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Ben Dessy et Michèle Jacob, les créateurs d'Arcanes

Publié le 08/09/2025 par David Hainaut, Cyril Desmet et Vinnie Ky-Maka / Catégorie: Entrevue

"On voulait raconter une histoire belge, ancrée dans un vrai passé"

Dévoilée en juin au Brussels International Film Festival (BRIFF), diffusée sur la RTBF (le 11 septembre) et bientôt en compétition au Festival de la Fiction de La Rochelle (16 au 21/9), cette minisérie en six épisodes déploie un thriller social inspiré par la mémoire ouvrière.
Rencontre avec Michèle Jacob, réalisatrice et co-scénariste des six épisodes, et Ben Dessy, auteur, au sortir de la récente conférence de rentrée de la RTBF, au Cinéma Palace de Bruxelles. Ils reviennent sur la longue gestation du projet et ses enjeux.

Cinergie: En marge de tous ces événements, comment allez-vous ?
Michèle Jacob: Bien, on a hâte que la série sorte.
Ben Dessy: Pour moi, c’est presque irréel. J’ai terminé l’écriture il y a longtemps et travaillé sur d’autres projets depuis. Voir Arcanes arriver enfin à l’écran, ça fait un drôle d’effet.
M.J.: C’est une belle dynamique. La sélection à La Rochelle tombe en même temps que la diffusion télé, donc on va avoir à la fois un public en salle et les spectateurs de la RTBF. On va enfin partager ce travail avec des regards extérieurs. C’est précieux.

C: Mais avant les avant-premières et les sélections, il a bien fallu poser les bases… Comment tout a commencé ?
B.D.: Cela remonte à 2018, suite à un appel à projets de la RTBF pour un "murder mystery". Je viens de Tubize et ma famille a été intimement liée aux Forges de Clabecq: mon père, mon grand-père et mon arrière-grand-père en ont été actionnaires, parfois présidents. Quand l’usine a fermé, nous étions donc en première ligne. Je me suis dit que ce passé social et industriel offrait un terreau parfait pour une fiction. 

C: Davantage que pour un documentaire?
B.D.: Oui. On voulait raconter librement, sans didactisme. Dans une ville clivée entre bourgeois et ouvriers, avec en déclencheur la disparition d’un enfant: c’était la meilleure façon de mêler l’intime et le collectif. En 2019, je travaillais encore avec un autre auteur, Brieuc de Goussencourt. Mais assez vite, il a semblé logique d’intégrer une voix féminine. Michèle est alors arrivée dans l’écriture, puis elle a pris la réalisation. 

C: Sans trop en dévoiler, comment présenteriez-vous l’intrigue en quelques lignes ?
M.J.: C’est une histoire qui se passe en 1995, deux ans après la fermeture de l’usine sidérurgique d’une petite ville. Clémence, héritière de l’usine, a perdu son fils. Au moment où sa famille s’apprête à partir, l’amie de l’enfant disparaît. Clémence décide de rouvrir le dossier en s’alliant avec Antonio, ancien ouvrier longtemps considéré comme le principal suspect. Ensemble, ils découvrent un livre écrit par les deux enfants, qui va les mener aux secrets de toute la communauté. 

C: Concrètement, comment s’est passée votre collaboration à deux pour écrire cette histoire ?
B.D.: Avec Michèle, ça a été un vrai coup de foudre professionnel. Moi, je me concentrais sur la dramaturgie et la structure, elle sur les personnages et l’émotion. On a beaucoup appris l’un de l’autre. Du premier jet, il ne reste d'ailleurs pas grand-chose. Même le titre a changé en cours de route. 

C: Jusque là, vous étiez de grands consommateurs de séries?
B.D.: Moi, je regarde ce que Michèle me conseille (rires).
M.J.: J’ai regardé énormément de séries: familiales, policières, avec des enfants… Même celles qui m’ont moins plu, pour comprendre pourquoi. Certaines m'ont pas mal inspirée, comme Mare of Easttown ou Broadchurch. Bien sûr, on voulait trouver notre ton. Pour nous, il s’agissait d’abord de raconter une histoire de deuil et de mémoire ouvrière, en travaillant des personnages nuancés: avec Clémence, une héritière fragilisée, et Antonio, un ouvrier soupçonné, mais humain. Et surtout les enfants, dont le regard pousse les adultes à avancer. 

C: Mais entre les influences et les intentions, il a aussi fallu affronter quelques embûches: le covid, un casting qui change… Comment avez-vous tenu ?
M.J.: Oui, ça a été un long chemin. Il a fallu réorganiser, recaster après le forfait malheureux d’Émilie Dequenne, le tournage reporté, etc... Jasmina Douieb est arrivée dans le rôle de Clémence, avec beaucoup de justesse et de force. Michelangelo Marchese, qui joue Antonio, s’est totalement investi dans son personnage. Lara Hubinont (Maria) et Nola Tilman (Stella) ont apporté une énergie incroyable. J’avais vraiment une troupe soudée. Et derrière, une équipe technique formidable: décors, image, son, VFX… Chaque étape amenait une énergie nouvelle. C’est ça qui m’a permis de tenir.
B.D.: Écrire une série, c’est comme gravir une montagne: quand on pense avoir atteint le sommet, il y en a une autre derrière. Heureusement, j’étais surtout concentré sur l’écriture. Mais par la suite, j’ai vu Michèle porter le projet à bout de bras. 

C:  Vous parlez d’équipe soudée et de décors. Certains, justement, vous ont conduit jusqu’en Slovénie. Pourquoi ce détour?
M.J.: On avait une coproduction, via une aide financière européenne qui a rendu possible une partie du tournage là-bas. Et ça tombait bien: certaines friches industrielles qu’on cherchait n’existent plus en Belgique ou ont trop changé. Là-bas, on a trouvé des décors plus bruts, plus intacts, qui correspondaient parfaitement à l’ambiance des années 90 qu’on voulait recréer. 

C: Et pourtant, malgré ces difficultés et un sujet assez grave, vous avez tenu à garder de la lumière à l’écran. Pourquoi ?
M.J.: Oui, c’était essentiel. On parle de deuil, mais il fallait aussi de l’espoir, des liens, parfois même de la joie. On a tourné en été, et on voulait que ça respire à l’image, que la lumière traverse la noirceur.
B.D.: Même dans les pires moments, on rit parfois. C’est ça qui rend les personnages humains. 

C : Ce qui frappe aussi, c'est ce gouffre qui nous sépare des années 90, sans Internet ni portables…
M.J.: Oui, et c’était une époque où le racisme, le sexisme ou l’homophobie s’exprimaient sans filtre. Les personnages pouvaient parler sans précaution, ce qui reflète aussi nos débats d’aujourd’hui, sous d’autres formes. Et il y avait aussi, en toile de fond, les disparitions d’enfants comme celles de Julie et Mélissa, l’affaire Dutroux… Toute une ambiance qui a marqué notre génération.
B.D.: Et c’est juste avant plein d’autres choses, comme l’ADN, les polices restructurées… Un monde plus opaque, parfait pour un thriller. 

C: Et ce titre, Arcanes, n’est-il pas source de confusion avec Arcane, la série Netflix qui a récemment fait parler d’elle?
M.J.: Quand on a choisi le titre, seul un projet d’animation existait, sans qu’on devine son futur succès mondial. En francophonie, la série restera Arcanes. À l’international, elle sera distribuée sous le titre Steel Town

C: Quels projets vous attendent ?
M.J.: Je commence l’écriture d’un long métrage autour du rugby amateur, une histoire père-fils.
B.D.: Je travaille sur plusieurs projets. L’adaptation belge (Les Beaux Malaises) d'une série canadienne en préparation pour la RTBF, une série de 8X20 minutes réalisée par Grégory Beghin. J’ai aussi écrit une comédie d’action, Un vrai flic, avec Lionel Delhaye, développée chez Narrativ Nation et Wrong Men, ainsi qu’un film de genre, Sharon, coécrit avec Fred De Loof, pour 1080 Films. Et puis, avec Michèle, on développe également une nouvelle série et un long métrage. 

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