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Landry Youbissi Fogaing, Festival Massimadi, les 14 et 15 octobre 2022

Publié le 10/10/2022 par Fred Arends / Catégorie: Entrevue

Après deux ans d'arrêt suite à la pandémie, les 14 et 15 octobre, le festival Massimadi revient en force au cinéma Nova. Axé sur les cultures afro-LGBTQI avec un fort accent mis sur le cinéma, Massimadi crée un espace de visibilité pour des minorités souvent peu ou mal représentées. Rencontre avec Landry Youbissi Fogaing, l'un des organisateurs du festival.

Cinergie: Pourriez-vous revenir sur l'historique du festival, pourquoi s'est-il construit et pourquoi existe-t-il encore aujourd'hui ?  

Landry Youbissi Fogaing : Massimadi est né en 2013. Le groupe fondateur souhaitait à l'époque ouvrir un espace pour des histoires qui étaient peu visibilisées dans les espaces LGBT traditionnels. Au départ, il s'agit d'un groupe de femmes lesbiennes noires assez diversifié qui avait aussi la volonté de faire des films car la présence de femmes noires dans la production et la réalisation de films sur le marché belge était quasi inexistante. Au fur et à mesure, à côté de la diffusion de films, le festival s'est ouvert aux autres arts. Cette année est seulement la huitième édition dû à la crise Covid.

 

C. : Comment s'est faite l'ouverture aux autres arts ?

L. Y. F. : Il y a eu des expositions, du stand-up, des ateliers Voguing, il s'agissait d'une ouverture progressive vers d'autres expressions. Même si l'objectif principal est la diffusion de films, les différentes expressions des identités LGBT et noires ne se reflètent pas uniquement dans les films, d'où l'intérêt pour d'autres pratiques artistiques.

 

C. : Et cette année ?

L. Y. F. : A côté des films qui constituent l'ADN de Massimadi, nous aurons un jeune artiste noir LGBT qui exposera ses peinture. Il y aura un autre artiste avec des pièces en céramique. Nous envisageons aussi le festival comme un espace de discussions, c'est pourquoi nous souhaitons créer des espaces d'échanges dont le « palabra corner », je le dis avec l'accent pidgin qui est une variante de l'anglais que l'on parle au Cameroun, au Nigeria ou au Ghana par exemple. Ce sera un coin où il sera possible d'avoir des conversations qui pourront être enregistrées, ce qui donnera l'opportunité à des personnes qui ne seraient pas présentes, de profiter quand même du festival. Mon expérience du festival est que j'ai été marqué par un film vu en 2018. Cela faisait dix ans que j'étais en Belgique. Je suis homosexuel, noir et j'ai une expérience de réfugié et je ne me reconnaissais nulle part dans le monde LGBT. J'arrive par hasard au festival et je vois ce film et pour la première fois, j'ai l'impression de me reconnaître. Et c'est génial ! Et peut-être y a-t-il des gens chez eux, en recherche et qui n'osent pas venir à un festival LGBT noir car ils ont certaines réticences. Et donc enregistrer ces conversations permettrait de les rendre plus accessibles.

 

C.: Pouvez-vous nous parler de la thématique du festival « Transmission, Transition, Transformation » ? Cela rejoint les conversations enregistrées qui seront transmises...

L. Y. F. : Effectivement, c'est lié. Ces trois thèmes correspondent à ce que nous pouvons vivre en tant que LGBT. Quand on parle de transformation, de transition, ce sont nos vécus qui seront ensuite transmis aux générations d'après. Une personne LGBT noire née dans les années 70 ou 80, n'appréhende pas ses identités ou sa façon de bouger dans le monde en général et dans le monde occidental de la même manière. Et il y a de l'intérêt à transmettre ces expériences. En 2018, quand j'ai vu ce film, quelque chose m'a été transmis et j'ai compris que mon expérience valait aussi la peine d'être transmise. Quand nos histoires sont invisibilisées, c'est comme si elles ne comptaient pas, qu'elles n'avaient pas d'importance. Et quand ces histoires nous changent nous, on comprend que nos propres histoires valent la peine. C'est pourquoi, nous aurons aussi un « inpiration corner » où l'on pourra apprendre sur l'histoire LGBT noire, avec des références de livres, des informations sur la santé mentale, la santé sexuelle,... On reste dans cet esprit de transmission, de communauté et de solidarité.

 

C. : Pourriez-vous dire quels films vous conseillez, ceux que vous avez particulièrement aimé ?

L. Y. F. : J'ai eu trois coups de coeur. Il y a d'abord le moyen-métrage de l'une des fondatrices du festival, Marthe Djilo Kamga, Zurura, Zurura. C'est un film qui parle de réconciliation avec soi-même. Réconciliation avec sa culture, avec son corps, avec son esprit. Et ça me parle. Si je prends mon expérience personnelle, j'ai grandi au Cameroun et je l'ai quitté en 2008.Et quand je l'ai quitté, il y avait quand même un peu d'aigreur car on quitte un endroit qui ne nous veut pas, on quitte une part de soi et c'est une part de soi qu'on renie. Et au fil des années, j'ai compris qu'il fallait se réconcilier avec soi-même et tous ses aspects; sa culture, les stéréotypes liés à sa culture, à son corps, à tout ce qui constitue notre identité. On apprend à se réconcilier même avec les aspects moins agréables. Et c'est pourquoi ce film me touche autant. Il y a aussi le film Sex Sirens qui suit des jeunes dans l'univers des Ballrooms1, une des catégories les plus en vogue de la scène hollandaise, qui repose sur la séduction, la sensualité et l’autonomisation sexuelle. On s'imagine parfois que cette culture n'est que compétition et a peu de profondeur alors que pour ces jeunes, s'engager dans une telle compétition leur permet de se découvrir, d'explorer qui ils sont. Et le film est aussi très fun, c'est la culture Ballroom, et c'est assez séduisant. Le troisième est Our Dance of Revolution qui est lié au thème de la transmission. On raconte ce que des activistes LGBT et noirs ont fait à Toronto pour transformer cette ville, pour transformer ces espaces en espaces « safe » pour eux. C'est une histoire héroïque en quelque sorte. Ce sont des héros que l'on suit dans leur quête. Et leur exemple permet de se dire pourquoi pas nous ?

 

C. : c'est la première année que le festival a lieu au cinéma Nova. En quoi est-ce important et quels sont les liens entre vous ?

L. Y. F. : Il y a plusieurs raisons. Nous étions en contact avec le Nova et c'était une opportunité. Le Nova nous a proposé un partenariat ce qui était super pour nous car après les deux années difficiles, l'équipe n'est plus constituée que de 6 personnes et compter sur les compétences du Nova, notamment techniques, était inespéré. De plus, il y aussi un public Nova, une certaine notoriété dont on va sans doute profiter aussi. Après ces deux années, il s'agit aussi de reconstruire, de ramener le public qui était là avant. Et comme il s'agit d'une année de renouveau, c'était parfait d'investir un nouveau lieu.

 


1 La « Culture Ball », le système des maisons et d'autres termes associés décrivent un phénomène de sous-culture LGBT aux États-Unis dans lesquels des personnes « marchent » (c'est-à-dire entrent en compétition) pour un trophée et des prix lors d'événements désignés comme des « bals ». Les compétitions peuvent inclure de la danse, ou des catégories drag imitant d'autres genres et classes sociales. La plupart des personnes participant à la culture du bal appartiennent à des groupes structurés en « maisons » (house en anglais). Source: wikipedia.

 

https://www.nova-cinema.org/prog/2022/187/massimadi-festival/