleurs, on consacre un focus au Maghreb. La production ayant augmenté en qualité et en quantité. De plus on a voulu rendre hommage à la production algérienne tournée en Algérie même avec des thèmes qui sont davantage liés à la situation là-bas qu'a l'émigration. D'ailleurs on va faire l'ouverture avec Inch'Allah Dimanche, un film algérien de Benguigui et on aura une soirée algérienne avec Rachida. Il y aura aussi deux journées consacrées au scolaire, une soirée café oriental, une soirée libanaise, une soirée pour la fin de Ramadan. Ce qui est également nouveau par rapport aux dernières éditions c'est la diffusion de courts métrages. Notamment douze courts métrages sur le racisme qui ont été réalisés par de grands réalisateurs sur des scénarios proposés par des jeunes. Mais aussi des courts de fiction comme Jean Fares.
C. : Est-ce qu'il y a des co-productions belges ?
Ph. P. : Bien Sûr ! La Belgique apparaît beaucoup dans les coproductions : Seule avec la guerre de Danièle Arbid, Ben Barka de Simone Biton, Tirana an O de Fatimir Koci, Niños de José-Luis Peñafuerte, Femmes de la Medina de Dalia Ennadre, La Fille de Bent Keltoum de Medhi Charef et, enfin, on remontre Noman's land de Denis Tanovic. Mais aussi dans des productions propre au pays comme Au-delà de Gibraltar de Boucif et Barman, Feu ma mère de Sandrine Dryvers, C'est notre pays pour toujours de Marie-Hélène Massin, Carnet de notes à deux voix de Fichefet et Essefiani. Il faut ajouter une section qui montre des films qui sont sortis en salles mais n'ont guère bénéficié d'une grande carrière, qui ne sont restés qu'une semaine en salles. Il y a six ou sept films comme cela. On a voulu rendre hommage au travail des distributeurs et en même temps donner une seconde vie à des films n'ayant pas eu l'audience qu'ils méritaient d'avoir et surtout qui n'ont pas été vus par leur public parce que l'on s'est rendu compte que notre public ne fréquente pas nécessairement les salles, en ville. On n'a pas un public de cinéphiles. C'est la difficulté du Festival mais c'est aussi son intérêt. On a plutôt un public de communautés, turques, maghrébines, albanaise. On programme aussi une série de films palestiniens. On a deux films de Rashid Masharawi : En direct de Palestine et Un ticket pour Jérusalem. Et aussi Le Mariage de Rana d'Hany Abu-Assad. Ainsi qu'une série de documentaires palestiniens. On a voulu rendre hommage à des réalisateurs qui tournaient dans des conditions difficiles sur un sujet particulièrement brûlant. On a un documentaire qui s'appelle Le pays de Blanche qui conte l'histoire d'une palestinienne âgée vivant au Canada et dont le seul désir est de retrouver son pays. On a également des films israéliens : Kedma d'Amos Gitai, Bombes humaines de Ziv et Gordey.
Enfin, pour conclure, il y a treize films qui sont en compétition pour l'attribution d'un prix de 5.000 euros ainsi que le sous-titrage du film bilingue et une campagne de promotion sur MCM. Il s'agit d'aider à la diffusion de films qui seraient moins grand public. On peut tout de même remarquer que les deux films qui se sont vus attribuer des prix lors des précédentes compétitions ont été distribués, l'un par Libérations Films et l'autre par CNC. Nuages de mai qui a été primé il y a deux ans a obtenu le Félix du meilleur film européen.
Cinéma Méditerranéen à Bruxelles organisé par le Service Audiovisuel de la Commission Communautaire française de la Région de Bruxelles-Capitale.