À l’occasion du festival Anima, Cinergie a rencontré Sarah Gravier, de l’association la PERCHE, pour discuter de l’inclusion des publics en situation de handicap ou d’empêchement dans les salles de cinéma. Entre accessibilité, dispositifs adaptés et choix des films, elle nous parle des enjeux d’un cinéma réellement ouvert à tous.
La PERCHE : Un Cinéma Accessible à toutes et tous
Cinergie : Quel est l’objectif de votre asbl La PERCHE ?
Sarah Gravier : La Perche, l'acronyme signifie Projections Et Rencontres Pour Cinéphiles En Situation de Handicap ou d'Empêchement. Notre objectif est de mettre en place des séances de cinéma pour un public en situation de handicap ou d’empêchement. On s’est rendu compte qu’il y a plusieurs barrières physiques, symboliques, matérielles qui font que certaines personnes n’ont pas accès aux lieux culturels, dont le cinéma. En partant de ce constat, on a voulu mettre en place ce projet pour que tout le monde ait accès à nos salles sombres.
C. : Depuis combien de temps cette prise de conscience existe-t-elle en Belgique ?
S. G. : La Belgique est un peu à la traîne par rapport à ce type de public. Culture Relax s’occupe de l’inclusion culturelle de ces publics en France depuis un certain temps, et ça bouge pas mal également en Angleterre. En Belgique, ce sont plutôt des initiatives indépendantes dans les cinémas, mais elles prennent rarement en compte la totalité des handicaps. On est conscient qu’il est difficile de tous les prendre en considération, bien évidemment. Avec la PERCHE, on essaie d’être le plus exhaustif possible dans notre prise en compte des différents handicaps.
C. : Quels sont les handicaps rencontrés et pris en compte par la PERCHE ?
S. G. : Tout d’abord, il faut savoir que par personne en situation de handicap, on entend des empêchements moteurs et/ou sensoriels. Mais c'est aussi lié à l’environnement, qui est lui-même créateur d’une barrière empêchant l’accès au lieu pour les personnes concernées par ces empêchements. On met en place plusieurs dispositifs pour pallier ces problèmes environnementaux et rendre les lieux accessibles à ce public. Pour les personnes malvoyantes ou aveugles, il y a par exemple l’audiodescription. C’est le procédé par lequel les scènes sont décrites. On met en place cette audiodescription pour des séances et les personnes peuvent les télécharger gratuitement par le biais d’une application. Elles mettent des écouteurs pendant la séance et disposent ainsi de toutes les descriptions du film.
Un autre procédé est le sous-titrage pour sourds et malentendants. Cela permet aux personnes de s’immerger dans leurs émotions. Pendant ces séances, on enlève également des sièges à l’avant afin que les personnes à mobilité réduite puissent venir avec leurs fauteuils roulants. La lumière est tamisée et le son un peu plus bas pour permettre aux personnes neuroatypiques d’être plus à l’aise. Les stimuli trop importants peuvent les rendre nerveuses. À l’extérieur de la salle, on installe une zone relax, permettant à toute personne ne se sentant pas bien de s’éloigner un moment. C’est également utile pour les personnes agoraphobes.
Pendant ces séances, on demande aussi à tout le monde d’être respectueux et on explique qu’il est possible d’exprimer ses émotions comme on le souhaite. Il est permis de se lever pendant la séance, par exemple. On évite d’être trop rigide sur les normes sociales.
C. : Quels sont les cinémas adaptés à vos séances à Bruxelles ?
S. G. : Au cinéma Flagey, il y a une boucle à induction magnétique. Cette technologie permet aux personnes équipées d’un appareil auditif de capter directement le son du film via leur appareil personnel. Le cinéma Palace dispose également de cette technologie. On collabore aussi avec la Cinémathèque. Beaucoup de cinémas ne sont malheureusement pas accessibles, car il y a beaucoup de marches ou que les lieux sont inadaptés. Mais ils n’y peuvent rien parfois. Pour l’instant, le Kinographe est en travaux, mais on devrait y retourner une fois le chantier terminé.
C. : Qu’est-ce qui vous a donné envie de travailler pour cette démocratisation de la culture aux personnes en situation de handicap ou d’empêchement ?
S. G. : En ce qui me concerne, j’ai été sensibilisée par les décrets concernant la démocratisation de la culture au sein des centres culturels. L’idée est de faire venir les gens dans nos lieux culturels et de rendre cette culture accessible à tous, y compris aux personnes complètement oubliées. C’est ce qui m’a motivée.
Ce projet est complexe, et il ne suffit pas de mettre en place ces dispositifs. Il faut aussi rendre les personnes légitimes à venir, et cela passe par un travail de communication et de rencontres avec les associations. Il faut aller vers elles, leur dire qu’elles sont les bienvenues et qu’elles ont leur place dans le milieu culturel.
C. : Comment choisissez-vous les films au programme des projections de La Perche ? Y a-t-il des bons et des mauvais films ?
S. G. : Nous avons un chargé de cinéma qui s’occupe de la sélection, et nous en discutons ensemble. Nous évitons certains types de films, mais on ne peut pas dire qu’il y a des bons et des mauvais films. On essaie de programmer des films d’actualité pour que les personnes malvoyantes ou sourdes puissent en parler et créer du lien social à travers le cinéma.
Nous projetons aussi des films sensoriels comme La Panthère des Neiges (2021), où les paysages sont magnifiques et la musique douce. Si nous intervenons dans un centre de jour, nous faisons attention à éviter les films trop déprimants ou contenant des scènes potentiellement dérangeantes, comme des scènes de vomi, qui pourraient provoquer des réactions. Nous proposons aussi des films familiaux, permettant aux enfants en situation de handicap et à leurs parents de partager un moment ensemble.
C. : Y a-t-il d’autres éléments à prendre en compte pour organiser ces projections ?
S. G. : Nous faisons attention aux horaires. Nous programmons nos séances pendant les heures de bureau ou les mercredis à 14h, afin que le public associatif puisse venir. Le week-end, nous prévoyons des séances pour les familles, et nous évitons les projections en soirée, car l’organisation nocturne complique les choses.
Nous ne cloisonnons pas les publics : tout le monde est le bienvenu. Il est essentiel de souligner que 80 % des handicaps ne sont pas visibles. Nous ne sommes pas là pour juger qui est handicapé ou non, mais pour créer du lien et mélanger les publics. Après chaque séance, nous organisons un goûter, avec jus et cookies, afin de favoriser les échanges autour du film.
C. : Quel est le suivi après les séances ? Quels sont les coûts de ces projections ?
S. G. : À chaque séance, nous distribuons des questionnaires pour évaluer le confort des dispositifs et le choix des films. Au départ, nos séances étaient gratuites, ce qui nous a permis d’ajuster notre projet. Désormais, elles sont payantes, avec un tarif solidaire pour les personnes en situation de handicap et leurs accompagnants. Les coûts étant élevés, nous partageons souvent les frais avec les distributeurs.
C. : Un dernier mot ?
S. G. : Oui, un immense merci à nos bénévoles. Sans eux, rien ne serait possible. Si des personnes souhaitent s’engager, elles peuvent nous contacter via notre site web !
https://www.la-perche.be/events/