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Le Départ de Damien de Pierpont

Publié le 01/07/1998 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Critique

Double Thérapie

De Damien de Pierpont on connaît Menteur, ce court métrage de fin d'études impertinent qui décoiffe et collectionne les prix depuis sa sortie en 1996. Allait-il continuer à nous surprendre ? Tout à fait.

En réalisant le Départ, un documentaire de 52', un film aux antipodes du précédent, tout aussi personnel mais surtout plus intime.

Le Départ de Damien de Pierpont

Le film commence avec la voix off du réalisateur qui nous confie : "Il y a dix ans j'ai vécu une année dans une famille japonaise à Tokyo. J'avais 17 ans. Les premiers mois furent difficiles mais cette famille, avec le temps, allait me considérer comme son propre fils. Ils sont devenus mes parents japonais."

Damien De Pierpont apprend le japonais et avec Otosan (père), Okasan (mère), Yumiko (soeur) se découvre une nouvelle filiation dont on plaisante en famille (Otosan s'amuse à répandre la rumeur d'un Damien fils naturel qu'il aurait eu avec une mystérieuse maîtresse, jadis en Europe).

De retour en Belgique, Damien entreprend des études de Droit, de Philosophie puis de Cinéma tout en retournant au Japon chaque fois qu'il le peut. "Une partie de moi est restée là-bas et je ne peux vivre loin d'eux trop longtemps. Mais l'histoire est sans doute trop belle. Il y a trois ans Otosan nous a quitté. Depuis chaque matin et chaque soir Okosan se réveille devant son autel funéraire. Yumiko et moi aussi quand je suis au Japon."

Suivent des plans où l'on voit Okosan devant l'autel funéraire sur lequel figure en bonne place la K7 du film de fin d'études de Damien, elle feuillette un album de photos, égrène les souvenirs du temps passée et des bonheurs vécus. Il y a là un plan très émouvant qui dépeint les liens d'affection qui unissait Okosan à Otosan lorsque celle-ci confie à Damien : "Il m'a demandé - au cas où on se croiserait dans une autre vie de nous marier à nouveau."

Damien enregistre le travail du deuil, celui d'Okosan, sa mère, et le sien. Mais le lien qui unit Damien à Okosan est aussi celui du cinéma, du bonheur de découvrir ensemble des films dans les salles obscures de Tokyo, à en partager l'émotion et en parler à perte de vue après les séances. Cette passion c'est à Okosan que Damien la doit, c'est elle qui lui a fait découvrir, lors de son premier séjour au Japon, un média qui plus tard allait devenir son métier.

Dés lors on comprend mieux qu'en filmant Okosan, Damien accomplit un rite qui est un peu le leur. En l'immortalisant sur pellicule il accomplit une double thérapie, celle d'Okosan et la sienne.

Le réalisateur de la Supériorité de l'image n'est pas seulement fasciné par un rite funéraire qui mobilise ses affects familiaux, il accomplit - comme tout metteur en scène grâce au dispositif du cinéma - un rite quasi-funéraire qui consiste à enregistrer la vie et à en projeter ensuite la réincarnation, le double, voire le fantôme sur un écran ou une toile.

 

"J'ai été surpris, nous confie le réalisateur, par l'importance que les japonais accordent à leurs morts. Ils ne nient pas le mort au point que celui-ci en devient quasi trop présent, du moins à mes yeux, presque étouffant. Mais je trouvais ces rites très beaux. Il y avait quelque chose de supérieur, d'impalpable dans l'attitude de ma mère qui me fascinait. J'étais incapable d'aller aussi loin quelle tout en acceptant le jeu et puis, plus tard - je suis revenu chaque année à la même époque - ayant vu son évolution, j'ai compris l'importance de ces rites : reconnaître la présence d'Otosan à ce point facilitait son départ. C'est un peu paradoxal mais lorsque j'ai revu ma mère, deux ans après, elle avait réellement effectué un travail de deuil et était prête à revivre. Et c'est ça que j'avais envie de montrer. Je voulais que le spectateur soit fasciné par cette femme, par la beauté de ces rites mais qu'il se dise : "qu'elle bouge, qu'elle vive !" et c'est ce qui se passe dans la deuxième partie du film." 

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