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La Fille d'un grand amour, de Agnès de Sacy, 2025

Publié le 08/01/2025 par Grégory Cavinato / Catégorie: Entrevue

Des vents contraires

Tout a commencé par un coup de foudre, en 1959. Ana (Isabelle Carré) et Yves (François Damiens) se sont rencontrés par hasard, se sont aimés passionnément, se sont mariés, puis se sont séparés en 1975. Des années plus tard (nous sommes en 1991), leur fille cinéaste, Cécile (Claire Duburcq), réalise un documentaire de fin d’études en forme d’enquête sur leur rencontre. Ils se revoient à cette occasion, à la Cinémathèque de Bruxelles. Toujours marqués par leur amour passé, mais rarement d’accord sur les détails importants de cette vie commune, ils vont chercher un chemin pour revenir l’un vers l’autre. Une idée qui effraie Cécile, à qui ils assurent pourtant qu’elle est bel et bien « la fille d’un grand amour ». 

La Fille d'un grand amour, de Agnès de Sacy, 2025

Pour son premier film en tant que réalisatrice, la scénariste prolifique Agnès de Sacy, collaboratrice régulière – entre autres - de Valeria Bruni-Tedeschi, signe une tragicomédie qui s’éloigne de la farce à laquelle on pouvait s’attendre (avec ce casting-là), une chronique souvent juste et émouvante de la vie de personnages séparés et en crise, qui se cherchent, mais font souvent fausse route, qui s’aiment follement, mais sont bien incapables de s’entendre, voire de se comprendre… Passage obligé chez de nombreux cinéastes (Diane Kurys en a même fait sa spécialité), de Sacy se lance dans une évocation romancée de la vie de ses parents. Et crée pour l’occasion un couple de cinéma mémorable. 

Ana est du genre bohème, une femme indépendante et libre, qui ne craint jamais de se lancer dans des aventures (divers boulots, maisons, amants…), au risque de ne jamais savoir se laisser aller à rester sur place. Elle reproche à Yves de l’avoir idéalisée dès le début, mais de ne jamais l’avoir vraiment regardée… Quant à Yves, s’il semble avoir plus ou moins vaincu la dépression qui a précipité la fin de leur mariage, il n’en est pas moins toujours angoissé, en analyse depuis 10 ans. Bisexuel (Ana le sait, mais leur fille l’ignore), il a choisi de vivre d’un job alimentaire ingrat (il organise des conseils d’administration dans une compagnie où il s’ennuie à mourir) alors qu’il souhaitait être écrivain et qu’il en avait le talent. Yves est un intellectuel passionné de musique classique, pour qui le désir est quelque chose de très angoissant et l’ordre, une question de survie. Timide et solitaire (nous comprenons à demi-mot qu’il a passé les années 80 seul, par crainte du SIDA), il vit une existence trop bien rangée et mécanique, n’éprouvant plus vraiment de joie. Lorsqu’il propose à Ana de l’épouser à nouveau, mais en priorité pour lui assurer une retraite confortable, cette dernière se vexe et comprend qu’il ne changera jamais. S’engage alors un conflit entre le pragmatisme désespéré de l’un et le caractère romanesque un peu naïf de l’autre. 

La cinéaste alterne légèreté et mélancolie, avec quelques notes d’une grande noirceur. Les scènes intimes de disputes que partagent Isabelle Carré (toujours lumineuse) et François Damiens (jamais aussi bon que dans la retenue) sonnent juste parce que l’on ressent dans chaque mot, dans chaque reproche, l’affection immense qu’ils éprouvent encore l’un pour l’autre après des années d’éloignement. Agnès de Sacy n’en oublie pas la poésie pour autant : c’est finalement l’histoire insolite d’une oie qui cacarde systématiquement dans le virage sur la route qui mène à la maison d’Ana qui va rapprocher ces deux êtres qui ne savent vivre ni ensemble ni séparés… Une note insolite dans un film attachant, qui sonne toujours juste.

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