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Hélène Vayssières, reponsable des courts et moyens métrages à ARTE France et de l’émission Court-Circuit.

Publié le 12/09/2007 par Katia Bayer / Catégorie: Entrevue

À ARTE, le court métrage s’active dans une case définie : « Court-circuit ». Regards originaux, œuvres internationales et de jeunesse : l’émission s’est offert de l’éclectique à souhait pendant 13 ans. Depuis début 2007, « Court-circuit OFF » occupe le Net en guise de complémentarité à l’antenne et d’interactivité avec le téléspectateur. La responsable de la nouvelle formule de « Court-circuit », Hélène Vayssières, était présente au dernier festival du court métrage de Bruxelles. Conversation sur l’herbe, sous le soleil et autour d’une forme subtile et courte.

Cinergie : Comment le court métrage s’est-il exposé sur ARTE ?
Hélène Vayssières : Avant qu’ARTE apparaisse sur le réseau hertzien, c’était une chaîne qui avait une fenêtre sur France 3, qui s’appelait la Sept et qui avait déjà une politique d’achat de courts métrages. Quand ARTE est devenue une chaîne franco-allemande, il y avait donc déjà cette mission de s’engager dans le court métrage. La chaîne a été créée en 92 et « Court-circuit » a dû apparaître en 93 ou 94. Au départ, c’était uniquement une case de diffusion de courts métrages apportés par la France et par l’Allemagne. L’organisation d’ARTE fait que la France apporte les films francophones à l’émission et l’Allemagne l’alimente par le reste du monde. Voilà un petit aperçu de l’organisation.


C. : Comment est-ce que l’émission se présente au niveau du contenu ? Je suppose que vous cherchez à vous positionner en proposant de nouveaux regards et des films assez forts.
H.V. : On est une chaîne culturelle européenne, donc on met l’accent sur les points de vue d’auteurs d’une manière générale européens mais également du monde entier. Et c’est vrai que la ligne éditoriale repose sur les points de vue particuliers, personnels et originaux, que ce soit sur le fond ou sur la forme.

C. : Justement par rapport à la forme, y a-t-il une envie de s’intéresser au numérique ?
H.V. : L’idée n’est pas de s’y intéresser ou non mais de s’interroger : est-ce que quelqu’un avec l’outil numérique va pouvoir proposer un point de vue personnel et original ? On a quand même une politique assez grande pour tout ce qui touche le film d’animation d’auteur et on constate qu’il y a beaucoup d’utilisation du numérique, de la 3D, des effets spéciaux, etc. Ainsi qu’une tendance à être dans une recherche de nouvelles formes, avec de nouveaux outils par le biais de l’expérimental.

C. : « Court-circuit » a sa place depuis 93 dans la grille d’ARTE. D’autres rendez-vous consacrés au court existent. Comment est-ce qu’on implante une case régulière dans une grille de programmation? En créant une spécificité, en déterminant sa propre ligne éditoriale ?
H.V. : En fait, ce n’était pas très difficile d’implanter une case de courts métrages dans la grille d’ARTE. Effectivement, quatre chaînes hertziennes diffusent du court métrage selon des lignes éditoriales plus ou moins spécifiques. Nous, par exemple, par rapport à France 2 ou France 3, diffusons vraiment des courts métrages du monde entier. Donc, c’est beaucoup plus éclectique et pas franco-français. Ce côté échantillon du monde au niveau du court est un peu notre spécificité par rapport aux autres cases en France. Par la suite, dès 2001, on a développé une partie magazine à l’intérieur de « Court-circuit » : des sujets qui parlent du court, qui s’intéressent aux commentaires des réalisateurs et des producteurs du milieu, qui proposent des making-of et qui suivent le travail des écoles de cinéma et des festivals.

C. : Ce n’est pas aussi une façon de proposer une perspective à ces courts, de montrer justement des sortes de of, de bonus ?
H.V. : Oui. On essaye de montrer le milieu du court : comment est-ce que ça se fabrique, avec quels moyens, dans quelle optique et quels sont ses dessous ? L’idée était d’ouvrir un petit peu ce monde au grand public. En 2001, on a aussi commencé à développer Internet toujours dans cet esprit « coulisses du court ». Au début 2007, on a encore plus mis l’accent sur Internet car on a perdu notre case d’après-midi sur le câble et le satellite. Donc, on est programmé uniquement le soir à partir de minuit et demi ou une heure du matin et on trouve dommage que le court métrage soit réservé aux insomniaques ! Est ainsi apparu « Court-circuit OFF » qui est vraiment le pendant de l’antenne sur Internet. On peut y retrouver tous les sujets magazine en libre service, des ateliers autour du court, des petits films d’animation gratuitement ou en VOD (Video on Demand).

C. : Ça  semble assez spécifique parce qu’il y a non seulement une interactivité (à l’instar du Final Cut, le montage personnalisé, une façon pour le spectateur d’intervenir dans un film et de se rendre compte d’un autre dessous de la création) mais aussi une complémentarité avec l’émission…
H.V. : Oui. L’idée était de mettre des outils à disposition des téléspectateurs et des internautes pour se rendre compte de ce qu’est le cinéma. Ce n’est pas uniquement être dans un statut de spectateur qui regarde mais c’est aussi l’insérer dans une expérience, le faire participer en donnant son avis sur les films, en le faisant voter pour élire le meilleur film d’un festival en ligne de films d’écoles d’animation qu’on a élaboré. Donc, c’est faire passer le spectateur d’un état passif à un état actif.

C. : Avec une autre différence : le spectateur ne se déplace pas dans un festival pour intervenir dans l’avenir immédiat d’un film. Le « prix du public » se décide à domicile…
H.V. : Oui. Et comme on est quand même une chaîne de service public, on fait en sorte que beaucoup de choses soient mises à disposition des téléspectateurs gratuitement. Pour nous, cet accès libre est assez important. Effectivement, la VOD est payante mais ce n’est pas très cher : ça tourne autour d’un euro pour visionner un court métrage et un peu plus pour un moyen métrage. Il faut savoir que depuis 2001, on a développé aussi « Medium », une case de diffusion pour les moyens métrages. En fait, le moyen métrage n’existe pas dans la législation française. Celle-ci comporte uniquement la définition du court métrage qui existe jusqu’à 59 minutes; après, ça devient un long. Mais nous avons créé une case de moyens métrages qui commence à 31 minutes et qui s’arrête à 59. Ca veut dire qu’ARTE couvre tout le spectre du court métrage, d’une minute à 59 minutes. Ça fait aussi notre spécificité…

C. : Avec toutes ces idées, est-ce que vous sentez que depuis 92 et notamment avec le tournant de 2001, vous favorisez la circulation et la visibilité des courts tout en permettant à des jeunes auteurs de se faire connaître ? Forcément, la réflexion se nourrit au fil du temps…
H.V. : Oui, forcément. Le fait d’avoir développé Internet fait partie de cette réflexion. J’espère vivement qu’en 2008, les courts métrages seront diffusés un petit peu plus tôt dans la grille d’ARTE. Pas trop tôt pour autant parce que sinon on perdrait une liberté éditoriale. 23 heures, ce serait vraiment l’idéal pour le court métrage. Ça, c’est vraiment mon souhait et j’espère qu’on y arrivera. Bien sûr, il faut faire connaître les réalisateurs en herbe qui pourront faire le cinéma de demain mais également s’intéresser à la découverte et à l’apprentissage de l’image et de la forme audiovisuelle.
Et puis, aujourd’hui, on est abreuvé d’images, on a très peu de temps pour y réfléchir et ce flot perpétuel amène à une société différente. Donc, ça me semble bien de prendre aussi le temps de la réflexion et d’imaginer quelle société on veut pour demain.

C. : Quel est votre regard sur la situation du court français tiraillé entre une vitalité géniale (grâce aux festivals, aux télés, aux systèmes d’aides,…) et un contenu qui ne semble pas refléter une prise de risque généralisée (centré sur une forme de nombrilisme et des thèmes souvent très étudiés et prévisibles) ?
H.V. : C’est effectivement un constat qu’on fait : c’est un petit peu le revers de la médaille. On a la chance d’avoir en France le CNC (Centre National de la Cinématographie) dont l’organisation permet au cinéma français d’exister de manière assez forte, tant au niveau du long métrage qu’au niveau du court métrage. Il y a également beaucoup d’aides qui se sont développées en région. Donc, le cinéma français est très soutenu mais on remarque effectivement que le système d’aides peut avoir un effet pervers : il y a une espèce de course à l’obtention des aides (la plupart publiques) au détriment souvent de la création et du travail sur les scénarios. Ca ne veut pas dire qu’il faut supprimer ces appuis mais il faudrait peut-être un petit peu rééquilibrer les aides à la production et avoir un système d’aides beaucoup plus développé au niveau du scénario.

C. : Vous êtes amenée à vous intéresser de temps en temps du court belge ?
H.V. : Oui. À ARTE France, on achète des courts métrages francophones donc automatiquement belges. Et les coproductions entre la France et la Belgique francophone sont assez fréquentes et naturelles, ne fût-ce que par la langue commune. C’est déjà une tradition assez grande en long métrage mais maintenant, ça arrive de plus en plus  dans le court métrage. Egalement au niveau de l’animation avec, par exemple, Les Films du Nord qui ont un pied en France et l’autre en Belgique.

C. : Cela peut sembler réducteur mais estimez-vous qu’il y a une spécificité du court belge ? Que pensez-vous de son fond comme de sa forme ?
H.V. : Disons que c’est surtout au niveau de l’humour que l’on peut reconnaître du premier coup d’œil un court belge comme l’on peut reconnaître effectivement le cinéma intimiste français ! Au niveau de la forme du sujet traité, les films sont beaucoup plus élaborés et beaucoup plus proches des techniques anglo-saxonnes du côté francophone que du côté flamand. Une autre constatation, c’est que les courts français sont souvent longs et lents. Ils tournent généralement autour de 25 à 30 minutes alors que les belges font plutôt 15 à 16 minutes. Mais bon, ce que je retiens vraiment comme grande force des Belges, c’est la spécificité de l’humour. Des exemples ? J’avais beaucoup aimé Tous à table qu’on avait acheté et je me souviens aussi de Surveiller les tortues qui n’était pas un film comique mais qui avait un côté absurde. Oui, Ursula Meier et Inès Rabadan, ce sont vraiment deux auteurs avec des spécificités très belges !


« Court-circuit » est diffusé tous les mercredis après minuit et par Internet (Court–circuit OFF). Toutes les infos sur : http://www.arte.tv/fr/cinema-fiction/Court-circuit/184414.html

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