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Valéry Carnoy, la Danse des renards

Publié le 06/11/2025 par Cyril Desmet et Katia Bayer / Catégorie: Entrevue

« Ce que j’aime dans le cinéma, c'est les paradoxes » 

Révélé par son court-métrage Titan, Valéry Carnoy signe avec La Danse des renards (Quinzaine des cinéastes, FIFF, Saint-Jean-de-Luz …), un premier long-métrage nerveux entre visible et invisible. À travers le parcours de Camille (Samuel Kircher), jeune boxer en proie à une douleur psychosomatique, le cinéaste belge interroge la masculinité, la vulnérabilité, la faille et la santé mentale.

Cinergie : Titan, votre court-métrage réalisé en 2021 explorait déjà la masculinité et la force, des thématiques qu’on retrouve dans La Danse des renards. Comment le premier a-t-il aidé à préparer le second ? 

Valéry Carnoy : Titan a été conçu avec Julie (Esparbes, productrice chez Hélicotronc) autour d’un thème qui nous plaisait à tous les deux : la masculinité et l’injonction à la virilité. Pour l'anecdote, on a reçu des aides pour La Danse des renards, avant même d'avoir fait Titan. Il y a eu un entrecroisement entre ces deux films. Ils se nourrissent l’un l’autre. J'avais à cœur, pour Titan, de traiter du rituel, de l’adolescence, mais aussi des blessures et du corps. Comme le film a été un succès, on a transposé certaines choses pour La Danse des renards. J'avais aussi envie de parler de la faiblesse, de l'injonction, de l’exclusion et de l’inclusion dans le groupe.

 

C. : Vous avez fait des études de psychologie et travaillé dans le social avant de faire des films. Comment cette expérience a-t-elle influencé votre manière de filmer la faiblesse - qui passe souvent par des mots, mais pas par des images - ? 

V.C. : Ce travail a été très important. La Danse des renards, c'est un film sur la masculinité, c'est un film nerveux, sur le corps, la faiblesse, mais c'est surtout un film sur la santé mentale. J'avais vraiment envie de traiter ce qu'on ne voit pas : la douleur invisible, les blessures qui n'existent pas, visuellement parlant. Je n'ai pas vu et connu beaucoup de films sur le psychosomatique, mais c'est aussi parce qu’il n’y a pas de traces physiques. C'est aussi pour ça que c'est si complexe, même pour les gens aujourd'hui qui sont en burn-out, qui ont des douleurs fantômes, de réussir à les exprimer. C'était là, tout mon défi de créer un film de tension sur une blessure qu'on ne peut pas voir, qui est invisible. Au cinéma, c'est encore plus complexe, parce que c'est un art qui est complètement visuel.

 

C. : Beaucoup de scènes, de mouvements se passent sur le ring, pendant les entraînements, dans les vestiaires. Pourquoi avoir choisi l’univers de la boxe pour ce film ?

V.C. : Ce que j’aime dans le cinéma, c'est les paradoxes. Camille, mon personnage, c’est un jeune homme qui est présenté comme populaire, beau, fort, résilient à la douleur, mais il ne comprend plus son corps. Il est habitué comme tout sportif professionnel à la douleur physique par les coups, les combats, ses entraînements, mais pas à une douleur qu’il ne peut ni voir, ni expliquer, ni comprendre. Sauf qu’avec une blessure invisible, Camille ne va pas supporter de souffrir. Cela va l’exclure de son groupe. Je trouvais ce paradoxe d’autant plus intéressant que dans la boxe, on accepte autant de recevoir que de donner des coups et que quand on est touché, les coups se voient, les bleus et les rougeurs aussi. La boxe est un sport qui marque très fort, beaucoup plus que les autres, car le coup est direct, sur la peau. Au fur et à mesure, Camille réagit différemment aux coups, ne les évite plus, il accepte sa douleur et d’être blessé, son visage change au fur et à mesure du film. Ce paradoxe m’intéressait aussi beaucoup.

 

C. : Comment avez-vous traduit ce paradoxe à l’écriture ?

V.C. : Pour être honnête, l’écriture a été compliquée. J’ai moi-même vécu des douleurs psychosomatiques donc je savais à quel point c’était difficile à comprendre. Comment accepter une douleur quand on ne sait pas d'où elle provient, pourquoi et comment ça nous arrive ? Dans le film, le corps de Camille lui dit « stop » avant son esprit. C’est une métaphore de notre société capitaliste qui nous pousse à toujours travailler, produire, développer plus. Jusqu’à ce que le corps ne suive plus et lâche. Le film parle de ce moment où le corps met un frein au mental.

 

C. : Le casting est composé de comédiens professionnels (Samuel Kirchner, Jean-Baptiste Durand, Yoann Blanc, Raphaël Thiéry, …) comme non professionnels. Comment avez-vous constitué votre équipe ?

V.C. : Avec Titan, j’avais eu une très bonne expérience de casting sauvage. J’ai eu envie de reproduire cette idée. Ma volonté première, c'était d'avoir uniquement des jeunes non professionnels. J’ai donc cherché de vrais boxeurs, des jeunes de 17-18 ans. Le milieu de la boxe mineure est énorme, c'est un monde à part entière qui est gigantesque. La directrice de casting a été extrêmement efficace. En 13-14 semaines, elle a réussi à finaliser son casting. Puis, elle a très vite compris les grandes difficultés du casting, ce qu'on aurait et ce qu'on n'aurait pas. C’est pour ça que très vite, on est allé vers Samuel Kircher : on savait que c'était un garçon qui pouvait se transformer. Je ne voulais surtout pas faire un film sur l'adolescence avec des jeunes qui ne sont plus des ados. À force de travailler avec des ados, de les voir, de regarder leur corps évoluer, leur regard, on arrive à reconnaître qui est un ado et qui n'en est pas un. Dès le moment où on arrive à le reconnaître, ce n'est plus possible de travailler avec un jeune qui a 23-24 ans. On n’arrive même plus à le guider, à le diriger. Ce premier critère nous a beaucoup aidés, et a évidemment soulagé tout le travail de direction de casting. Grâce à l’expérience de Titan, je savais que la cohésion du groupe, à l'écran et en dehors de l'écran, était hyper importante et qu’elle allait sauver mon film. Je l'avais déjà remarqué entre Jef Jacobs et Mathéo Kabati (les acteurs de Titan) : il y avait une synchronisation entre les deux. D'un coup, ils étaient devenus bons à deux. Je n'avais même plus besoin d’intervenir. Pour La Danse des renards, ça a été la même chose. Le casting s’est construit un peu comme une troupe : on a testé des jeunes bons boxeurs ensemble, on voyait comment ils réagissaient, ensuite, on a créé des binômes. Au fur et à mesure, on a constitué un casting avec des personnalités assez résiliantes. Les jeunes se sont entraînés ensemble, y compris Samuel qui n’était pas spécialement un boxeur, mais qui a énormément travaillé. Ils ont passé du temps ensemble, ils ont appris à se connaître, ils se sont amusés pendant les répétitions. Ils sont devenus une bande d’amis. Cette cohésion, cette alchimie géniale m’a énormément aidé en termes de mise en scène et tout au long du tournage.

 

C. : Quel a été l’apprentissage sur ce film ?

V.C. : Je suis quelqu'un d'assez impatient. Au cinéma, j’ai besoin de nervosité, de dynamisme. Pour mon premier film, je n'avais surtout pas envie de m'ennuyer. J’avais dès lors cette volonté constante de rythme, de nervosité. Mon scénario comportait des scènes courtes, pas trop de dialogues, mais beaucoup de mouvements. Ce que j’ai appris, c’est que tout peut être réécrit. Même si on pense que notre scénario est solide, à tout moment on peut le réécrire, le résumer, et gagner en nervosité et en rythme. À la fin du film, le directeur de production m’a demandé de couper une semaine de tournage pour des questions de budget. J’ai replongé dans ce scénario qui représentait presque 4 ans de travail et j’ai réécrit encore, j’ai fusionné des scènes, toujours en pensant à ce dynamisme. Suzana Pedro a également fait un travail exceptionnel sur le montage. Elle n'est pas pour rien aussi dans la nervosité de ce film et dans cette capacité à couper à des moments que je n'aurais jamais imaginés. Je me retrouve avec un objet que je trouve très nerveux, plein de vivacité. Ça me fait énormément plaisir parce que c'était mon intention depuis le début. Comment savoir si on y arriverait surtout quand en traitant d'une thématique comme la santé mentale, qui est au final assez indirecte, nébuleuse et difficile à toucher ?

 

C. : Vous travaillez depuis longtemps avec le chef opérateur Arnaud Guez et la cheffe décoratrice, Yasmina Chavanne. Comment avez-vous collaboré à trois sur un projet qui était un premier film pour chacun ?

V.C. : Ce sont mes amis avant tout. J’ai tenu à les imposer en production. On était très inexpérimentés, on a progressé ensemble avec ce film. Je les ai énormément écoutés. On a discuté énormément, pendant des mois, bien plus que les trois mois de préparation. Je suis quelqu'un qui a plein d’idées, bonnes comme mauvaises. J’ai besoin d'amis « ciseaux » qui viennent couper le buisson complètement tentaculaire de ce qui se passe dans ma tête ! Travailler de cette manière dans l'écoute quand on est jeune, ça vous rend plus fort, parce que trois cerveaux inexpérimentés, ça fait un cerveau au final ! On suit nos intuitions, on connaît nos domaines, ça m'a beaucoup, beaucoup aidé. C'est vraiment grâce à mes amis, grâce aux gens qui m'accompagnent depuis des années, que je me remets chaque fois en question, et qu’au final, le film existe. Dans mon cas, les techniciens ont une place énorme. C'est le cas de la chef monteuse, de la scripte et de la productrice, qui ont toutes un impact très fort sur l'écriture et la mise en scène aussi.

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