Festival International du Film Francophone de Namur
Belle moisson et bel horizon
La 23ème édition du Festival de Namur a été riche de pépites, joyaux et autres merveilles du 7ème art. Un beau florilège d’auteurs exigeants et de films en quête de sentiers difficiles, escarpés et dangereux. Un bémol, cependant : nous n’avons pas tout vu, n’avions que les longs métrages de fiction belges à voir absolument et cet avis ne relève donc que de l’angle sous lequel, nous, pauvres journalistes pas toujours éclairés, sommes partis en quête de bouleversements cinématographiques.
Ils furent tout de même au rendez-vous. À commencer par Home, le premier long métrage pour le cinéma de la franco-belgo-suisse, Ursula Meier, en compétition officielle à Namur après sa sélection à la Semaine de la Critique cannoise. Et c’est pour la photographie du film que la Française, Agnès Godard, qui signe, entre autres, la photographie de tous les films de Claire Denis, a reçu à Namur le Bayard de sa catégorie. Huis clos familial porté par Isabelle Huppert et Olivier Gourmet, Home confirme la naissance, déjà bien annoncée, d’une cinéaste d’une grande originalité. À suivre lors de sa sortie, mi-novembre.
Toujours en compétition officielle après de nombreuses sélections (à Karlovy Vary et Montréal notamment) Les Tremblements lointains de Manuel Poutte, qui devrait sortir au printemps prochain, est une première excursion dans le long métrage de fiction d’un réalisateur surtout rompu au documentaire. La réalisation du film fut une longue aventure de production, ardue et pleine de rebondissements qui dura quelques années. Avec deux autres films réalisés par des cinéastes de renom en France, Le Premier venu de Jacques Doillon et Les Bureaux de Dieu de Claire Simon, les producteurs belges ont justifié, une fois de plus, le système de financement désormais ultra bien rodé qui a pour but, depuis sa création, non pas de financer des blockbusters gaulois, mais d’aider à soutenir le cinéma d’auteur. Claire Simon est une réalisatrice hors norme, qui se tient très droite à l’orée des sentiers battus du cinéma d’auteur français, qui sans cesse questionne le statut des images et travaille toujours aux limites des genres, sur des frontières ténues. Elle réalise ici une sorte de reconstitution fictionnelle de témoignages recueillis dans des plannings familiaux, observant attentivement une scène où se découvrent des désirs. Un film bouleversant qu’à Namur, quatre rangées réservées pour la banque ING, grâce à qui La Parti Production a pu lever une partie du financement, a applaudi. À ne pas manquer non plus, mi-novembre encore, sur les écrans belges.
Filmé au Sénégal, Les Tremblements lointains observe minutieusement la transmission d’une sorte de folie entre trois personnages. En faisant le choix de filmer de plain-pied le quotidien, de ne pas s’attarder sur ce qui résiste à notre compréhension et en se focalisant sur le vacillement de son personnage féminin, Manuel Poutte réussit à éviter ce regard fasciné par un exotisme hermétique que de nombreux cinéastes occidentaux portent sur l’Afrique. Mais du même coup, il ne trouve pas tout à fait ni la manière, ni le tempo qui feraient surgir l’étrangeté et la folie que pourtant le film cherche à porter à bout (de profondeur) de champ.
Le pari des Cinéastes Associés, dirigés par le producteur John Engels, est de faire de véritables longs métrages de cinéma avec des micros budgets. Coproduit par ARTE, la RTBF et le Centre du Cinéma de la Communauté française de Belgique, ce premier film, signé Nicole Palo, est plutôt une réussite. D’autant que ce Get Born, qui porte sur son dos de nombreuses naissances (les personnages, le film, son auteur, la structure) était un peu casse-gueule de par son histoire, chassé-croisé amoureux qui aurait pu se diluer dans le mélo sentimental et sirupeux. Ce n’est pas le cas. Il y a, dans Get Born, et notamment grâce à un montage osé, une force et une tension qui permettent au film de se maintenir hors de l’eau.
Grégory (Pierre Lognay, très convaincant et intense dans ce rôle difficile de jeune homme silencieusement enfiévré) s’éprend de Liv, la suit, s’obsède, se vide, se consume, se déclare, se débat, est battu, se relève. Liv (Fleur Lise Heuet), plus ou moins indifférente, découvre, quant à elle, l’amour avec un homme plus âgé. Réfugié politique serbe, il l’initie, non seulement à l’amour et à ses affres, mais aussi aux soubresauts d’un monde violent et déchiré, pas si lointain, et qu’elle ne peut plus ignorer. En alternant les deux points de vue de ses personnages à travers un montage fait de va-et-vient dans le temps de ses rencontres, le film recoud les scènes entre elles et permet l’émergence de ce regard de l’autre, véritable contre-champ au sentiment amoureux et à une caméra la plupart du temps subjective. Get Born raconte donc une double parturition, celle de deux jeunes gens qui, dans l’amour, l’autre et la douleur, naissent à eux-mêmes, prenant enfin conscience de leur existence. Le film n’échappe pas toujours à la bluette sentimentale et prend aussi quelquefois des airs un peu surfaits, branchés, à l’image de son titre, qui sonne comme un tube de pop anglaise. Mais ces maladresses ne déparent pas l’énergie qui en suinte, et l’on garde quelques images gravées sur la rétine, comme ce face à face amoureux dans une cantine, les pleurs d’une jeune fille réduite au silence par la douleur dans une cabine téléphonique, ou la dernière image, celle d’une disparition dans la profondeur de champ.Présenté dans la section « Regard », Le Premier venu sort, quant à lui, à la fin de ce mois d’octobre, porté par son producteur sur le grand écran. Le dernier film de Jacques Doillon, qui n’avait plus tourné depuis Raja, en 2003, est produit par la double structure de Patrick Quinet : Artémis production en Belgique et Liaison Cinématographique en France. Simple, lumineux, marivaudage amoureux et grave drapé dans des airs de valses légères, Le Premier venu est un Doillon pur jus. Gérald Thomassin, dont il avait fait son Petit criminel, est de la trempe d’un Depardieu chez Blier, bouleversant de tension et de fragilité. Une rougeur fait basculer la caméra dans l’amour, un coup de poing l’entraîne dans la rage.
Coquelicots de Philippe Blasband, sur lequel nous reviendrons à l’occasion de sa sortie en décembre, Go Fast d’Olivier Van Hoofstads déjà sur les écrans, et une autre coproduction belge, Je suis de Titov Veles de Teona Strugar Mitevska étaient, eux aussi, présentés dans la section « Regards ». Coproduit par Entre Chien et Loup avec la Macédoine, Je suis de Titov Veles filme les tentatives de trois sœurs qui cherchent à échapper à l’asphyxie d’une petite ville industrielle de la Macédoine, enlisée dans les ruines du communisme, peu à peu étouffée par les cendres de ses usines. Alors que deux d’entre elles s’échappent, pour le meilleur et pour le pire, l’une partant en Grèce, l’autre cédant aux sirènes du mariage avec un gros riche gras et vulgaire, la troisième des sœurs, la simplette, la naïve, la folle reste seule dans une maison qu’elle habite de ses fantasmes et transmet peu à peu aux images ses rêveries à cheval entre réel et folie. La photographie, très contrastée et magnifiquement travaillée par la Belge Virginie Saint-Martin, transforme chaque scène en un tableau hanté, qui, peu à peu, contamine la matière même du film. Fable, rêve, conte, ce second long métrage séduit, agace, résiste comme un objet hybride, impur, un peu fou, maladroit et culotté.
Outre les films d’Ursula Meier et de Manuel Poutte, deux autres premières œuvres entraient en lice dans la compétition Emile Cantillon des premiers longs métrages : Get Born de Nicole Palo, le premier long métrage produit par la jeune structure associative des Cinéastes Associés et Une chaîne pour deux de Frédéric Ledoux.
Autre film belge à Namur à s’être nourri du documentaire, Une chaîne pour deux, de Frédéric Ledoux, est sorti en Belgique le 8 octobre. Frédéric Ledoux, qui a réalisé plusieurs documentaires et travaillé pour la télévision, signe là une comédie sympathique et plutôt modeste. Interprété principalement par Lubna Azabal, Renaud Rutten et Gaétan Wenders, Une chaîne pour deux raconte la restructuration houleuse d’une petite entreprise « familiale » en prise avec les lois féroces du marché. Il en séduira plus d’un par sa capacité à raconter à hauteur humaine, à filmer des groupes, à divertir pendant une heure et demie sur un sujet plutôt grave et douloureux.Efficace, sans temps morts, il y a, dans Une chaîne pour deux, quelques scènes percutantes (une folle partie de paint ball qui tourne mal),quelques personnages vite et bien croqués et deux trois idées pas folles du tout, notamment celle toujours très pertinente de la chaîne des responsabilités, la mise en image de la folie des hommes conduits par leur désespoir de n’être rien sans travail.
Namur présentait aussi quelques documentaires belges dans la section « Regards » : Dans les décombres d’Olivier Meyes, Des Hommes de Kristine Gillard, D’un mur à l’autre de Patric Jean et la coproduction Le Sel de la Mer d’Annemarie Jacir, coproduit par les Belges de Tarantula. Comme chaque année, une compétition de courts métrages était dévolue aux jeunes et moins jeunes réalisateurs belges et une véritable rétrospective des longs métrages belges sortis l’année dernière avait été organisée. Le Festival de Namur présentait aussi trois films flamands : Aanrijding in Moscow de Christophe Van Rompaey, déjà sorti à Bruxelles et en Flandre, Los de l’habitué des succès public, Jan Verheyen, un film adapté du roman de Tom Naegels et sorti à la fin du mois de septembre à Bruxelles et en Flandre, et le second long métrage de la réalisatrice Patrice Toye, (N)iemand, qui sortira en salles le 26 novembre. Du côté du Forum de la production, le Festival avait sélectionné trois longs métrages belges qu’on attend avec impatience car leurs auteurs ne sont pas des inconnus : Mobil-Home de François Pirot, Le Sac de Farine de Kadija Leclère et Les Vilains de Damien Chemin.
Du côté des films pas belges pour un sou, un joli bouche à oreille a circulé autour de Maman est chez le coiffeur de la Québécoise de Léa Pool. Le double prix, spécial du Jury et celui remis par le Jury Emile Cantillon, à L’Apprenti de Samuel Collardey a mis en lumière un film d’une intelligence rare. Œuvre d’une grande finesse, à cheval sur le documentaire et la fiction, L’Apprenti suit, pendant plusieurs saisons, les premiers pas d’un adolescent qui veut devenir agriculteur et qui découvre son métier à la ferme auprès d’un homme qui lui sert de guide, de maître et de père. Cela ne va pas sans conflit, mais tout le talent de Collardey est de filmer les crises comme les gestes du quotidien, avec beaucoup de discrétion et de pudeur, sans toucher à leur opacité. Je veux voir des Libanais Joanna Hadjithomas et Khalil Joreige était aussi une expérimentation aux confins du documentaire et de la fiction. À partir de cette phrase empruntée à Hiroshima, mon amour, et glissée entre les lèvres de Catherine Deneuve, les réalisateurs nous entraînent dans un road movie à travers Beyrouth et leur pays, ses décombres, ses champs de mines et ses frontières de barbelés. Avec Parc, Arnaud Des Pallières fait œuvre de plasticien et, flirtant avec le cinéma américain d’un Lynch ou d’un Van Sant, il remodèle chaque image, son, cadre, lumière, raccord, pour sculpter, dans une matière cinématographique épaisse, riche et foisonnante, le portrait vitriolé d’une société qui a déjà implosée. Le Dernier Maquis de Rabah Ameur-Zaimèche, quant à lui, est un troisième long métrage moins lyrique que les précédents, mais plus maîtrisé. Un film sévère et profondément politique qui observe au microscope le bras de fer entre quelques ouvriers d’une usine et leur patron qui supprime les postes, le dernier maquis en question. La Belle personne, adaptation de La Princesse de Clèves par Christophe Honoré dans le contexte d’un lycée parisien, est une œuvre à la fois fougueuse et désenchantée, naïve et exaltée, qui a valu à la jeune comédienne, Léa Seydoux, le prix d’interprétation féminine.
On espère que le premier film de Lyes Salem, Mascarades, une comédie enlevée et burlesque, qui a reçu les prix du public et du jury junior trouvera un distributeur en Belgique.
De déceptions en surprises, de questionnements en éblouissements, de bouleversements en découvertes, la 23ème édition du Festival de Namur laisse planer quelques beaux films en perspective sur les écrans belges et pas mal de talents à découvrir. À suivre donc, au fil des jours et des projets.