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Les Fantômes, de Jonathan Millet - 2024

Publié le 20/08/2024 par Kevin Giraud / Catégorie: Critique

Qui sont ces fantômes? Sont-ce ces (sur)vivant·es que nous côtoyons au fur et à mesure du récit, ou bien ceux qui hantent les protagonistes et les poussent à cette traque éperdue? Dans le premier long métrage de Jonathan Millet, film d’ouverture de la semaine de la critique à Cannes et sorti en France début juillet, les frontières se brouillent entre passé traumatique et présent fragile.
Au croisement des genres, ce récit aux accents d’espionnage se lit d’abord comme une fable profondément humaine.

Les Fantômes, de Jonathan Millet - 2024

Hamid, incarné par Adam Bessa, est un jeune syrien que nous découvrons au détour du désert alors qu’il vient d’être relâché de la tristement célèbre prison de Saidnaya. Deux ans plus tard, c’est à Strasbourg que nous le retrouvons, dans ce qui semble être la quête d’une nouvelle vie, mais se révèle être celle d’une vengeance vis-vis de son ancien tortionnaire. Inspiré de faits réels, Les Fantômes se dévoile lentement au gré des pérégrinations de son protagoniste comme un thriller d’espionnage entre cinéma d’auteur et cinéma de genre, alternant moments de grande tension et émotions terrifiantes de réalité. Une réalité qui s’invite au travers des témoignages de victimes de Saidnaya, qui servent de carburant de haine à Hamid dont le corps et l’âme portent eux-mêmes les cicatrices de tortures innombrables autant qu’innommables. Coscénarisé avec Florence Rochat, le film s’écarte de la simple prémisse du revenge movie pour proposer une vision multiple de la guerre civile syrienne, un épisode sans vainqueurs peuplé de cadavres et de spectres. Un état de faits qu’incarne avec beaucoup de respect et de force l’acteur franco-tunisien Adam Bessa, à qui répond avec la même puissance la comédienne syrienne Hala Rajab, elle dont la famille a subi les exactions du régime, et dont le père a payé de sa vie son opposition au régime. Cette violence invisible, mais omniprésente, le cinéaste Jonathan Millet la fait transparaître au travers des mille précautions que prennent ses personnages dans leur quête vengeresse. Aussi prudents que des espions, aussi insaisissables que des fantômes. Pas de noms, jamais de noms, nous répètent les membres du groupe lors de leurs rencontres discrètes, qu’elles soient dans les méandres de l’internet ou sur les bancs publics strasbourgeois. Car pour débusquer leurs anciens bourreaux, pour épurer cette liste, les membres de ce groupe doivent eux-mêmes échapper à ceux qui les traquent encore, à ceux qui protègent leurs arrières et les traces de leurs méfaits. Avec un seul objectif commun, qui nourrit Hamid, Nina et les autres : que la lumière soit faite sur leurs actes ignobles, afin que justice soit rendue. Et ce, par le droit ou par les armes.

Dans ses moments d’apogée dramatique comme dans les instants de recueillement qui parcourent son récit, Les Fantômes parvient à nous faire ressentir la profondeur de ces blessures encore béantes desquelles il semble impossible de guérir. Pour lutter contre l’oubli, révéler les monstres, et aller de l’avant, enfin.

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