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Rencontre avec Joëlle Milquet, ministre de la culture et de l'éducation

Publié le 03/02/2015 par Dimitra Bouras / Catégorie: Entrevue

Cinergie s'est brièvement entretenu avec la Ministre de la Culture et de l'Enseignement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Joëlle Milquet, lors de la présentation de son programme culturel "Bouger les lignes", au Théâtre National le 19 janvier 2015.

Cinergie : En début de programme, avant votre allocution, des artistes ont pris la parole pour s'exprimer sur le sens qu'ils donnent au mot Culture et d'autres pour présenter leurs projets. Est-ce une manière d'illustrer votre désir de « replacer l'artiste au centre des institutions » ?
Joëlle Milquet.: Ce n'est pas par hasard si j'en ai parlé. Je trouve que le rôle d'un ministre de la culture, c'est de permettre de meilleures conditions pour le déploiement de la créativité des artistes. Sans s'immiscer dans leur créativité, bien entendu. Ces derniers temps, c'est surtout les institutions coûteuses qui ont été au cœur des financements et des politiques. Et l'artiste a été en quelque sorte ignoré, négligé. Ma volonté est de remettre le curseur, - comme pour l'école aux enseignants -, dans la culture, aux artistes. Car, sans eux, il n'y aurait pas de culture. C'est eux, qui font le boulot; c'est eux, qui créent. En n'aidant pas l'artiste, on n'aide pas la culture à se développer. Il faut arrêter de se tromper de priorité. Je préfère mettre mon budget, mes projets, avant tout sur l'accompagnement, l'aide à la création, la promotion, la diffusion et le soutien des artistes.

C. : Vous avez dans vos attributions ministérielles l'enseignement et la culture réunis. Est-ce un choix personnel ?
J. M.: Pour être tout à fait honnête avec vous, avant que l'on me le propose, je n'étais pas au courant. Je n'ai eu que quelques minutes pour me décider. Je l'ai appris en plein défilé du 21 juillet (2014), j'occupais encore la fonction de ministre de l'intérieur. La situation politique étant ce qu'elle est, et bien que je sois passionnée par divers sujets, ma passion pour les éléments fondateurs de l'essence même du devenir de l'être humain, à savoir l'éducation et la culture, a fait pencher la balance et m'a permis de prendre une décision en très peu de temps. Et puis,c'était quelque chose qui me semblait essentiel en terme d'investissement politique. Bien évidemment, ce n'est sûrement pas les politiques les plus médiatiques et les plus visibles, mais, ce sont les plus essentielles pour la société de demain et d'aujourd'hui. Car, l'éducation et la culture, engendrera la société du futur. Elles sont à la base de tout, des politiques d'emploi, d'économie, de sécurité, de diversité, de respect de l'autre, de citoyenneté, de démocratie... Si, on n'apprend plus la démocratie à nos enfants, si, par la culture, on ne fait plus passer les valeurs, si on n'organise plus rien entre les citoyens peu importe leur origine, on ne leur donne plus les notions, le sens des choses: l'humanité n'existerait plus!

C. : Comment pensez-vous lier la culture et l'enseignement ?

J. M. : L'évolution du monde vers la transition numérique, nous oblige à repenser nos politiques culturelles. On doit offrir une nouvelle vision culturelle qui assume cette transition numérique tout en incluant beaucoup plus l'alliance entre l'école et la culture. Ensuite, selon la demande, on doit s'étendre vers de nouveaux publics, et changer le paysage culturel de gouvernance afin de s' adapter aux nouvelles donnes. Premièrement, les futurs créateurs passent par l'école. C'est là, qu'on apprend à être innovant, à être autonome, à pouvoir se déployer dans une activité créative qu'elle soit culturelle ou autre. Deuxièmement, c'est à l'école que l'on fait de la démocratie culturelle. Parce que tous les enfants sont dans la même classe et que, quelque soit le degré de culture des parents, ils ont accès à tout. 
Joelle Milquet, ministre de la culture et de l'éducationTroisièmement, la créativité est fondamentale pour les apprentissages. Une étude démontre que les enfants d'école primaire qui ont suivi des cours de musique relativement structurés pendant trois ans, ont une mémoire et une maîtrise des apprentissages 30% supérieurs aux autres quelles que soient leurs origines, quelque soit leur niveau intellectuel. Arrêtons de croire que la culture, c'est de l'occupationnel ou du luxe. Elle est fondamentale à la structuration de l'éducation de demain. De ce fait, je compte créer un programme avec des initiatives collectives, avec des partenariats nouveaux entre l'école et la culture.

C. : L'artiste c'est le contestataire. Est-ce qu'on peut mettre de la contestation à l'école?

J. M. : Être contestataire c'est être un peu rebelle, c'est être vigilant, c'est poser les bonnes questions. Et mettre un peu de contestation ne relève pas de l'absurdité. Mettre un peu de contestation aux jeunes pour leur dire « vous passez la plupart de votre temps à tuer des gens dans vos jeux vidéos alors qu'il y a plus intéressant à faire », ça, c'est être contestataire. Ou lui dire qu'au lieu de consommer il pourrait faire, créer, c'est être contestataire. Au fond que signifie la contestation? Par rapport à quel ordre établi la définit-on ? Ce qui est primordial, c'est d'avoir des croisement de contestations et des croisements d'affirmations. C'est l'essence même de la diversité! C'est ce qui permet aux jeunes d'avoir l'esprit critique. Cela permet de donner du sens au contenu culturel qui l'entoure.

C. : Vous ne craigniez pas d'ébranler l'institution « Enseignement »?

J. M. : Mais toute évolution doit passer par un ébranlement. Quand on a donné le droit de vote aux femmes, tout le monde pensait que c'était la fin du pays. Regarder le résultat aujourd'hui. Tout « État » doit passer par un bouleversement, c'est l'essence de la vie. Si on ne bouleverse pas et si on ne change pas la qualité et l'équité de notre enseignement, nous courons vers un énorme problème.