Il y a une quinzaine d’années, Eric Pauwels inaugurait avec Lettre d’un cinéaste à sa fille ce qu’il appelle « la trilogie de la cabane ». Dans ce cycle personnel et artisanal, il se livre à une réflexion cinématographique sur son rapport contradictoire au monde et à ses proches. Déjà, dans sa lettre, parlant de la naissance de sa fille, il affirmait sa certitude que la mort n’existe pas, que la vie pourrait se transmettre sans doute de génération en génération. Avec La Deuxième nuit, il lui apparaît qu’une immense boucle s’est accomplie avec la mort de sa mère. C’est la fin de la trilogie. Le film s’achève par cette même certitude d’éternité qui fonde sa démarche de cinéaste libre.
La Deuxième nuit
« Aujourd’hui, 30 janvier, Maman est morte alors qu’une tempête soufflait sur le pays. Et cette nuit-là, je filmai la lune. J’ai allumé un feu pour marquer et brûler cet instant ».
Comment raconter la séparation d’avec la mère, celle qui survient avec la mort ? Eric Pauwels l’évoque comme un retour, une réminiscence imaginaire de la nuit qui suit l’accouchement et où, pour la première fois, l’enfant est séparé de sa mère et pleure de solitude. Il a peur. C’est la nuit du grand saut vers l’inconnu, vers ce qu’il sera vraiment. La mère, elle-même, ressent ce vide et ce manque et reprend le nouveau-né sur son corps afin qu’il trouve l’apaisement et le sommeil.
Le souvenir de cette seconde nuit a marqué le cinéaste de son empreinte, l’a ouvert au monde et à l’infinité du cosmos. Et cette évocation, à laquelle il prête sa propre voix, est avant tout une célébration de la mère disparue. C’est ce récit intime qu’il n’a voulu livrer qu’après la mort de celle-ci, bien qu’il s’y soit préparé depuis longtemps. La mère souffre d’une maladie de la mémoire. Elle s’est éloignée, s’est doucement effacée.
Je me souviens de la simplicité avec laquelle Johan Van Der Keuken évoquait la naissance de son fils Teun dans Les Vacances du cinéaste sur des images baignées par le vent et le bruit des arbres, et la manière dont il établissait le passage de la vie à la mort. C’est cette même simplicité que je retrouve dans le film de Pauwels, lorsqu’il filme un paquebot qui disparaît à l’horizon, dont scintillent encore les lumières dans l’obscurité.
« De ma mère ne m’est resté aucun objet », confie Eric Pauwels. Et cette absence d’héritage contraste avec les objets et les tableaux ramenés par le cinéaste de ses voyages. Il découvre, dans une boîte à chaussures, les cartes postales qu’il lui envoyait des quatre coins du monde. Une émouvante photographie nous montre mère et fils, visage contre visage. Il y a aussi ces messages téléphoniques qui se terminent par ces mots : c’est ta mère qui t’appelle. Et cette voix semble venir de loin.
La première expérience de la séparation est celle de la mort du grand père de Pauwels. C’est chez celui-ci qu’il trouvait refuge et qu’il découvrait le monde juché sur ses épaules solides de docker anversois. Il évoque les origines nomades de sa famille et son installation en Flandre. La figure du disparu le hante. Il croit la retrouver dans la silhouette familière d’un voisin promenant son chien dont le visage et l’allure évoquent Buster Keaton. Ces images nous touchent par leur humanité.
L’enfance du cinéaste est solitaire. Il prend très vite conscience de sa différence et de sa singularité. C’est ainsi qu’il se perçoit face au miroir. Il se souvient de moments de maladie, où pendant de longues journées, il demeurait alité, goûtant le bonheur d’être près de sa mère. Et ce sentiment revêt un accent proustien. Il la console parfois car elle est dépressive. Pendant des après-midis entières, il demeure assis auprès d’elle sur un banc du parc, tandis que des enfants se poursuivent sur la pelouse. Une très belle scène nous le montre assis sur un tabouret, mains aux genoux, en train de regarder sa mère repasser du linge. Dehors, une averse bat les vitres de la large fenêtre où l’on croit apercevoir, un instant, une silhouette fantomatique.