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Josse De Pauw, Le temps d'être

Publié le 09/12/2010 par Dimitra Bouras, Arnaud Crespeigne et Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Entrevue

Telle la photographie du petit canard jaune sorti du bain de l'enfance, le recueil de souvenirs de Josse De Pauw appelle aux souvenirs. Car, avec le canard, resurgit l'odeur du savon, les jeux dans l'eau, la mère qui s'impatiente, les vapeurs de la cuisine, la voix du père, … Seulement, les instantanés de Josse sont faits de champs de betteraves, de sous-bois en automne, de jeunes filles en uniforme, de canaux et de cochons. Entremêlés dans cet écheveau, l'homme de théâtre y a parsemé des personnages fictifs, des tableaux aux couleurs pluvieuses éclairés des malices de sa fillette Hana et de la candeur désuète de Boken, pain-beurre-cassonade, poète et philosophe, libre comme l'air et la pensée. Intitulé Le temps d'être, ce recueil de nouvelles est teinté des reflets douceâtres de la nostalgie, celle qui donne le désir de replonger dans son propre passé. Le temps d'être est une invitation à la parenthèse, à la suspension des grains du sablier, au velouté de ce qui n'est plus. Impatients de rencontrer l'homme de scènes et de lettres, auteur de ces élucubrations, nous partons le rejoindre dans son pied-à-terre anversois qu'il occupe quand il est en tournée en Flandre. La publication française est une sélection de traductions de textes publiés dans deux ouvrages Werk (2000) et Nog (2004).

Cinergie : Comment vous est venue l'envie d'écrire, après avoir hanté les plateaux de cinéma et les planches des scènes de théâtre ?
Josse De Pauw : En sortant du Conservatoire, on jouait les spectacles qu'on nous proposait, des pièces qui avaient déjà conquis leur public et qu'on mettait en scène en Belgique. Ce n’était pas vraiment ce que je voulais faire. Avec des amis, j'ai monté ma compagnie de théâtre de rue, Radeis. On a commencé à jouer dans les rues du monde entier, on jouait pour voyager. On prenait le théâtre comme prétexte pour vivre, pour faire la fête. Petit à petit, on a développé un style, et ça marchait. On est resté 8 ans ensemble. Les 4 dernières années, on a joué en Amérique, à Hong Kong au Venezuela, partout ! Le théâtre devenait un réel plaisir. On a ouvert le théâtre, sa notion, sa structure. On s'amusait, mais notre jeu était très sérieux, avec une grande concentration, comme les enfants qui se concentrent très fort dans leur jeu, qui se laissent absorber.

C. : C'est ainsi que vous avez commencé à écrire vos propres textes ?
J. D. P. : Oui. Parce que j'ai vite compris que le théâtre pouvait être une écluse pour d'autres disciplines. J'ai amené des musiciens, des danseurs, des écrivains, des sculpteurs. Contrairement à ce qui se pratiquait quand j'étais au conservatoire ou en en sortant. J'ai réalisé trois films, dont un pour l'intégrer dans un spectacle, et c'est celui que je préfère. Je crois que le théâtre me va bien.

C. : Et le cinéma ?
J. D. P. : Beaucoup moins.

C. : En tant qu'acteur ou réalisateur ?
J. D. P. : Les deux. Il me faut quatre ans avant de pouvoir faire un film, et pendant ce temps, je peux faire 16 pièces de théâtre ! En tant que comédien, j'ai fait des films dont j'ai de très beaux souvenirs, mais c'est lié à l'amitié que j'avais avec ces personnes plutôt qu'au scénario ou au résultat. Avec Dominique Deruddere, nous sommes devenus amis grâce à Crazy Love, ou avec Marc-Henri Wajnberg lors du tournage de Just Friends. Mais je trouve que faire du cinéma, c'est difficile. En tant qu'acteur, quelqu'un qui aime le jeu ne peut pas être content quand on lui crie « Coupez » en pleine réplique. Même si je comprends, ce n’est pas agréable. Par contre, cela ne me dérange absolument pas de recommencer. Non, quand je monte sur scène, je sens que ça m'appartient !

C. : Pour en revenir au Temps d'être, vous écrivez, dans Mort et naissance que, heureusement que l'enfant qu'attendait votre femme est une fille : « si c'est un garçon, on le jette » ! Vous avez l'air tellement sincère en écrivant cela qu'on se demande où se trouve la provocation ?
J. D. P. : Mais c'est vrai ! Je voulais une fille ! Si on avait eu un garçon, il est évident qu’on l’aurait gardé... C'est une façon de parler, d'écrire, qui crée un contact entre l'écrivain et le lecteur. Évidemment, j'aime bousculer, même si mon éditrice francophone voulait aussi que je modifie mes propos, mais je n'ai pas cédé.

C. : C'est ce même plaisir de la provocation qui vous a inspiré pour Rops, le cochon castré amoureux de la fermière ?
J. D. P. : Le cochon est castré parce que tous les animaux élevés pour être engraissés le sont. Enfant, j'ai vécu à la ferme. Mon oncle était fermier, et je passais beaucoup de temps avec lui. J'ai vécu à plusieurs reprises les jours où on préparait le cochon avant de le tuer, et j'ai ressenti cette relation particulière qui unit le fermier et la bête qu'il va tuer pour se nourrir, lui et sa famille. J'ai pensé à ce tableau de Félicien Rops, et je les ai mis ensemble. J'ai aimé superposer ces deux idées pour en faire une histoire de cochon fou amoureux de sa fermière. J'ai rejoué ce texte dernièrement, avec un percussionniste et une guitare électrique, ça marche très bien, c'est très émouvant.

C. : Cela fait partie de votre spectacle actuel ?
J. D. P. : Non, ce n'est pas encore un spectacle. Ce sont des tentatives, des essais. De petites scènes nous invitent à montrer ce qu'on fait. On prend le risque, on s'amuse, on fait des expériences, en fait. On nous propose de nous amuser, alors nous on le fait.

C. : Ce qui est très agréable dans Le temps d'être c'est que vous donnez l'occasion aux lecteurs francophones de découvrir des poètes flamands. On vit peut-être dans le même pays, mais on n'a pas les mêmes connaissances culturelles.
J. D. P. : Mais je ne crois pas que cela soit nécessaire. Cette autre culture est là, elle est accessible, c'est une richesse incroyable, mais il ne faut pas obliger les gens ! Ce n'est pas parce qu'on ne connaît pas la culture de l'autre qu'on ne peut pas vivre ensemble, sinon il n'y a pas d'Europe ! Savoir que c'est là, tout prêt, et accessible, ça c'est chouette.

C. : Est-ce que vous croyez qu'on est moins curieux qu'avant ? Qu'il y a un repli sur son « village »?
J. D. P. : Je ne sais pas s'il s'agit de moins de curiosité ou plus de peur.

C. : Même si ce n'est pas aux artistes de résoudre les difficultés politiques, vous considérez-vous comme un symbole d'un dialogue possible entre francophones et néerlandophones ?
J. D. P. : Je ne suis pas un symbole, je suis un Belge ! J'ai toujours aimé ce pays. Je le considérais en construction, pas en destruction. Je n'avais jamais imaginé qu'on aurait pu en arriver là. Je ne comprends pas comment nos politiques ne sont pas capables d'agir. D'accord, on parle de blessures anciennes, mais ce sont des politiques, ils sont payés pour faire fonctionner le pays. Comme je l'ai déjà dit, si nos politiciens étaient une troupe de théâtre, elle ne recevrait plus de subventions. C'est du mauvais théâtre, c'est mal joué, les promesses ne sont pas tenues ! Le pire, c'est qu'on devient indifférent !

C. : Vous qui connaissez assez bien la culture japonaise, est-ce que vous trouvez qu'il y a de grandes différences entre les deux ?
J. D. P. : Ma femme est japonaise, mais j'ai toujours dit qu'il y a plus de différences entre nos cultures d'homme et de femme qu'entre nos cultures japonaises et belges ! Oui, ça, c'est deux pays !

C. : Des projets ?
J. D. P. : J'ai des projets pour les quatre prochaines saisons de théâtre. Je n'ai plus le temps pour le cinéma, je suis prévenu trop tard. J'ai joué dans un film d'une réalisatrice française, Alix De Maistre, avec Miou Miou et Olivier Gourmet, Pour un fils. Alix tient beaucoup à ce que je joue dans son prochain film, on verra.
Je suis tellement bien au théâtre; je connais les gens, je connais les musiciens, je connais les maisons qui sont prêtes à me produire à la moindre nouvelle idée ! C'est tellement facile, pas de perte d'énergie pour convaincre, tout pour le spectacle. C'est un plaisir.

C. : Quand vous jouez en France, c'est en français ?
J. D. P. : Non, c'est en néerlandais sous-titré. C'est très récent, Avignon nous a invités, il y a trois ans, avec un spectacle sous-titré. Ce système a été repris par le Théâtre de la Ville. On reconnaît enfin la richesse apportée par la « musicalité de la langue d'origine » !

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