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Le Lait de la tendresse humaine de Dominique Cabrera

Publié le 01/10/2001 / Catégorie: Critique

(I'll be back) ou L'éternel retour

Christelle, la trentaine, vient de péter les plombs. Elle n'a pas supporté la naissance de son troisième enfant. Et peut-être aussi sa vie de famille, son boulot en atelier, son HLM classe moyenne et son prince charmant de mari qui pense d'abord travail et turbine trop. Bref, en pleine crise, alors qu'elle a tout pour être heureuse, Christelle s'en va, disparaît mais ne va pas bien loin. Elle trouve refuge dans l'appartement de sa voisine du dessus qu'elle ne connaissait pas.

Le Lait de la tendresse humaine de Dominique Cabrera

 

Celle-ci, touchée, émue, l'accueille tant bien que mal, l'écoute et tente de lui venir en aide. Par sympathie ou morale du bon Samaritain, elle va couvrir sa disparition, trouvant dans la noyade autiste de Christelle comme l'écho de sa propre vie et de son désir d'indépendance.

Et petit à petit, une émotion complice va s'installer entre ces deux femmes, brisant leur isolement, les amenant à assumer leur part de tendresse et leur besoin d'amour. Pendant ce temps, Laurent, le mari de Christelle, cherche sa femme. De son lieu de travail à sa famille, son enquête va croiser une série de couples à différents stades de métastases : celui de son meilleur ami qui ne peut avoir d'enfant et prend progressivement l'eau de la séparation, celui de sa belle-sœur qui, confrontée au chômage de son mari, tangue en pleine tempête caractérielle, celui enfin de ses beaux-parents qui gèrent cahin-caha leur naufrage matrimonial avec la résignation des amants fatigués. Parce que sa femme l'a quitté, Laurent va découvrir ces couples peut-être pour la première fois. Face à eux, il réalise ce qu'il a perdu, il comprend l'importance de Christelle dans sa vie et, rentrant chez lui, il est prêt à attendre le retour de sa femme avec une dose d'amour brillant comme un sou neuf. Et coup de bol, Christelle qui vient de reprendre pied dans la réalité grâce aux bons soins de la voisine, a suivi le même cheminement. Elle aussi a décidé de rentrer à la maison et c'est les retrouvailles du happy end pleines de tendresse familiale et de compréhension mutuelle, concluant une crise heureusement passagère puisque tout est bien qui finit bien comme tout rentre dans l'ordre du foyer retrouvé.

Face à la faillite croissante de la vie de famille, on peut apprécier à des degrés divers cette tentative de réhabiliter et le couple et l'image de l'amour qui va avec. Et il sera sans doute difficile pour certains d'accréditer cette histoire de crise post-accouchement se limitant à réconcilier ce qui paraissait irrémédiablement condamné. D'autant que Dominique Cabrera, voulant plutôt son film du point de vue des femmes, fait de Christelle un bien étrange porte parole. Mais foin de jugement moral voire idéologique, libre à chacun de trouver son chemin dans ce film au propos somme toute assez simple. Ce qui retiendra par contre l'attention ici vient du travail de quasi-documentariste de Dominique Cabrera en vue de cerner le quotidien de ses personnages dans ses moindres détails. Il y a dans sa direction d'acteurs, autant que dans son regard caméra et son approche de la lumière, une réelle tentative de construire une réalité toute en nuance et de nous la faire partager. Quand c'est réussi, cela donne des scènes vraies, au ton juste, à l'émotion sensible, comme celles entre Christelle et la voisine. Alors, le film dépasse le simple enjeu de son récit pour nous précipiter de plein fouet dans la vie des gens, et nous touche par sa charge affective. Par contre, quand la sauce ne prend pas, comme dans certaines séquences avec Laurent, le travail d'écriture, la volonté de dire et le désir de tout contrôler deviennent trop évidents. Les scènes virent au démonstratif, l'intention supprime l'émotion et les acteurs semblent surjouer des dialogues par trop littéraires qui se résument à leur contenu. Le Lait de la tendresse humaine s'inscrit dans le courant général du cinéma de la réconciliation mais les qualités et les défauts de sa réalisation nuancent son propos et font surgir parfois la force du vivant là ou l'usage du quotidien pouvait passer pour un effet de style, voire une note d'intention.
Philippe Simon

Le Lait de la tendresse humaine 35mm, format : , couleur, 94'
Réal. : Dominique Cabrera. Image : Helène Louvart. Son : Xavier Griette. Mont. : Francine Sandberg. Mus. : Béatrice Thiriet. Int. : Patrick Bruel, Marilyne Canto, Dominique Blanc, Sergi Lopez, Olivier Gourmet, Yolande Moreau, Claude Brasseur, marthe Villalonga. Coprod. belgo-française : les Films Pelléas, Les Films du Fleuve, Glem Film, RTBF en association avec Gimages 4 et avec la participation de : Canal +, Centre de la Cinématographie, Conseil régional de Franche-Comté, Centre du Cinéma et de l'Audiovisuel, la Communauté française Wallonie-Bruxelles, Télédistributeurs wallons.

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