Le Premier venu de Jacques Doillon
Nous avons découvert Jacques Doillon lors d'un premier film très utopiste, L’An 01. Trente films depuis... en impliquant le plus souvent des acteurs non professionnels même si Jane Birkin, Isabelle Huppert ou Richard Anconina ont été les personnages de certains de ses meilleurs. Sa tasse de thé, ce sont les enfants, les ados, les jeunes, tous ceux que les structures du monde adulte n’ont pas encore contaminés, qui sont encore dans l’instant, dans la pulsion avant tout : La Fille de 15 ans, La drôlesse, Le Petit criminel, Le Jeune Werther, Ponette, Les Doigts dans la tête, Petits frères. En musique (Doillon l’adore), on dirait qu’il préfère le free jazz au style de la Nouvelle-Orléans. Le Premier venu est un film aux dialogues magnifiques entre Camille et Costa, deux personnages taillés dans le vif de l’humain. À l’origine de toutes les relations humaines, la langue est ce qui sépare Camille de Costa, plus que le corps (« donner son corps ce n’est pas être entendu » souligne Doillon). Un jeu entre le visible et l’invisible dont excelle depuis longtemps Jacques Doillon, grand admirateur (ce n’est pas une surprise) de Robert Bresson davantage que de Pialat ou Rohmer.
D’emblée, la succession rapide des scènes nous plonge frontalement dans le récit. Camille, une jeune Parisienne plutôt bourgeoise, poursuit Costa, un paumé mi-brigand, mi-SDF. Curiosité d’une jeune fille pour l’autre, l’étranger, l’inconnu ? Comment rester adolescente et reconstruire le monde de Costa via Cyril, un flic qui veut la draguer.
On n’arrête pas d’opposer l’unique prise de vue de Philippe Garrel aux 17 prises, voire plus, de Jacques Doillon. Pourquoi ? Simplement parce qu’il y a, dans les films de Doillon, un phrasé unique, proche de la musicalité du dialogue, et qui n’arrive à être juste émotionnellement que petit à petit (comme un violoniste qui travaille sa partition). La justesse de la langue (entre blabla français et silence américain) tient uniquement, chez Jacques Doillon, à l’intonation et au rythme du personnage incarné. Pourtant, au milieu du Premier venu, Camille, sans dire un mot, fixe de ses yeux noirs irrésistibles Costa, dans une scène complètement magique. « Arrête un peu avec tes yeux », dit Costa prêt à en avoir les joues pivoines. Jacques Doillon, dans l’interview qu’il nous a accordée, avoue, oh surprise, que la scène lui est venue en tête par défaut. Il ne savait trop comment rendre la prosodie de la parole différente, changer de rythme. Comment ? Une fois, une seule fois, avec le regard.
Magique, redisons-le. La scène de voyeurisme (Costa veut provoquer Camille et Cyril genre, "allez-y, baisez devant moi") nous a semblé évoquer Les Quatre nuits d’un rêveur de Robert Bresson, laissant Jacques Doillon dubitatif pendant la passionnante interview qu’il nous a accordée au FIFF de Namur et que vous pouvez retrouver dans nos web-vidéos.
Le film a eu une production difficile, Artémis et Liaison cinématographique ont été pour une grande part, dans la finalisation de ce petit joyau.
Le Premier venu de Jacques Doillon. Patrick Quinet est le producteur délégué du film tant avec sa casquette belge (Arrtémis) qu'avec sa casquette française (Liaison Cinématographique). Le film a été entièrement développé par Patrick Quinet à un moment où les producteurs français considéraient Jacques Doillon comme non banquable.