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Gilles Colpart en dit long

Publié le 13/07/2006 par Katia Bayer / Catégorie: Entrevue

IMDB ne dit pas tout au sujet de Gilles Colpart. Son histoire et son CV sont plus que teintés par le court métrage. Il est entre autres critique cinéma, collaborateur du magazine Bref depuis sa création en 1984, et membre du Conseil d’administration de l’Agence du court métrage française. Il a collaboré à la programmation de plusieurs festivals dont celui de Clermont-Ferrand, introduit le genre à la Semaine de la Critique et même fait du militantisme ! Membre du jury au dernier festival « Le court en dit long » qui se déroulait en juin, il a, quelques heures avant la proclamation du palmarès, relaté son lien au court et son appréciation de la production belge.

Gilles Colpart en dit long

C : J’aimerais que tu me parles de ta volonté de défendre le court métrage. À la base, tu es un critique de cinéma. Pourtant, il y a ce court que tu suis ou qui te suit depuis pas mal d’années : d’ailleurs, tu es encore là !
G.C. : Oui, je suis encore là et même d’une façon relativement intégriste ! Je veux dire par là que je ne supporte plus les longs métrages, ce qui est problématique pour un critique de cinéma ! Parce qu’on vit quand même de ça, pas seulement d’un point de vue matériel mais aussi du point de vue de sa raison d’être. Un critique qui n’aime plus voir les films, c’est un peu dramatique. Par contre, des courts métrages, je peux m’en taper des journées et des journées entières avec la lassitude physique qui va venir. (…) Alors qu’un long métrage dans lequel je ne rentre pas au bout d’un quart d’heure, je cherche la sortie de secours tout de suite ! (…) Comment c’est venu ? Dans les années 70, quand j’ai commencé à écrire, il y avait à Epinay, en banlieue parisienne, un festival de courts. Un collègue, qui écrivait dans la Revue Cinéma à l’époque, réalisait aussi des courts. Cette année-là, il avait un film en compétition. Ne pouvant pas être à la fois juge et partie, il m’a demandé d’y aller. À l’époque, les critiques, comme les autres, ne couraient pas derrière les courts. J’ai accepté : ça me faisait une pige de plus et puis, c’était une curiosité. J’étais déjà un peu sensible au court en prenant plaisir à les voir en première partie dans les salles mais pas au point d’en faire une spécialité ou un cheval en bataille. J’ai découvert cette sélection d’Epinay et ce fut la révélation. Après, j’en ai redemandé, j’ai commencé à suivre d’autres festivals. À Trouville, petite ville du Calvados, j’ai rencontré les camarades de Clermont-Ferrand : des jeunes étudiants qui souhaitaient faire une semaine de courts. Ils sentaient qu’il y avait un truc à faire; c’était une époque où tout le monde déclarait le court moribond.

C : Justement, pourquoi accolait-on un tel adjectif au court ? Le genre avait pourtant droit de cité dans les salles en prélude des longs.
G.C. : Jusqu’aux années 70, le court était admis : sa diffusion était spécifique dans la mesure où il était en première partie. A cette époque, les salles n’avaient pas la pression de faire cinq séances par jour et une séance pouvait durer 3h avec deux courts métrages. Pourtant, depuis quelques années, le cinéma perd du public à cause de la télévision. (…) Les exploitants et les distributeurs, voyant que les chiffres chutent d’une année à l’autre, se donnent des réponses en leur faveur : le multiécran, les complexes. Petit à petit, le court a disparu des salles pour entrer dans des cases de 2h maximum.


C : Comment le court a-t-il pu, dès lors, se maintenir en disparaissant progressivement des salles et en n’étant pas encore programmé par les télévisions ?
G.C. : Nous avons été un certani nombre à estimer qu’il n’y avait pas de raison intrinsèque à ce que le court métrage disparaisse. D’autant moins que toutes les fois où on allait , un peu par militantisme, montrer des courts dans les MJC de banlieue ou à un festival naissant dans une ville de province, avec les copies sur le dos, les salles étaient pleines. Les titres des films ne disaient rien aux gens mais ils venaient sur l’idée de court métrage. Ils nous disaient : « pourquoi on ne les voit plus dans les salles ? C’est bien ce que vous faîtes, continuez. Et si vous recommencez, on reviendra. » Et les initiatives se sont multipliées. A la fin des années 70, on a pris acte du fait qu’il y avait un public qui ne demandait qu’à se réveiller et qu’à répondre présent. Clermont, [par exemple], est né comme ça. On ne savait pas qu’en faisant une semaine du court métrage au ciné-club universitaire de Clermont, ça allait être le premier d’une série de festivals à 130.000 entrées aujourd’hui.


C : Combien de temps avez-vous tenu avec votre militantisme et vos sacs à dos ?!
G.C. : Le sac à dos, c’est une image mais en gros, c’était ça ! En voyant à chaque fois un peu plus de monde [aux projections], on s’est dit qu’on ne pouvait plus continuer à charrier les copies dans un camion ou à les transporter dans le RER [quand il fallait se rendre] en banlieue avec tous les risques [que cela comportait]. (…) D’où l’idée qui a germé auprès des réalisateurs et des producteurs d’une structure qui permettrait de fédérer tout ça et d’aller plus vite : l’Agence du court [crée en 1983]. Elle allait centraliser techniquement la rotation des copies et la programmation. Elle grouperait les demandes et y répondrait voire irait au-delà de celles-ci en anticipant, en suggérant, en proposant des programmes tout prêts. Ça a effectivement incité des salles et des associations à programmer du court.


C : A travers notamment le programme RADI (Réseau alternatif de Diffusion) développé par ladite Agence…
G.C. : Oui, les programmateurs RADI ont la possibilité de choisir dans un catalogue de 600 titres [qui leur offre] un éventail assez large pour programmer 52 courts métrages par an (multidiffusables à volonté) soit un court par semaine. Ce qui est intéressant, c’est que les programmateurs ont la possibilité de faire ce travail de programmation, de choisir en fonction de leurs longs métrages et de leur public. Une salle qui aura un public plus familial va choisir dans le catalogue des films plus consensuels; une autre qui sera classée recherche, va carrément aller chercher l’expérimental. Il y a quand même 300 salles en France qui diffusent de leur propre initiative du court. 300 sur les 4.000 ou 5.000 existantes peuvent faire ce travail. C’est peu et beaucoup à la fois.


C : Tu parles d’adhésion de public. Selon toi, comment expliquer son intérêt pour ce genre et son état d’esprit ?
G.C. : Si le court métrage n’avait pas été bon, les gens ne seraient peut-être pas revenus, mais il y a eu un phénomène d’amour. Plus objectivement, la télévision était déjà bien en place et les chaînes se multipliaient. Il y avait déjà peut-être le début d’une saturation d’images : dans les années 80, on commence à parler de zapping. Des gens qui ont beaucoup de curiosité et au moins une attente ne l’avaient plus dans ce flot télévisuel. Même si à l’époque, il n’y avait que 4 ou 5 chaînes en France, c’était déjà beaucoup. Le court métrage, à mon avis, a représenté une alternative, c’est-à-dire un espace dit de liberté. Le mot est un peu cliché mais il recouvre quand même une idée très précise des durées (les films ne sont pas contingentés dans des tiroirs d’une heure et demie) et de la variété des histoires. En une heure et demie, on passe d’une histoire à une autre de façon assez merveilleuse. Je pense que c’est ça que les gens ont aimé et aiment toujours.


C : Dans les années 80, le court s’infiltre pourtant dans l’audiovisuel français.
G.C. : Oui, dans ces années-là, les télévisions s’intéressent aux courts. Antenne 2 a ouvert le feu en 1982 grâce à une équipe de 3 ou 4 jeunes producteurs, eux-mêmes réalisateurs de courts, qui ont uni leurs forces à l’intérieur de la chaîne pour convaincre la direction de leur donner une petite case. (…) Puis, ce fut le tour de France 3 et de Canal +. Sous l’impulsion de quelques personnes à l’intérieur des chaînes, TF1 et M6 s’y sont mis, même si leurs cases n’ont tenu que quelques mois. Donc, l’idée de case télé a existé et l’idée de budget pour acheter les films a été décidée et n’a jamais été remise en cause, en tout cas sur les chaînes publiques. Sans compter le fait que les chaînes thématiques diffusent également du court.


C : Quelle est ta perception des courts de Wallonie et de Bruxelles ?
G.C. : J’ai passé dix ans à m’occuper de la sélection des courts pour la Semaine de la Critique que j’ai mise sur pied en 88 avec l’appui de Robert Chazal, critique à France Soir et président de notre syndicat de la critique. [Jusqu’en 88, la Semaine de la Critique de Cannes ne projetait que des longs]. Pour faire ma préselection, je me déplaçais à l’étranger, y compris au festival de Bruxelles qui comprenait une section « court métrage ». Pendant dix ans, en janvier, je venais voir la quasi intégralité de la production, films d’école et films produits confondus. (…) J’ai été surpris du nombre. Je pensais qu’il y en avait 15 ou 20. On m’a dit : « non, si tu veux, tu peux en voir 120. » Très bien, j’étais preneur. Forcément, les 120 ne m’ont pas tous plu - c’est normal- mais les 20 ou 30 que j’ai remarqué m’ont épaté.


C : En dix ans de visite, qu’as-tu découvert sur la production et la diffusion du court belge ?
G.C. : J’ai compris qu’il y avait une production existante de qualité, structurée avec des aides publiques pas totalement comparables aux nôtres. Donc, la possibilité de produire était là. Quant à la diffusion….J’ai assisté à quelques débats où effectivement, les plaintes portaient là-dessus : comment faire voir nos films ? Quand j’en prenais un pour Cannes, c’était la bulle d’air : un film allait être vu à Cannes ! Bon, c’est important pour tout le monde mais [en Belgique], je sentais qu’il y avait une certaine angoisse par rapport à ça : que les films soient vus. Et ce n’est que légitime. (…) L’Agence du court métrage française ayant fait ses preuves à partir de 83, d’autres agences sont nées dans son sillage : en Allemagne, en Suisse, en Italie et en Autriche. Ça a fait tâche d’huile donc, on s’était dit : « les Belges vont faire pareil : ils vont créer une agence. » Et visiblement ça n’a été pas le cas.


C : Effectivement, la Belgique a un retard de 20 ans sur vous. Mais on garde espoir qu’une structure étatique surnommée « Agence du court belge » voit le jour. Avant la remise des prix du festival, peut-on aborder tes coups de cœur dans cette programmation ?
G.C. : Normalement, je ne dois pas citer les titres avant 20h30 (rires)!


C : Dans ce cas, penses-tu qu’il y a une spécificité belge dans le court métrage ?
G.C. : Non, il n’y a pas une belgitude forcenée du court métrage. Il y a un humour belge qui n’est pas l’humour français à l’exemple de Pic Pic André. Ça, je ne l’ai vu qu’en Belgique. En France, il y a aussi des séries, des gens qui font ce genre de trucs, mais c’est un autre humour. Je ne vois pas de disparité majeure mais ce n’est pas restrictif de constater ça. Non, le court métrage belge a les qualités et les défauts du genre, c’est-à-dire parfois une complaisance sur les durées avec un petit côté « qu’est-ce que je filme bien, hein ?! Je vais mettre 3 minutes de plus.» Dans le pire des cas, c’est ça et dans le meilleur, on veut un petit peu trop bien faire en calquant certains stéréotypes américains ou autres. Le court est un espace de liberté justement, donc c’est là qu’il faut s’amuser à prendre des risques. J’aime mieux voir un film risqué et planté qu’un film réussi et plan plan. Voilà, je ne vois pas la production belge avec un œil différent de la française, l’anglaise ou l’italienne.Il n’y a pas de belgitude mais il y a un niveau qui est parfaitement maîtrisé. Plus précisément sur cette cuvée 2005-2006, j’ai constaté un regain du film d’animation, ce que j’ai par ailleurs déjà perçu en France depuis 4-5 ans. 


C : Dans cette programmation belge, tu as donc jugé l’animation intéressante ?
G.C. : Oui, sur les 46, il y avait une bonne douzaine de films d’animation : tous étaient très bien y compris ceux que je n’ai pas aimés ! Ce n’est pas un sophisme que de dire ça : il y en a que je n’ai pas aimés parce qu’ils ne correspondent pas à ce que j’aime voir mais ils sont néanmoins bien faits. Les films d’animation restent encore assez traditionnels; l’ordinateur intervient quasiment dans tous les films mais comme un appoint pour aller vite et pour faciliter les tâches. La technique et l’inspiration demeurent, elles, artisanales. L’animation, c’est quand même une œuvre d’auteur intimiste. C’est bien d’avoir des studios bien équipés et de gagner du temps, mais ça ne doit pas se faire au détriment de la qualité. Je trouve très bien que la tradition soit maintenue. A mon sens, le modernisme ne donne pas ou pas encore le souci de qualité permis par la tradition.


C : Et en ce qui concerne la fiction ?
G.C. : Par rapport à la fiction, j’ai trouvé qu’il y avait beaucoup d’inventivité, peu de risques, peu d’audace mais pas de complaisance, des bons sujets et des personnages surtout. Il y a beaucoup de naturalisme là comme en France, ce qui m’insupporte dans son rapport au réel : des personnages qui parlent comme ils parleraient dans la vie courante. Mais non, dans la vie courante, on ne parle pas comme devant une caméra ! Donc, c’est forcément faux et contradictoire : ça devrait être du surréel et à mes yeux, ça devient du « surfaux ». Moi, je veux que le cinéma m’emporte, qu’il soit un vecteur d’émotion dans un premier temps. Après, l’esprit critique tordu fait son travail et triture tout. Ce que j’aime en tant que critique, c’est qu’on donne au public quelque chose d’assez exact. Je trouve donc que le naturalisme est quelque chose d’assez pervers et vite complaisant parce que comme c’est du temps réel, on excuse les temps perdus et des scènes qui traînent. Le temps réel, moi, je n’en ai rien à foutre au cinéma. Au cinéma comme au théâtre, c’est du temps dramatique donc, il faut l’assumer comme tel. (…) Néanmoins, dans ce fond naturaliste, il y a un film qui est sorti du lot et qui a eu le Grand Prix. Et j’assume parfaitement ce Grand Prix que tu découvriras tout à l’heure !  

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