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L'Incroyable Histoire du facteur Cheval de Nils Tavernier

Publié le 01/05/2019 par Dimitra Bouras et Tom Sohet / Catégorie: Entrevue

Fanny Desmarès, comédienne devenue scénariste, aime raconter des histoires, les histoires de personnages hors du commun. Pour l'heure, elle a choisi de narrer le destin de Joseph Ferdinand Cheval, plus connu sous le nom de facteur Cheval. Né en 1836 et mort en 1924, en Drôme, ce curieux facteur est surtout célèbre pour son Palais Idéal, édifice qu'il mit 33 ans à construire. Mais, c'est la relation qu'il entretenait avec sa fille Alice qui intéresse surtout Fanny Desmarès, un pan de sa vie encore méconnu. Or, c'est pour cette enfant qu'il aime inconditionnellement qu'il se lance dans le pari fou de construire de ses propres mains cet incroyable palais. Fanny Desmarès, appuyée par la maison de production d'Alexandra Fechner, confie les rennes de la réalisation à l'acteur et réalisateur Nils Tavernier qui a choisi Jacques Gamblin pour incarner ce fameux facteur.

Rencontre avec la scénariste, Fanny Desmarès

Cinergie : Vous êtes la scénariste du film et même à l'initiative du film... D'où vient l'idée et pourquoi avoir fait ce film ?
Fanny Desmarès : J'ai toujours aimé raconter des histoires avec de beaux personnages et le facteur Cheval est un personnage comme on en rencontre peu. J'ai rencontré ce bonhomme il y a cinq ans, j'avais vu des documentaires sur le Palais Idéal. J'avais visité ce palais en famille et j'avais trouvé ce lieu fantastique et je me suis très vite intéressée à ce monsieur en achetant un livre à la sortie du palais. J'ai très vite été touchée par un aspect de ce personnage : son lien avec les enfants et surtout avec sa fille Alice. Il y a autant de manières de raconter un personnage qu'il y a de regards qui se posent dessus. C'est ce rapport du père à la fille qui m'a intéressée et c'est ce facteur-là que j'ai eu envie de raconter. Je me suis beaucoup documentée, il y a peu d'écrits et les informations sont parfois contradictoires mais j'ai fait mon propre facteur Cheval, celui qui m'intéressait, celui que j'avais envie de raconter.
J'ai écrit un gros synopsis d'une quarantaine de pages toute seule, je n'avais pas de producteur à l'époque et j'ai rencontré Alexandra Fechner, la productrice française, pour un autre projet. Le feeling est bien passé, elle m'a demandé si j'avais autre chose sur le feu et je lui ai parlé du facteur Cheval. Alexandra est plutôt du côté de la comédie, ce qui n'est pas le cas de mon film, mais elle a été émerveillée par l'histoire. Elle a voulu en savoir plus et on a vite commencé à travailler ensemble. J'ai donc écrit une première version dialoguée du scénario puis Niels Tavernier est arrivé et nous avons continué à travailler ensemble.

C. : Vous n'avez pas envisagé de réaliser vous-même le film ?
F.D.: Non, la question du scénariste-réalisateur en France est un peu compliquée. Pour ce film, je ne l'ai pas imaginé une seule seconde. Je voulais passer ce cadeau à quelqu'un d'autre, car il s'agit bien d'un personnage cadeau, et Nils l'a vraiment pris comme tel et en a fait un film merveilleux. Je voulais aussi avoir un autre regard. Il s'est approprié la première version que j'avais écrite de manière très jolie. Mais, l'idée d'à la fois écrire et réaliser me titille un peu pour d'autres projets.

C. : Comment s'est passé le travail entre vous, la scénariste et le réalisateur ? Vous avez travaillé en amont et pendant le tournage ?
F.D. : Pas du tout. Quand le tournage a commencé, j'étais sur autre chose et il me semblait normal de prendre de la distance à ce moment-là et de passer le flambeau à Nils. Je suis passée quelques fois sur le plateau, c'était très émouvant. La première personne que j'ai vue sur le plateau, c'était Jacques Gamblin, en magnifique facteur Cheval, qui se faisait un café et qui est venu à ma rencontre car il savait que je venais ce jour-là.

C. : Comment vous expliquez-vous qu'on n'ait pas encore eu l'idée de faire un film sur ce personnage auparavant ?
F.D. : Il y a des scénarios qui tournaient déjà. J'ai vraiment eu de la chance de tomber sur la productrice Alexandra Fechner, probablement encore plus têtue que le facteur Cheval lui-même, qui a décidé qu'elle allait monter ce film coûte que coûte. C'est donc une grande satisfaction. On a réalisé un exploit avec très peu de choses : le parcours d'un petit monsieur, son acharnement, son amour, sa passion. C'est universel, tout le monde a envie de voir ça. En plus, les paysages de la Drôme font rêver, la photographie du film est vraiment très belle.

C. : Est-ce que vous êtes intervenue dans le casting ?
F.D. : Non, c'est vraiment Nils qui prend les rennes à ce moment-là. Je pense que si j'avais dû choisir le facteur Cheval, je me serais tournée naturellement vers Jacques Gamblin. C'est un acteur fantastique que j'admire énormément, il a une palette de jeu extraordinaire, il a un capital sympathie auprès des gens, il a aussi une carrière très discrète. Ce qu'il fait dans ce film est exceptionnel.

C. : Comment avoir reflété le côté "autiste" du facteur Cheval tout en racontant le personnage que vous vouliez raconter ?
F.D. : Sa réalité était encore plus compliquée que celle qu'on voit à l'image. Il a perdu ses parents très jeune, son enfance a été très violente. Il avait enterré la moitié de sa famille. C'est quelqu'un qui a très vite décidé de s'enfermer complètement sauf qu'il n'avait pas prévu sa rencontre avec Philomène, qui est la femme la plus solaire au monde et qui parviendra à le faire sortir de cela. S'il ne l'avait pas rencontrée, il serait resté vieux garçon. C'est elle qui l'a tiré vers le haut. C'est la naissance de sa fille Alice qui a été un électrochoc. La naissance de son premier enfant, Cyril, qu'il n'a pas connu, qu'il a été obligé de rejeter, a laissé un grand vide dans sa vie, vide qu'il ne voulait plus combler. Puis, cette petite est arrivée et c'est vraiment un corps à corps entre un papa et sa petite fille qui fait que ce bonhomme se dit qu'il y a une autre vie possible que celle qu'il vivait. Il se dit qu'il est encore possible d'aimer grâce à l'arrivée d'Alice.

En plus, quand il fait cette chute sur cette pierre d'achoppement. Ces deux éléments annoncent un nouveau chapitre dans la vie du facteur.

C. : Comment passe-t-on de comédienne à scénariste ?
F.D. : Je suis sortie du Conservatoire de Bruxelles en 95, j'ai eu la chance d'avoir Pierre Laroche comme professeur. J'ai rapidement commencé à jouer, j'ai fait la ligue d'impro où j'ai rencontré plein de gens comme Charlie Dupont qui sont devenus des amis. J'ai très vite eu envie de raconter des histoires et je me suis rendu compte que c'était plus facile d'en raconter par l'écrit plutôt que par le jeu. Après le Conservatoire, je suis partie en France. J'avais envie de voyage, j'avais envoyé une bouteille à la mer à une chaîne de voyage, de découverte. J'ai présenté des émissions comme Coup de film présentée par Terry Focant que j'ai remplacée quelques fois, j'ai fait des petites capsules sur Canal + Belgique. Et cette chaîne de découverte m'a ouvert les bras, je suis allée à la rédaction pendant 3 ans et c'est là que j'ai découvert le Palais Idéal du facteur Cheval à travers des reportages. Là, j'ai commencé à écrire vite, c'était du flux, du magazine. Écrire, c'est comme des gammes : pour bien écrire, il faut réécrire, réécrire, réécrire. Maintenant, cela fait des années que je ne travaille plus que comme scénariste. J'ai des projets en Belgique, en France, pour la télévision, pour le cinéma.

Je ne dis pas non à la réalisation mais cela dépend des projets comme le long-métrage que je développe pour le moment : un film historique sur une femme audacieuse, une journaliste aventurière de l'entre-deux guerres, Elisabeth Sauvy, connue sous le nom de Titaÿna, qui parcourait le monde pour interviewer n'importe qui en prenant tous les risques, qui pilotait elle-même son avion, qui un jour est rentrée à Paris et a troqué ses godillots contre des escarpins. C'était la grande amie de Man Ray, d'André Breton, de Cocteau.

Rencontre avec Jimmy Blibaum, le responsable de Fechner Be.

Cinergie : Qu'est-ce qui vous a décidé à vous lancer dans la production de ce film ?
Jimmy Blibaum : En fait, c'est avant tout parce que je connais l'auteure, Fanny Desmarès, avec qui j'avais déjà collaboré auparavant. C'était son premier scénario, pour lequel elle a gagné beaucoup de prix. Quand j'ai commencé à travailler avec Fechner Films et qu'on a créé Fechner Belgique, pendant de la filiale française, j'ai présenté Fanny à Alexandra Fechner. Elles avaient collaboré sur d'autres projets, sur d'autres scénarios. Et, Fanny a amené de manière timide le projet du facteur Cheval, projet auquel elle tenait énormément parce que c'est une magnifique histoire qu'elle a racontée. Quand elle montré le projet à Alexandra, elle a tout de suite aimé. La structure belge a évidemment soutenu directement le projet.

C. : C'est un sujet qui n'avait pas rencontré facilement l'appui de la production antérieurement. Qu'est-ce qui fait que cela a démarré ?
J.B.: Le personnage n'a pas attiré d'autres productions mais elle nous a attiré nous. Le Palais Idéal est énormément visité, notamment par des Belges. Quand on connaît l'histoire de cet homme qui l'a bâti avec acharnement, pierre après pierre, qu'il ramassait en fonction de ses tournées, sans connaissance de ces métiers de l'architecture auxquels il s'est familiarisé par le biais des courriers qu'il apportait à ses clients en tant que facteur. Forcément, c'est une histoire humaine, forte, qui véhicule des émotions. Rien de plus simple pour un producteur d'aller raconter des histoires quand elles sont déjà là, qu'elles sont belles, ici, patrimoniales. Le décor est somptueux. Raconter cette histoire paraissait comme une évidence. C'était une histoire connue de tous mais elle n'avait jamais été racontée au cinéma.

C. : Le film a été tourné sur place. Comment s'est déroulé le tournage ? Est-ce que le palais a été reconstruit en studio ?
J.B. : Tout a été tourné sur place. La production a eu le soutien de la région. C'est un travail de camouflage et non de reconstruction. On a enlevé des passages de l'évolution de la construction pour pouvoir montrer la construction au fur et à mesure grâce à des fonds verts. Ce n'était pas de la construction mais de la déconstruction.

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