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Les Braises, de Thomas Kruithof

Publié le 27/10/2025 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Il était une fois… la révolution

Karine (Virginie Efira) et Jimmy (Arieh Worthalter) forment un couple toujours uni après vingt ans de vie commune et deux enfants adolescents. Ils mènent une vie ordinaire, un peu morne, mais avec leurs deux salaires, se considèrent comme privilégiés. Karine travaille dans une usine alimentaire et, bien qu’elle ne s’en plaigne pas, est frustrée par des petites injustices au travail et souffre d’un manque de considération. Quant à Jimmy, chauffeur routier, il s’acharne à grand peine à faire grandir sa petite entreprise, passant beaucoup de temps sur les routes. Quand surgit le mouvement des Gilets jaunes, Karine est emportée par la force du collectif, la colère, l’espoir d’un changement, le combat pour la justice fiscale, pour un monde meilleur. Mais à mesure que son engagement grandit, l’équilibre du couple vacille. 

Les Braises, de Thomas Kruithof

Pour son troisième film, Thomas Kruithof (le thriller La Mécanique de l’Ombre, le drame politique Les Promesses) examine à la loupe les débuts, puis le délitement progressif et les désillusions liées au mouvement : à la passion des premiers Gilets jaunes succèdent la peur de la police - qui les piège pour ternir leur image ou leur lance des gaz lacrymogènes -, les divisions sur la suite de la marche à suivre (de façon pacifique ou plus violente ?), les mots toujours creux d’Emmanuel Macron, et le risque de ne plus être pris au sérieux à cause d’éléments violents qui, petit à petit, rejoignent leurs rangs, notamment à Paris. 

L’investissement de Karine se fait, dans un premier temps, le plus simplement du monde, innocemment, dans la joie, avec de nouveaux amis qui partagent ses opinions et son combat. C’est un mouvement noble, qui démarre avec quelques personnes sympathiques accostant les automobilistes aux ronds-points pour discuter, simplement. Karine tente même d’enrôler ses enfants, à grands coups de leçons sur l’importance de l’engagement civique – alors que ces derniers ont encore bien du mal à trouver leur place dans la vie. Elle est loin d’imaginer le retentissement historique que va prendre le mouvement, qui s’amplifie, change de forme - car il faut « continuer à foutre la trouille à Macron, continuer à lui mettre la pression ». Karine est arrêtée une première fois pour rébellion. Ce qui donne lieu à une séquence révoltante où elle est humiliée par la présidente du Tribunal et condamnée à une amende de 1 000 euros. Les conséquences de cette arrestation vont s’avérer désastreuses. Entre les époux s’installe lentement un ressentiment tenace, Jimmy, qui accumule les revers professionnels, accusant Karine de faire preuve d’égoïsme, alors que, de son point de vue, elle fait ce qu’elle fait pour aider sa famille et son pays. Un discours qui agace de plus en plus son époux, qui aimerait la soutenir, mais n’y arrive vraiment plus, malgré ses efforts. 

Les Braises suit le schéma classique du drame social dans lequel une passion inattendue surgit dans le quotidien d’un couple et menace de le briser, mais il le fait sans manichéisme. Ce n’est pas tant que Jimmy s’oppose au combat de Karine, c’est plutôt que la révolution de son épouse empiète sur leurs difficultés quotidiennes, amplifiant sa frustration de jour en jour, d’autant plus que ses galères de boulot l’éloignent de la maison et l’empêchent de dormir. Cette inévitable opposition entre une idéaliste forcenée, qui pense avant tout à l’avenir, peut-être trop naïve (on le sait, par la suite, les Gilets jaunes seront récupérés politiquement et attireront trop d’éléments négatifs qui les discréditeront), et un homme beaucoup plus pragmatique et terre-à-terre, coincé dans le présent, donne lieu à une poignée de scènes de disputes magnifiquement interprétées par le duo central : sans grands éclats de voix, sans vases brisés comme dans le fameux sketch des Inconnus (« Vous ne pouvez pas comprendre ! »), mais avec maladresse (autrefois très complices, ils constatent qu’ils n’arrivent plus à se parler) et surtout cette tristesse infinie qui les contamine alors qu’ils s’aiment encore.

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