Après avoir passé une bonne partie de son enfance au sein d’un groupe armé du Congo, le jeune Bravó est exfiltré puis accueilli dans un Centre de Transit et d’Orientation (CTO) à Goma, le temps que les membres de l’équipe retrouvent sa famille. Cette situation dite provisoire est censée lui permettre de retrouver sa place dans la société. Toutefois, c’est dans la douleur qu’il passe ses premières journées, en compagnie des autres jeunes gens recueillis, détournant les règles et refusant de se soumettre à toute forme d’autorité. Entre son passé de lieutenant dans les groupes armés et son éventuel retour à la vie civile et familiale, Bravó doit mobiliser toutes ses forces pour renoncer à son passé et accepter une nouvelle réalité.
Katika Bluu de Stéphane Vuillet et Stéphane Xhrouet, 2024
Publié le 27/06/2024 par Basile Pernet / Catégorie: Critique
Habitué à vivre dans la forêt au sein d’un groupe constitué d’hommes, Bravó découvre au CTO un environnement sain et respectueux de chaque individu, peuplé notamment de femmes dévouées à la cause de ces jeunes gens. Le centre fonctionne par ailleurs comme une microsociété démocratique organisée et hiérarchisée, où le bien commun prime sur l’intérêt personnel. La communication et le partage y sont règles sacrées, de même que la solidarité et la transparence.
Dès les premiers instants, Bravó se réfugie dans une immense solitude et un refus de sociabilité. Jeune homme d’action et de silence, il n’a d’estime personnelle qu’au regard de son ancien grade de lieutenant des forêts, qui gonfle son orgueil, et par lequel il croit pouvoir échapper aux principes et aux règles du centre. Il se montre alors agressif, irrespectueux, misogyne et manipulateur. Craignant d’être rejeté, il rejette lui-même ses camarades et ses supérieur.es, sans cesse en vigilance, agissant sous le coup d’impulsions très brusques. Regrettant l’époque où il se sentait utile, Bravó ne parvient à se démarquer qu’en se rendant responsable de nuisances et de conflits.
Par ailleurs, se dessine peu à peu l’angoisse des potentielles retrouvailles avec sa famille, qu’il semble par moments redouter, par d’autres espérer. La retrouvera-t-il véritablement, et dans quelles conditions ? Sera-t-il rejeté par eux, à nouveau banni et seul ? Autant de questions que son regard imprime lors de ses longues nuits sans sommeil.
Le thème de l’abandon est donc au cœur des enjeux narratifs et dramatiques du film. C’est plus précisément la peur de l’abandon qui accable le jeune Bravó, le poussant notamment à demander pardon pour ses méfaits. Son seul et unique repère féminin est par ailleurs associé à la figure de sa mère : il ne semble connaître d’autre amour que celui qu’il voue à celle-ci. Après des débuts très difficiles, il développe des rapports mère-fils avec les différentes femmes qu’il rencontre, y compris avec une jeune femme de sa génération pour qui il éprouve une affection œdipienne, à défaut de pouvoir en cultiver une autre ou d’être en mesure d’appréhender certaines spécificités dans la nature de ses sentiments. Il doit pourtant s’appuyer sur son héritage familial et ses ressources personnelles pour s’intégrer. Conjointement, c’est en se nourrissant de ces nouvelles interactions qu’il peut espérer neutraliser l’endoctrinement qu’il a subi dans les groupes armés, qui l’anime encore d’une brusque et étrange fureur.
Avec ce nouveau long-métrage, Stéphane Vuillet et Stéphane Xhrouet proposent un récit captivant, construit sur un modèle narratif et stylistique croisant les codes de la fiction et ceux du documentaire. Filmé en 4/3, il se distingue par une brillante direction photographique, au service d’une mise en scène dure et sans artifice. Un sujet profondément difficile, abordé avec justesse et sobriété, au plus près du réel et de ses désillusions.
Notamment sélectionné à la 47e édition du Festival international du film de São Paulo, Katika Bluu sera à découvrir dès le 1er juillet dans le cadre du BRIFFF 2024, en présence de ses deux réalisateurs.
