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Pour se revoir, de Thomas Damas

Publié le 05/09/2025 par Malko Douglas Tolley et Vinnie Ky-Maka / Catégorie: Entrevue

Avec Pour se revoir, son premier long-métrage documentaire, le réalisateur belge Thomas Damas explore les Espaces-Rencontre, où la justice organise les retrouvailles entre enfants et parents privés de garde. Tourné sur une année, le film capte avec pudeur la fragilité de ces instants et interroge une question essentielle : peut-on reconstruire un lien familial ?

Âgé de 27 ans, formé en technique du son à la HELB puis en écriture à l’IAD, Thomas Damas s’était déjà fait remarquer avec Et Arnaud (2018), court-métrage documentaire sélectionné à DOK Leipzig, Premiers Plans Angers et primé au Brussels Short Film Festival. Avec Pour se revoir, produit par Luna Blue Film et soutenu par le Centre du Cinéma et la RTBF, il confirme un cinéma sensible et engagé, où l’intime rencontre le social. Actuellement en tournage de La Montagne du silence et en écriture de fictions, il poursuit une œuvre en devenir.

Cinergie : Comment avez-vous choisi les personnes que l’on découvre dans ce documentaire intimiste, qui révèle la réalité des Espaces-Rencontres entre enfants et parents ?

Thomas Damas : J’ai passé presque quatre ans en repérage, en étant quasi bénévole dans deux Espaces-Rencontres, à Bruxelles et à Amel (le Trimurti). Ce temps m’a permis de rencontrer les familles, notamment celles d’Angelina, de Luna et d’Enza. Ce que je recherchais, c’était avant tout cette volonté de partager leur histoire et leur quotidien à travers le cinéma. Le casting s’est construit dans la durée, à travers un long processus de discussions et d’explications : qu’est-ce que réaliser un film, un documentaire, qu’est-ce que cela peut leur apporter ou éveiller. C’est cette démarche progressive qui a permis de trouver les familles prêtes à s’engager dans l’aventure.

C. : Selon votre expérience, qu’est-ce que ce film peut apporter aux familles qui y participent ? Quels en sont les avantages, mais aussi les risques éventuels, et comment votre regard sur cette question a-t-il évolué au fil du tournage ?

T.D. : Au début, j’avais beaucoup de craintes, surtout sur le plan éthique. Je craignais de blesser les familles, que ce soit le parent hébergeant, le parent visiteur ou les enfants. Pendant longtemps, la question a été de savoir si j’avais le droit de leur demander de participer.

Mais au fil des repérages et des discussions, je me suis rendu compte que ma présence, avec ma petite caméra, n’était pas vécue comme une intrusion. Au contraire, c’était pour eux une manière de sortir du cadre institutionnel très rigide de l’Espace-Rencontre, où tout est observé et jugé. Avec le cinéma, j’avais envie d’apporter quelque chose de différent, presque une forme de magie, de partage.

Petit à petit, la caméra est devenue un outil d’échange, parfois même entre nous. Et je crois que ce que le film a apporté, ce sont des souvenirs, la possibilité de voir du beau au cœur d’une situation difficile. Le documentaire ne cache rien des moments douloureux, mais il cherche toujours une lueur d’espoir. C’est pour ça que je fais des films : trouver de la lumière malgré tout.

C. : Au départ, vous attendiez-vous à ce que la figure du père prenne une cette place et cette forme dans le récit ? Comment avez-vous travaillé cette invisibilisation, ce paradoxe d’un personnage absent à l’image et pourtant central dans le film ?

T.D. : L’absence des pères à l’image, c’est vraiment un accident. Au départ, pendant les repérages, je suivais aussi des familles avec des papas, mais leurs situations se sont arrêtées avant que je puisse tourner. Je me suis donc retrouvé uniquement avec des mères. Au début, je voyais ça comme un problème : j’avais peur que le film donne une image biaisée, qu’on juge les mamans, ou qu’on pense qu’il y en a plus en Espaces-Rencontres. Mais petit à petit, je me suis rendu compte que le film était habité uniquement par des femmes : les mères, les enfants, les intervenantes. Et ça voulait peut-être dire quelque chose.

Toutes ont accepté d’être filmées, de se prêter à ce processus. Avec les intervenantes, on s’est demandé si les mères étaient plus prêtes à traverser ce dispositif, à mettre un peu leur ego de côté pour voir leur enfant coûte que coûte. Peut-être que certains pères arrêtent plus vite. Ce n’est qu’une supposition, mais c’est une observation que j’ai faite tout au long des repérages.

C. : En quoi ce sujet était-il particulièrement sensible à aborder pour vous ? Qu’est-ce qui vous y a amené, et aviez-vous déjà travaillé auparavant sur ces thématiques ?

T.D. : J’avais déjà réalisé un premier court-métrage documentaire à la HELB, Et Arnaud, qui portait sur ma relation avec l’un de mes frères, en proie à l’alcool et à d’autres addictions. Avec ce film, j’avais l’impression de filmer la conséquence, et j’ai eu envie de remonter à la cause. En discutant avec ma mère, j’ai découvert qu’Arnaud n’avait pas le même père que moi et qu’enfant, il aurait pu aller en Espace-Rencontre pour le voir, mais que cela n’avait pas eu lieu.

À partir de ce détail, je me suis demandé : qu’est-ce que cela aurait changé ? Est-ce que son parcours aurait été différent ? Moins marqué par la colère ? C’est ainsi que j’ai commencé à m’intéresser aux Espaces-Rencontres, que je ne connaissais pas avant. J’ai voulu comprendre ce que c’était, ce que ça impliquait pour les enfants et les adolescents, et quel était vraiment le rôle de ces lieux : des espaces de rencontre, ou des espaces d’observation et de jugement ? Toutes ces questions m’ont conduit à ce film et à ce qu’il est devenu.

C. : Pour vous, les Espaces-Rencontres sont-ils avant tout de véritables lieux de retrouvailles, essentiels au bien-être des familles, ou bien demeurent-ils surtout des dispositifs institutionnels au service d’autres enjeux, comme vous le suggériez à l’instant ?

T.D. : Il existe en Belgique plusieurs types d’Espaces-Rencontres. Certains n’ont pas de lien direct avec le SAJ ou le SPJ et offrent un cadre plus ouvert, neutre, où un parent peut simplement retrouver son enfant en dehors du conflit. D’autres, en revanche, transmettent des rapports à la justice et jouent donc un rôle institutionnel plus marqué. C’est intéressant, car cela permet à la justice d’avoir un regard sur le lien familial, mais cela met aussi une énorme pression sur les familles.

On le voit dans le film : les mots ne se délient pas facilement, car tout le monde est conscient de l’enjeu. On ne peut pas vraiment parler du conflit, de l’autre parent ou des problèmes familiaux, puisque l’objectif affiché est de recréer le lien. Mais du coup, certaines vraies questions ne sont pas posées, ou pas directement entre parents et enfants. Et c’est quelque chose qui, à mes yeux, manque dans ce dispositif.

C. : Comment avez-vous noué des liens avec cet Espace-Rencontre et son dispositif mobile, et que pensez-vous du fait qu’il ait disparu faute de subsides suffisants ?

T.D. : Après le COVID, j’ai eu envie de me rapprocher de ma région d’origine, à Huy. C’est là que j’ai découvert l’Espace-Rencontre d’Amel, le Trimurti. Ce lieu est particulier, car, en plus d’un espace fixe classique, il proposait aussi un dispositif mobile dans un camion, unique en Belgique. Cela permettait à des familles qui ne pouvaient pas se déplacer, pour des raisons financières ou de handicap, de se retrouver malgré tout, en choisissant un lieu accessible à tous.

Pour moi, c’était une initiative précieuse. Malheureusement, ce projet s’est arrêté, et je trouve ça dommage.

C. : Est-ce qu’il a été difficile d’obtenir la confiance d’un centre pour pouvoir filmer ces rencontres, et comment avez-vous franchi ces étapes ? Plus largement, quels ont été les autres enjeux majeurs liés à un tel tournage mené sur la durée ?

T.D. : Au départ, je pensais que le plus difficile serait de filmer les familles en pleine fracture, de convaincre les parents d’accepter la caméra malgré les conflits. Finalement, c’est ce qui a été le plus simple : c’était une relation humaine, basée sur l’écoute et l’honnêteté.

La vraie difficulté venait de l’institution. L’Espace-Rencontre est un cadre très carré, qui avance lentement, où il faut sans cesse rassurer et faire ses preuves. Même avec la confiance des intervenantes, je devais constamment expliquer ma démarche, préciser comment je filmais, ce que j’allais faire.

C. : Qu’est-ce qui a été pour vous le plus grand défi une fois le film lancé ?

T.D. : Le plus difficile, c’était le cadre imposé par l’institution. Les rencontres duraient une heure toutes les deux semaines, et nous avions à peine dix minutes pour installer l’équipe avant de filmer. Il fallait être très rapides, alors qu’une annulation pouvait tomber à tout moment si un parent n’était pas là ou arrivait en retard.

Mais le véritable défi, je dirais que ça a été le montage. Avec Nil-Enzo Clémentin, nous avons passé des mois à écouter et réécouter chaque minute des rencontres, à décortiquer les détails pour trouver des liens entre les familles et construire un fil narratif. Nous avons choisi de garder deux familles et de mêler leurs histoires, ce qui a demandé un travail minutieux, mais passionnant. C’est vraiment au montage que le film a pris toute sa forme.

C. : Pour revenir sur le parcours du film : depuis sa sortie, où a-t-il déjà été diffusé ?

T.D. : Le film a fait sa première internationale au Festival Jean Rouch en mai dernier, une très belle expérience. Ensuite, il a été présenté en sélection nationale au Brussels International Film Festival, un moment fort puisque les familles et l’équipe étaient présentes. Pour certaines, comme Angelina, c’était la première fois qu’elles découvraient le film et même un festival de cinéma.

Dès septembre, la diffusion s’est élargie hors festivals, notamment au cinéma Aventure à Bruxelles, puis en Wallonie. Mais l’ambition ne se limite pas aux salles : le film a aussi vocation à être un outil de sensibilisation dans le milieu social. Nous organisons des projections en partenariat avec des associations, des institutions et des Espaces-Rencontres, en Belgique et en France.

C. : Revenons à vos débuts. Avec Et Arnaud, votre film de fin d’études, vous avez rencontré un beau succès en festivals. Comment ce projet est-il né et est-ce déjà là que s’est affirmé votre approche documentaire ?

T.D. : J’ai réalisé Et Arnaud durant ma dernière année d’études à la HELB. Au départ, je ne pensais pas du tout devenir réalisateur : je voulais faire de la photo, puis du son, et c’est un peu par hasard que j’ai eu l’opportunité de réaliser ce film. Le sujet s’est imposé naturellement, en parlant de ma famille, de mon frère. Pour moi, le documentaire est avant tout un moyen d’expression, un outil pour mettre en lumière des personnes qu’on ne voit pas. Je ne me considère pas comme un grand cinéphile du documentaire, mais j’ai découvert à travers ce film la force de ce langage. Et Arnaud a eu un très beau parcours, notamment à DOK Leipzig et Premiers Plans Angers, et ça m’a ouvert la voie.

C. : Quel rôle jouent aujourd’hui les festivals dans la vie d’un film documentaire comme le vôtre ?

T.D. : Les festivals restent importants parce qu’ils donnent une forme de crédibilité : quand on me parlait d’Et Arnaud, la première chose qu’on disait, c’était DOK Leipzig. Cela dit, ce n’est pas mon objectif premier : ça fait du bien à l’ego, bien sûr, mais ce qui m’intéresse surtout, c’est de savoir comment toucher le public, comment concilier un cinéma d’auteur avec l’accès à un public plus large. C’est un questionnement permanent.

C. : Finalement, si le documentaire n’est pas un genre rentable, pourquoi est-il important pour vous d’en faire ?

T.D. : Justement parce que ce n’est pas une question de rentabilité. Pour moi, le documentaire social est un moyen de donner de la lumière à des personnes qu’on ne voit pas ou peu. Il y a quelque chose de magique dans le fait de poser une caméra face à quelqu’un qui n’a jamais été filmé et qui accepte de se livrer. C’est un moment unique, presque irréel, et c’est ce qui me motive : offrir une visibilité, donner de l’espoir à travers le cinéma.

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