Rencontre avec Myriem Akheddiou, Bayard de la meilleure interprétation au Festival International du film Francophone de Namur 2025 dans On vous croit d'Arnaud Dufeys.
Rencontre avec Myriem Akheddiou, Bayard de la meilleure interprétation dans 'On vous croit'
Cinergie: Vous avez tout de suite commencé et terminé des études de jeu au Conservatoire de Bruxelles après vos études secondaires. Pour vous, faire du théâtre était une évidence ?
Myriem Akheddiou : Être actrice était une évidence, mais je ne savais pas si je voulais être au théâtre ou au cinéma.
C.: Est-ce que vous vous attendiez à ce que vous avez découvert dans le milieu professionnel?
M. A.: J’avais un peu le sentiment de ne pas être tout à fait à ma place dans le travail. Pendant les années où j’ai fait du théâtre, j’ai vécu d’incroyables expériences humaines, collectives, de camaraderie, mais j’ai eu pas mal de frustrations par rapport à ce qu’on me demandait de produire, et ce, sans responsabiliser les autres. Je me demandais si c’était vraiment fait pour moi. Je me disais qu’il y avait moyen de faire autrement, de faire mieux. C’était comme si j’attendais quelque chose que je ne trouvais pas pour diverses raisons. Je crois que j’avais foi en une forme d’authenticité dans le jeu la plus absolue. Je n’arrivais pas tout à fait à la trouver en faisant du théâtre. Comme le théâtre demande de la vérité, mais aussi de l’amplification, une forme de tricherie, je n’arrivais pas à cela. Donc, j’ai dû faire un choix.
C.: Comment êtes-vous arrivée au cinéma?
M. A.: J’ai fait une expérience de jeu caméra au Conservatoire et qui m’avait plu. Le réalisateur, Alexis Van Stratum m’a dit que ça m’allait très bien. Je n’en ai pas fait après, j’y pensais, mais je ne me suis pas donné les moyens de le faire. Mon partenaire, Fabrizio Rongione, est acteur et a des amis dans le cinéma qui m’ont proposé une participation dans leur film. Je pense à Une part d’ombre de Samuel Tilman qui m’a confié un rôle secondaire. Ce film a été une expérience très agréable pour moi et a été bien reçu. Il y a eu aussi un rôle secondaire dans Le Jeune Ahmed pour lequel j’ai reçu un Magritte. J’ai eu de la chance.
C.: Est-ce que le travail d’une actrice varie quand elle joue dans une série ou dans un film?
M. A.: Je ne crois pas que ce soit le jeu qui soit différent même si le résultat peut l’être. Pour la préparation d’une série, surtout si on a un rôle important, il faut travailler en amont plus que pour un long métrage puisqu’une saison (8 fois 52 minutes) correspond à plusieurs longs métrages. On doit avoir un aperçu de toute la traversée du début à la fin, comme on ne tourne pas chronologiquement. Il faut être prêt chaque jour à être catapulté à tel moment de la trajectoire du personnage. Après, sur le tournage, on a beaucoup moins de temps quand on tourne des séries en Belgique. Par exemple, pour les frères Dardenne, le temps de répétition est égal au temps de tournage. Il y déjà une recherche à ce moment-là, c’est une collaboration entre les acteurs et eux pour commencer à chercher la scène et le jour du tournage, on cherche encore et tout peut encore changer. On n’a pas ce temps-là pour chercher quand on fait des séries or il peut considérablement changer le résultat final. Et manquer de temps peut susciter un sentiment de frustration.
C.: Comment s’est passée la rencontre avec Arnaud Dufeys?
M. A.: On avait déjà travaillé ensemble sur le pilote d’une série dirigée par Arnaud, mais elle ne s’est malheureusement pas faite. On s’est bien trouvés à ce moment-là. Il envisage la direction d’acteurs d’une façon qui m’est familière et confortable et que je trouve riche. Sa méthode permet l’exploration, elle permet d’essayer, de ne pas aller directement à quelque chose de présupposé, de chercher.
C.: Pourquoi avez-vous accepté ce rôle?
M. A.: C’est un rôle très fort qui a résonné dans mon corps et mes entrailles de mère. Le film me touchait aussi à l’endroit de la protection de l’autre, du plus faible. Dès le départ, c’est l’histoire d’une femme qui tente de protéger quelqu’un et on l’en empêche. Donc, la lecture du scénario et la situation de cette femme m’a percutée directement aux tripes et au cœur.
Je n’ai pas de registre de jeu attendu, mais ce que j’aime, c’est partir d’une résonance personnelle et sincère pour un rôle, c’est crucial pour moi. Comme cela demande beaucoup d’implication et de travail, il faut y croire à fond. Cela nécessite de bonnes histoires avec de beaux rôles, des collaborateurs exigeants et bienveillants.
C.: Comment s’est passée la préparation pour On vous croit?
M. A.: Avec Arnaud et Charlotte, j’ai été vite mise dans le processus de travail. Le premier texte que j’ai lu n’était pas le scénario dialogué. On a rapidement collaboré parce que je pense qu’il y a un bénéfice au fait qu’un acteur qui va jouer un rôle puisse exprimer son regard sur la trajectoire du personnage. Les réalisateurs et scénaristes doivent avoir une vision globale alors que les acteurs se focalisent sur une trajectoire, un rôle et de creuser ce rôle-là en particulier. On peut amener des raisonnements qui viennent caractériser, enrichir, approfondir un personnage.
C.: Y-a-t-il eu beaucoup de répétitions ?
M. A.: Non, nous avons fait le choix que chacun soit bien préparé de son côté. Ensuite, pour aider à créer de la surprise, de la vie, de la vérité, on a choisi de ne pas trop se frotter les uns aux autres avant le tournage pour ne créer aucun présupposé de ce qui allait se passer sur le plateau et pour enregistrer la surprise et les réactions les uns aux autres pour qu’elles soient le plus vrai possible. Comme on a fait passer des essais avec des avocats et des enfants, c’est déjà de la préparation aussi même s’il s’agit d’impros. Cela permet une première rencontre, mais on s’est contentés de cela.
C.: Avez-vous eu des références pour mieux comprendre la psychologie de votre personnage?
M. A.: J’ai eu deux conversations assez longues avec Charlotte qui a rencontré beaucoup de gens dans cette situation. J’avais besoin de comprendre chronologiquement par quoi cette femme était passée avant cette audience. Il y a une fatigue chez ce personnage parce qu’elle a déjà vécu un parcours très long et éprouvant. Puis, elle a témoigné de situations émanant du vécu de mères devant leurs enfants victimes de ce genre de violence. Cette conversation m’a laissé certaines images, sensations, pics émotionnels. Ils m’ont donné à lire un feuillet écrit par le juge Durand qui s’appelle On vous croit dans lequel il tente d’expliquer la position de ces victimes qui le sont une deuxième fois à cause du manque de foi qu’on accorde à leur parole de victimes. Il explique au début les choses qu’on ne veut pas entendre parce que c’est inconcevable et inhumain.
C.: Comment avez-vous maintenu cette tension tout au long du film?
M. A.: Le travail de préparation consiste en cela. C’est très clair lors de la lecture du scénario. Arnaud et Charlotte m’ont rapidement fait comprendre qu’on était dans un moment très tendu de cette femme, et ce, dès le début du film et qui va en progression tout au long. Forcément, cela nécessite, pour chaque seconde de tournage, une charge émotionnelle très forte. Le travail de préparation solitaire sert à accumuler des ingrédients qui permettent d’accumuler de la charge émotionnelle : personnaliser cette situation, sentir là où il faut ajuster pour que cela résonne chez l’actrice que je suis. Je ne suis pas Alice, mais par contre, je suis mère donc je vois les parallèles que je peux faire. Après ce travail de personnalisation, j’ai fait un travail imaginaire pour fabriquer un background important et un background par rapport à chaque intervenant dans l’histoire pour avoir un rapport avec eux, avoir une façon de les regarder ou non, de les écouter ou non, de se tenir physiquement face à eux afin de permettre tout cela, car tout cela raconte quelque chose. En mélangeant ces ingrédients, on prépare une sorte de soupe bouillonnante tout à fait particulière dans laquelle on se jette le jour du tournage.
C.: On en sort comment ?
M. A.: On en sort à la fois fatigués parce que les émotions c’est éprouvant, mais libérés aussi. On fait monter tout cela pendant la préparation, ça monte, ça monte et on peut laisser sortir tout cela pendant le tournage.
C.: Comment s’est passée la relation avec l’enfant?
M. A.: Très doucement, avec beaucoup de bienveillance. Il faut d’abord gagner sa confiance, il doit se sentir safe dans cet environnement pour qu’il puisse donner de lui-même et lâcher prise, se mettre à nu. Arnaud et Charlotte ont fabriqué un contexte qui permettait ça. J’étais là dès les essais pour la première rencontre. Avec Ulysse, on a fait des impros ludiques qui faisaient référence aux différentes situations traversées par cette mère et ce fils à différents moments de l’histoire. Il a fallu aussi travailler le physique, notamment pour la première scène.









