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Green Border d’Agnieszka Holland

Publié le 15/02/2024 par Nastasja Caneve / Catégorie: Critique

Récompensé par le prix spécial du jury lors de la dernière Mostra de Venise, le dernier long métrage de la Polonaise Agnieszka Holland est une plongée en enfer, celui des migrants ballottés dans une forêt dense et hostile à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie. Basé sur des faits réels et sur des témoignages, le film est sans concession et le spectateur doit être solidement accroché face aux horreurs innommables subies par ces milliers de migrants venus d’Afrique et du Moyen-Orient pour rejoindre l’Europe Eldorado. Parmi ces réfugiés, on retrouve une jeune Somalienne, interprétée par la Lokita des frères Dardenne, Joely Mbundu.

Green Border d’Agnieszka Holland

 

Green Border s’ouvre sur une vue aérienne d’une forêt majestueuse aux verts puissants. Mais cette vue paradisiaque disparaît, les couleurs s’estompent progressivement pour laisser place au noir et blanc. Confortablement assis dans l’avion qui les conduit vers l’Europe, une famille syrienne, parents, enfants, grands-parents regardent leur meilleur avenir à travers le hublot. Ils y sont presque, ils sont presque arrivés en Suède, mais ils ignorent que le calvaire ne fait que commencer.

Le film a cela d’original qu’Agnieszka Holland aborde un sujet qui est méconnu, ce qui lui vaut d’ailleurs beaucoup de menaces venant de l’extrême droite. On voit souvent les parcours des réfugiés qui tentent de rejoindre l’Europe via l’Espagne ou l’Italie, pas via la Pologne et la Biélorussie où les réfugiés sont balancés comme de vulgaires sacs poubelles d’un côté à l’autre de la frontière sans comprendre pourquoi. Un autre aspect qui le distingue d’autres films sur la migration, c’est qu’elle multiplie les points de vue : celui des migrants, celui des gardes-frontières, celui des activistes proactifs.

Grâce à ce découpage, le spectateur n’a pas une vision unilatérale de la situation. De plus, elle a convoqué une série de personnages qui sortent des cases. Dans le premier chapitre, on découvre les différents parcours des migrants venus d’Afghanistan, de Syrie, de Somalie. Alors qu’ils perdent progressivement leur humanité, ils tentent de survivre dans des conditions hostiles, ils ont froid, ils ont faim, ils sont à bout de force, ils s’enfoncent dans des marécages qui ne les rendront jamais. Le tableau peint jusqu’ici est noir, d’une violence inouïe.

Le deuxième chapitre met l’accent sur les gardes-frontières et sur l’endoctrinement dont ils font l’objet. On leur fait croire que ces migrants sont des kamikazes qui seraient prêts à envahir la Pologne. Parmi eux, il y a ce jeune homme, bientôt père de famille, qui est assailli par la culpabilité et qui fera comme bon lui semble. Cette perspective d’ouverture se retrouve aussi au sein de la population locale. On suivra une Polonaise, d’une cinquantaine d’années, psychologue qui fera ce qu’elle pourra en aidant les activistes.

Malgré la multiplicité des points de vue, le travail formel de la réalisatrice permet de constituer un récit solide et homogène. Le noir et blanc rend l’atmosphère lugubre et glaçante. Le travail sur le son est grandiose. Chaque craquement, chant d’oiseau, souffle, appel à l’aide résonne dans cette immensité d’arbres majestueux. Si un migrant respire trop fort, il sera exécuté et les spectateurs, comme les protagonistes, doivent retenir leur souffle jusqu’au bout.

Agnieszka Holland termine son film par un épilogue édifiant. Alors que les migrants venus d’Afrique et du Moyen-Orient meurent avec leurs enfants asphyxiés dans les marécages, les Ukrainiens fuyant leur pays en guerre montent dans des bus avec leurs animaux de compagnie. La réalisatrice a pris des risques en dénonçant la politique d’asile de son pays, mais son film puissant met le doigt sur les injustices, les incohérences, la bêtise humaine, mais aussi sur les infimes traces d’humanité restantes.

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