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Rencontre avec Grégory Lacroix, responsable du Ciné4, le nouveau cinéma de Nivelles

Publié le 04/03/2020 par David Hainaut et Constance Pasquier / Catégorie: Entrevue

« L'idée de ce cinéma est aussi de créer du lien et d'aller au-delà de la simple exploitation cinématographique. »

 

"Face à nos pays voisins (Allemagne, Angleterre, France, Pays-Bas), la Belgique a un manque criant de sièges de cinéma par habitant !", nous expliquait Thibaut Quirynen en mai dernier, alors qu'il ouvrait le cinéma Kinograph à Ixelles. Neuf mois après le quartier universitaire bruxellois, c'est au tour de Nivelles de voir naître une nouvelle salle obscure, dans une ville qui compte 30 000 habitants.


Et c'est Grégory Lacroix, 34 ans, qui a été désigné responsable du "Ciné4" – qui comprend deux salles de 150 et 80 places - le 17 février dernier, après 17 ans d'une longue attente pour les habitants d'une cité qui a compté jusqu'à trois cinémas dans les années soixante.


Là-même où a fermé en 2003 "L'Athéna", le dernier cinéma de la ville, avant l'ère du numérique, nous avons rencontré ce programmateur venu du cinéma "L'Écran" à Ath où, en trois ans à peine, ce Liégeois vivant à Bruxelles est parvenu à y doubler (!) la fréquentation. Réputé humble et perfectionniste, ce passionné a aussi collaboré au ciné-club de l'Université de Liège, où il a étudié le 7e art.

Cinergie : En lançant ce nouveau cinéma à Nivelles, est-ce vous sentez déjà venir combler un manque, dans la région ?
Grégory Lacroix: Je crois effectivement que nous avons une belle carte à jouer ici. Jusque là, les Nivellois soulignaient qu'ils devaient se déplacer soit à Braine-L'Alleud soit à Bruxelles pour voir un film. Ou parfois à Charleroi ou à Mons pour aller vers un cinéma de qualité. On peut donc attirer ici un public sur une zone géographique large, tout en misant sur le créneau Art et essai. On verra comment les choses évoluent, mais le public est déjà assez réceptif.

C. : Mais comme cela a été dit, le créneau "Art et essai" ne sera pas le seul axe visé...
G.L. : Oui. Il s'agit d'abord de trouver l'équilibre, en faisant quelques ajustements au début. On teste en fait certaines choses en restant ouvert à tous les publics, sans se fermer à personne donc. Je dis "Art et essai" car il y a un public demandeur pour cela. Pas forcément des plus jeunes, mais on aimerait aussi amener ceux-ci vers quelque chose de plus qualitatif, d'autant que Nivelles est une ville fort estudiantine. On envisage d'ailleurs de mettre en place des collaborations concrètes avec eux. N'oublions pas aussi qu'on est dans un cinéma de ville et qu'il y a une population à satisfaire. Les Nivellois ont longtemps attendu ce moment : ils ont tous envie de s'y retrouver.

C. : Votre cinéma a été inauguré le 17 février dernier avec le film Escapada d'une réalisatrice locale, Sarah Hirtt. Comment se passent ces débuts ?
G.L. : Comme on a eu le temps de bien se préparer, tout s'est déroulé comme prévu. Les deux salles étaient remplies et le public déjà enthousiaste. Puis, nous avons accueilli au moins un millier de personnes à l'occasion de nos portes ouvertes, où les gens pouvaient découvrir les lieux et les bande-annonces des prochains films. La programmation est fixée trois semaines à l'avance, avec un volume étoffé de titres, pour permettre aux gens de bien organiser leur agenda. Tout ça en marge de programmations spécifiques, comme l'avant-première de Woman le 8 mars pour la journée des droits des femmes, ou des séances de rattrapages des films des Magritte et des César.

C. : L'attente du public n'est-elle pas aussi liée au "feuilleton des travaux", auquel on a eu droit en coulisses, largement relayé dans la presse locale ?
G.L.: Oui (sourire). C'est vrai que le chantier a commencé en février 2017 et l'ouverture aurait dû se faire fin 2018. Mais entre temps, il y a notamment eu l'épisode de l'isolation acoustique (NDLR : oubliée, celle-ci a nécessité le recommencement de longs travaux !), ce qui a causé du retard et postposé l'ouverture en septembre 2019. Mais cela n'a finalement pas été possible non plus. On a ensuite raté le coche de la Toussaint, puis celui de la Noël. L'idée était ne surtout pas louper la période de Carnaval, pour que les familles puissent profiter du cinéma pendant les congés.

C. : Cela dit, pendant ces reports, l'échevin de la culture Grégory Leclercq a précisé que vous étiez loin de vous croiser les doigts. C'est-à-dire ?
G.L. : C'est vrai (sourire). Pendant ce temps-là, j'ai surtout mis en place le matériel, les équipements, la billetterie, le site internet et j'ai assuré le recrutement d'une équipe de projectionnistes à mi-temps, puisque nous sommes ici quatre jeunes cinéphiles très complémentaires, en plus d'un collègue qui nous aide pour la communication visuelle (animation, logo, graphisme, tickets...). Nous avons aussi pu nous tester cette hiver un peu plus loin, au Centre Culturel, à travers l'événement "Nivelles fait son cinéma", avec des projections familiales l'après-midi, des ciné-clubs en soirée, des débats, des repas et des animations pour le jeune public. Nous y avons mis du cœur, habillé cela avec élégance, et c'était convivial. Le projet a été un succès, puisqu'on a enregistré 1600 entrées en huit jours. Et cela nous a permis de commencer à connaître le public.

C. : Vous tablez sur un objectif de 50 000 personnes par an. Ce chiffre reste correct ?
G.L. : Oui. Ce qui me semble réalisable a priori avec 2000 projections prévues par an, soit une moyenne de 25 spectateurs par séance. Dans la région, il y a pas mal de cinémas implantés à tendance commerciale. Du coup, on a ici un public qui a envie d'un autre cinéma, tout en trouvant une alternative aux complexes, notamment pour les familles. On s'est battu pour arriver à des tarifs démocratiques, puisque la place normale est à 7 euros et le tarif réduit à 5,80 euros (pour - de 26 ou + de 60 ans). Avec des séances sans nourriture, sans entracte et avec trois minutes de publicité maximum.

C. : Pourquoi ?
G.L. : Car nous n'avons pas envie d'inciter les gens à consommer et de causer des nuisances sonores aux spectateurs que cela dérange. Nous nous sommes juste permis quelques boîtes de bonbons et on a mis en place un bar qu'on espère fédérateur, avec des bières spéciales et du vin. Quant à la pub, on a fixé cette limite malgré énormément de demandes de commerces et d'entreprises : d'une part car cela reste une ressource importante sur un projet qui démarre, et d'autre part parce qu'on veut laisser la place aux bande-annonces et bien sûr aux films, qu'on proposera tous en version originale, pour habituer les gens à cela. Comme les tarifs, c'est là aussi un parti pris. Puis, on bénéficie de sièges confortables et d'installations techniques dernier cri.

C. : Car le public d'un cinéma de 2020 a parfois besoin d'autre chose ?
G.L. : Je pense, oui. On a tout à gagner en faisant cela ici. Le Ciné4 (NDLR: dont le nom est en lien avec l'adresse du bâtiment, au 4 Rue de Soignies) est un petit cinéma à taille humaine, où on est vite amené à discuter avec des gens. C'est valable aussi pour l'accueil et l'équipe qui m'accompagne, qui a à coeur de partager et parler de la programmation avec le public, avant et après les films. L'idée est aussi de créer du lien et d'aller au-delà de la simple exploitation cinéma. Et s'il est vrai qu'en Belgique, les distributeurs disent souvent manquer de salles pour leurs films, je dirais qu'il faudrait surtout une plus grande diversité d'écrans. Avec un type de programmation qui fait peut-être parfois défaut...

C. : Vous avez récemment intégré le comité de sélection des courts-métrages des Magritte. On imagine que vous aurez aussi envie de montrer du cinéma belge, ici ?
G.L.: Oui. Personnellement, j'y suis sensible depuis toujours. J'aime mettre en valeur les réalisateurs de courts-métrages, soit de films trop peu montrés en salles, que ceux de premiers longs, car ce sont les talents de demain. On organise d'ailleurs notre première séance de courts-métrages belges ("Haut les cours") en présence de réalisateurs le 5 mars, avec notamment Une Soeur (de Delphine Girard, nommé aux derniers Oscars) et Matriochkas (de Bérangère McNeese, Magritte 2020 du meilleur court-métrage). Et après Sarah Hirtt avec Escapada, on recevra Olivier Masset-Depasse (Duelles) et Laurent Micheli (Lola vers la mer). Ce sera là encore des occasions de créer des échanges entre les réalisateurs et le public, et mieux faire connaître le cinéma belge.

C. : Vous semblez être là où vous le souhaitiez, on dirait...
G.L. : C'est vrai que je ne me vois pas faire autre chose ! J'avais envie d'un nouveau challenge, et participer à l'histoire de cette rénovation m'enchante. Je suis heureux, entouré de gens agréables et impliqués à tous les niveaux. Je retrouve un peu l'esprit et la dynamique que j'ai toujours adoré quand j'étais bénévole au ciné-club de l'Université de Liège. Où j'avais alors étudié le cinéma sans trop savoir où j'allais finir. J'ai mis un peu de temps avant de trouver un sillon dans l'exploitation, mais l'expérience acquise au cinéma d'Ath a été importante, comme au Ramdam Festival. Je garde mes plus beaux souvenirs d'échanges. Mais après tout, c'est aussi et justement ce que permet le cinéma...

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