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Inasmuch de Wim Vandekeybus

Publié le 01/02/2001 / Catégorie: Critique

Anacoluthes


"Si elle est isolée des autres formes artistiques, la danse ne m'intéresse pas." (*)
Treize ans après What A Body Does Not Remember, son premier spectacle de danse et point de départ de sa compagnie Ultima Vez, Wim Vandekeybus brille de la même originalité brute, pulsionnelle et prophétique. Après ses Last Words, basé sur deux nouvelles de Julio Cortázar et qui était projeté pendant les représentations de Film and Dance Theatre (Tokyo 1998), Inasmuch revisite sans paroles (épuisées, donc!) une autre malédiction du père et du saint-esprit probablement chère au living theatre : je parle moins du vieillissement accéléré qui touche le festival que du synchronisme des âges, de la naissance à la mort, dans l'espace-temps tordu et annelé d'un rêve de Normandie.


Inasmuch de Wim Vandekeybus

 

Une jeune femme accouche, le cri est lancé, sur la table de la salle à manger. A deux pas, prostrée dans un salon blue velvet arrondi qui me fait penser au café de mon grand-oncle Jef aujourd'hui changé en pompe à essence, une sorte de famille attend, élargie, louche comme les hublots qui regardent chacun, du plus jeune au plus vieux. Trois pas feutrés rendent mieux compte de l'immobilité, les comportements sont bizarres. Et le silence l'est plus encore, quand la mère crie ses contractions. Les visages sont pâles.
Pour tuer le temps et distraire les enfants, grand-père fabrique d'un geste méthodique et lent de planantes volutes de fumée bleue. La bouche moustachue d'un trentenaire coiffé pareil qu'un gitan s'empare du plus petit et le fait tournoyer, les ailes à demi déployées. Dans l'amplitude du faucon, l'enfant naît. Le jeune homme qu'il sera s'essaie déjà aux quelques pas, ignore ses limites, s'étourdit et se fait une bosse. Le rire rebondit, presque sourd et presque muet. Dehors, au détour de taillis et de futaies qui cernent l'aquarium, des hommes nus rôdent, une poignée peut-être, à quatre pattes, sauvages, brindilles et branches mortes cassant sèches dans la nuit sous la danse tribale de leurs pieds.


Inasmuch de Wim Vandekeybus

 

Sorti prendre l'air sur le pont du navire, le nouveau père, capitaine halluciné, vient de voir défiler sous ses yeux, âge par âge, tranche après tranche, comme on épluche une banane verte, la vie future de l'être qu'il vient d'aider à venir au monde. Un vieillard mourant et ricanant a fini dans ses bras. Magie, grandeur et petitesse de la chaîne de la vie : le jour se lève à peine que déjà la mère doit rendre aux vents tourbillonnant les cendres de son fils. Un cri de plus, qui s'étouffe avant d'atteindre les collines.
"En tant que spectateur, vous reconnaissez d'abord votre propre monde de tous les jours, puis furtivement vous en observez un autre - avant que l'obligation de revenir ne reprenne le dessus !" (*)
La musique acoustique lentement convulsive de Marc Ribot se dilue avec bonheur et précision dans l'étrange atmosphère de salle d'attente de ce " film familial " tourné à bord d'un vaisseau fantôme : le Normandie, perdu, loin des mers et océans. La question n'est sûrement pas de savoir s'il faut encore faire des enfants...

 

* Wim Vandekeybus, tiré du catalogue de son spectacle In spite of wishing and wanting, 1998

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