Cinergie.be

Icare de Nicolas Boucart

Publié le 23/01/2019 par Sarah Pialeprat / Catégorie: Critique

Tout le monde connaît ces images : un homme vêtu d’un costume caoutchouté muni d’ailes triangulaires de sa fabrication saute du premier étage de la Tour Eiffel… bas des bras, et s’écrase lamentablement sur le bitume. 5 secondes, et s’en est fini de son rêve… L’homme a 33 ans, on est en 1912. Depuis le célèbre Icare qui, grisé par les ailes de cire que lui avait confectionnées son père, s’écrasa lui, dans la mer, l’homme n’a cessé en effet de vouloir conquérir le ciel. Tout est bon pour s’envoyer en l’air. Pas étonnant que l’art soit truffé de machines volantes, de Léonard de Vinci à Panamarenko, de Rebecca Horn à André Robillard et que les films regorgent de ces êtres rêveurs qui poursuivent ce rêve fou. Car quoi de plus beau en effet ?

Dans la longue lignée des hommes-oiseaux, le cinéaste Nicolas Boucart, 37 ans, ajoute encore un personnage à la liste avec un court-métrage qui dit bien son nom : Icare… L’originalité est qu’ici le fou ne vole pas lui-même mais poursuit son rêve par procuration, « embauchant » pour cela un orphelin poids léger qui pourra faire l’affaire… Il faut dire que le vieil homme (l’acteur Philippe Rebbot) a passé l’âge et que son corps a déjà bien morflé… jambe raide, profondes cicatrices. De quoi ce corps porte t-il les traces ? Nul ne sait, mais on se doute un peu…
Icare, dès la première scène, nous transporte dans un univers onirique proche du fantastique et son esthétique bien marquée participe à cette atmosphère où le rêve est forcément puissant. L’histoire se passe aux alentours du début du siècle dernier dans une île aux roches escarpées sur laquelle seule une maison est battue par les vents. Splendide prison dans laquelle le jeune Joseph, assisté d’un garçon sourd et muet, s’entraîne avec acharnement sur des machines hallucinantes, est suspendu dans le vide jusqu’à l’évanouissement, goûte les vents contraires et scelle des pactes d’amitié dans les grottes. C’est que le vieux fou, pas tendre, ne lésine pas sur les moyens pour transformer son jeune apprenti en oiseau et le gamin, visiblement marqué par une vie terrible sait faire preuve d’endurance et de courage.
Rien, aucun détail biographique ne sera clairement révélé. Le cinéaste, tel le Petit Poucet, déploie son récit en laissant, ça et là, de petits cailloux qui permettent de raccrocher quelques fils de l’histoire jusqu’au dénouement tout en force et subtilité. Les scènes, volontairement longues et répétitives, nous entraînent à adopter une position contemplative et à faire corps avec une fable qui, contrairement à ce que l’on aurait pu croire est tout, sauf une ode à la liberté. Si la musique accentue parfois trop lourdement ce drame lyrique, les images somptueuses d’Hichame Alaouié laissent sans voix… Un film sombre et lumineux en forme d’oxymore qui montre de manière magistrale qu’un rêve puissant peut parfois tout détruire sur son passage. 

Tout à propos de: