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La Dernière Rive, Jean-François Ravagnan

Publié le 26/08/2025 par Nastasja Caneve / Catégorie: Critique

Tu sais, la route est pleine de souffrance

Il y a ceux qui prennent la route pour se changer les idées, pour voyager, pour déconnecter, pour s’approcher du soleil et il y a les autres. Ceux qui sont obligés de prendre la route pour survivre, pour envoyer de l’argent à leur maman, à leur père, à leur frère, restés au pays. Ceux qui se sacrifient, ceux qui quittent tout pour toujours, ceux qui s’oublient, ceux qui disparaissent à tout jamais. C’est l’histoire de Pateh Sabally, un jeune gambien de 22 ans.

La Dernière Rive, Jean-François Ravagnan

En janvier 2017, on a vu sur nos écrans Pateh Sabally se noyer dans le Grand Canal de Venise au milieu des touristes qui prenaient des selfies pour montrer à leurs amis, quand ils rentreront bien tranquilles chez eux, la beauté de La Sérénissime. “Sauvez-le! Aidez-le!” en voix de fond. Personne ne bouge, deux bouées sont jetées négligemment à côté du jeune homme qui n’a visiblement plus aucune force. 

Cette vidéo virale est le point de départ du film de Jean-François Ravagnan. Le jeune réalisateur, formé à l’IAD, part sur les traces de ceux qui restent, ceux qui pleurent Pateh au pays: son frère, sa maman, son père. On est plongés en plein cœur du village natal, à 4000 kilomètres du drame. Les voix off se confient, les voix off se confondent et pleurent en chœur la disparition du fils sacrifié. Quand on part, on sait ce que l’on quitte, mais on ne sait pas ce que l’on va trouver. Pateh a quitté sa terre aride, ses couleurs chatoyantes, les cloches des troupeaux, le silence de la nuit pour … la terre hostile, la terre inhospitalière, la terre de la solitude où il est persona non grata. Cette terre le rongera à petit feu jusqu’à la mort. 

La dernière rive, comme dernier passage, dernier saut d’un jeune homme, dernier acte de survie. En vain. Ce parcours est celui de la majorité de ceux qui ont fait le voyage vers l’eldorado pourri. À travers le récit de Pateh, Jean-François Ravagnan parle de tous ceux qui survivent ou qui sont déjà morts et dont tout le monde se moque ouvertement, préférant nier les détresses humaines qui crient, muettes, à leur porte. 

Le film s’étend comme un hommage qui n’a pas pu être fait, des plans lents, contemplatifs, qui révèlent la beauté d’une rive natale quittée pour rien. De longs travellings, à rebours, de droite à gauche, comme un retour en arrière impossible. Bercé par la musique de Jean Kapsa, le film est tout en retenue, d’une pudeur fragile. La Dernière Rive montre l’autre côté, pas le voyage et ses étapes, mais le point de vue de ceux qui restent, ceux qui sont dans l’incertitude d’un retour, ceux qui s’apprêtent à voir leur fils mort dans une vidéo publiée sans vergogne sur les réseaux sociaux.

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