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Joeri Christiaen, où comment exporter l'animation belge dans le monde entier à coups de champignons

Publié le 25/11/2021 par Kevin Giraud et Vinnie Ky-Maka / Catégorie: Entrevue

Une forêt où les champignons parlent, un Moyen-Âge décalé où les reines et les princesses se sauvent elles-mêmes, une planète Terre où le plancton rêve de dominer le monde, bienvenue dans l'univers de Joeri Christiaen. Animateur, réalisateur et scénariste entre Bruxelles, Londres et Paris, il revient avec nous sur sa carrière devenue internationale, sans avoir perdu l'envie et l'humour qui l'ont conduit vers le monde du cinéma d'animation. 

Cinergie : Qu'est-ce qui a déclenché cette passion pour l'animation ?

Joeri Christiaen : À 15 ans, je rêvais de devenir basketteur professionnel, mais je me suis vite rendu à l'évidence, j'étais meilleur en dessin. L'animation, j'y suis venu ensuite. Pour moi, c'est une sorte de sublimation du dessin par le son, la musique, le mouvement. Cette envie d'animer m'a conduit au KASK, à Gand, pour faires mes études d'animation 2D. Je n'ai jamais terminé mon cursus, notamment parce qu'on a essayé de me faire comprendre au KASK que l'animation n'était pas pour moi. A posteriori, je pense que cela avait un lien avec mon genre de prédilection, la comédie. Cela n'était pas en accord avec les standards de l'école à l'époque.

Alors, avec un groupe d'étudiants, nous avons lancé notre compagnie. Dans les faits, cela n'a pas vraiment décollé, mais ça m'a permis de me familiariser avec l'animation 3D, notamment au travers d'une participation aux Triplettes de Belleville. Ensuite, j'ai travaillé dans la publicité, tout en poursuivant mon rêve de créer une série animée. Une période intense qui a amené à la création de Plankton Invasion, une websérie où, profitant du réchauffement climatique, le plancton tente de prendre le contrôle de la planète. La série a fait le buzz, à tel point que Canal+ en a entendu parler, et c'est grâce à cela que j'ai pu réellement faire ma place dans le monde de l'animation.

 

C : Ensuite, vous réalisez votre premier court-métrage, 850 mètres.

J.C. : Tout à fait. À l'époque, je n'avais pas d'enfants, j'avais donc du temps pour moi [rires]. Et comme la production de ma série animée était devenue mon emploi, j'avais de nouveau de l'espace pour travailler sur un projet personnel. À partir d'une vieille idée, une simple vanne mise de côté lors de mes premières réflexions, le processus d'écriture et d'animation a commencé, et ça a duré trois ans. La journée au bureau, et les matinées et soirées à la maison, face à mon projet. C'est aussi l'époque où j'ai fondé Thuristar, ma société de production. Pas la meilleure hygiène de vie, mais ce rythme de travail soutenu a donné un film fun, brut, un beau morceau de comédie qui ne semble pas vieillir. Encore aujourd'hui, alors que le film a plus de 10 ans, de nouvelles personnes le découvrent chaque jour en ligne, partout dans le monde.

 

C. : Sur ces deux œuvres, vous avez un humour assez sombre, cynique. Qu'est-ce qui a changé entre cette période et votre série jeunesse Mon chevalier et moi ?

J.C. : J'ai vieilli ? [rires] Plus sérieusement, je pense qu'au-delà de ce côté sombre, c'est surtout un côté brut qui ressort de Plankton ou de 850 mètres. À l'époque, j'explorais encore beaucoup d'approches, de techniques, d'angles différents. Un peu brouillon, avec pas mal de problèmes d'animation, de narration, mais cela faisait partie aussi de ce rouleau compresseur créatif, de l'énergie qu'il y a dans ces films. Aujourd'hui, je préfère être plus subtil, plus fin. Pas besoin de décapiter un dragon pour attirer l'attention des spectateurs. À côté de ça, l'échelle des projets a aussi évolué. Sur les webisodes, et sur mon court-métrage, je travaillais en solo ou avec une équipe très réduite. Tous les choix étaient les miens. Sur Mon chevalier et moi, on est sur une série de 52x11 minutes, avec une vraie équipe de production, ça ne pouvait pas être la même chose. Si vous regardez la série, vous pourrez néanmoins voir un fil rouge, un ton, un style de comédie qui reste semblable, décalé.

 

C : Décalés, vos personnages le sont également, assez éloignés des profils qu'on a l'habitude de voir en animation jeunesse, cela participe à votre univers ?

J.C. : Pour moi, le personnage est l'élément le plus important de tous. C'est lui qui porte le récit, qui donne le ton, qui attire le spectateur. J'injecte beaucoup de ma bêtise dans mes protagonistes, quel que soit le projet. Pour Mush-Mush par exemple, les personnages sont de Elfriede de Rooster, mais dès que je les ai en main, je leur insuffle une part de mon humour, de mon ADN. Vous verrez beaucoup de Mon Chevalier et moi dans Mush-Mush, et un peu de Plankton. Tous ces personnages téméraires, fonceurs et parfois un peu bêtes créent le rythme de cette comédie très rapide, de ces dialogues qui fusent et de cette musique cadencée qui me plaît beaucoup. Sans personnages, pas d'histoire. 

 

C. Votre dernier projet en date, c'est Mush-Mush et les champotes, où vous êtes directeur artistique. En quoi consiste cette mission ?

J.C. : De mon côté, j'interviens lorsqu'on commence à parler storyboard, mise en image du récit. Le ton, le rythme de chaque épisode est défini à ce moment-là. Si quelque chose ne nous convient pas, on reprend le script, on réécrit, puis on revient au storyboard, pour créer au final une maquette précise de chaque histoire. De manière générale, Perrine Gauthier ma productrice et moi-même sommes très impliqués dans les processus de développement. C'est aussi l'une des raisons pour lesquelles on ne produit que quelques projets à la fois. À chaque étape, que l'on parle des voix que nous enregistrons à Londres, de l'animation, du montage, des plans, j'essaie d'être présent ou disponible pour les animateurs, pour donner du feedback, conseiller, et moi-même mettre les mains dans l'animation. Je reste animateur après tout. 

 

C. : Vous utilisez à la fois la 2D et la 3D dans vos films, vous avez une préférence ?

J.C. : J'aime beaucoup la 3D. L'animation traditionnelle, j'en ai fait beaucoup à l'école, mais je ne m'y suis pas retrouvé. Peut-être parce que je suis un petit peu... paresseux ? Avec la 3D, c'est différent. Chaque aspect de la construction d'un personnage est passionnant, du petit cube de départ jusqu'aux textures finales en passant par le squelette, la palette d'expressions que vous allez pouvoir éveiller chez ce personnage.

Cela dit, l'animation 2D m'intrigue et m'intéresse beaucoup. En 3D, vous avez de nombreuses contraintes, des impossibilités techniques. Avec le dessin, c'est une autre liberté. Dans Mush-Mush par exemple, la 2D devient l'outil pour expliquer les stratégies, les plans rocambolesques des personnages. Cela crée une rupture de ton drôle, tout en permettant de garder l'attention du public et d'enrichir l'univers de la série. 

 

C : Quel est le rôle de la musique dans vos films ?

J.C. : Crucial. Comme je l'ai dit plus tôt, l'animation n'existe pas sans le son et la musique pour ma part. Depuis Plankton, je travaille avec Frederik Segers, et c'est systématiquement un processus organique. Je crée, je lui envoie, il me répond avec une proposition, qui pour Mush-Mush n'allait pas du tout d'ailleurs [rires], je rebondis, et c'est un ping-pong que nous réalisons ensuite jusqu'à arriver à une combinaison très forte entre animation et musique, entre univers visuel et sonore. À tel point qu'en général nous mettons déjà la musique finale sur les animatiques, sans passer par des musiques temporaires. La collaboration avec Frederik est essentielle.

 

C : Et après Mush-Mush ?

J.C. : Aujourd'hui, je suis père de famille. Et comme beaucoup de parents, j'ai vécu le confinement avec mes enfants, une épreuve [rires]. De là, j'aimerais raconter une histoire similaire, une série de comédie où l'on suivrait cette famille un peu déjantée, librement basée sur cette période. Mais c'est encore à l'étape de projet, vous en saurez plus prochainement.

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