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Les intranquilles de Joachim Lafosse

Publié le 05/10/2021 par Kevin Giraud / Catégorie: Critique

Le bruit des vagues, la mer, la paix. Un océan de tranquillité constitue l'ouverture paradoxale des Intranquilles, le dernier film de Joachim Lafosse découvert en ouverture du FIFF Namur 2021. Pour paraphraser le mot d’ordre de cette nouvelle édition, “Le cinéma en grand, en vrai”, en salles, mis en musique par l'un des chefs d'orchestre du cinéma belge.
Une quiétude de courte durée, car il faut à peine quelques minutes de récit pour que, déjà, s'invite la différence de Daniel. Peintre talentueux, mari aimant, père attentionné, et bipolaire.

 
Les intranquilles de Joachim Lafosse

Point de tristesse ou de larmoiement dans cette introduction, la situation transpire déjà la routine et les habitudes. Serge, Leïla, Amine, tous ont déjà conscience de la maladie de Daniel, et ces deux derniers la vivent même au quotidien.

Sont-ils heureux malgré la situation ? Daniel, lui, semble l'être, au fur et à mesure que sa camisole chimique s'étiole. Le bonheur et la liberté de l'un nécessitent-t-il le malheur des autres ? Le réalisateur se garde bien de nous répondre, préférant nous mettre face à la réalité crue et sans artifices de cette situation.

C'est donc en pleine face que nous parviennent les questions éthiques et morales soulevées par le film, des interrogations auxquelles il sera difficile au spectateur ou à la spectatrice de se soustraire. Et pour cause, le cinéaste nous ballotte entre les situations de tension et les moments de douceur qui régissent les interactions des protagonistes, sans donner de réponses toutes faites, et refusant toute vision manichéenne du problème.

Daniel est-il (in)conscient de ses problèmes et du danger dans lequel il peut mettre les autres ? Ou bien Leïla est-elle tortionnaire de Daniel et surprotectrice d'Amine ? Pas besoin de spoiler, il n'y aura pas de morale apparente ou de clés ciselées pour conclure cette œuvre. Seulement les faits de la fiction, la réalité d'une histoire, sujette à l’interprétation de chacun.

Ce sera donc à vous de vous faire votre opinion, comme souvent dans le cinéma de Lafosse, peuplé d'êtres complexes, ni bons ni mauvais (ou presque), seulement meurtris. 

Aux commandes de ce navire à la dérive en eaux dangereuses qu’est cette famille, Leïla Bekhti et Damien Bonnard livrent une prestation chorale impressionnante, que l'on sent fruit d'une minutieuse préparation. Il n'en fallait pas moins pour raconter cette histoire très personnelle du cinéaste, lui-même ayant vécu avec un père maniaco-dépressif.

Un point de vue de l'enfance, à la fois victime, témoin, voire monnaie d'échange lorsque la situation dérape, que Lafosse l'insuffle dans le personnage d'Amine, campé en sobriété par Gabriel Merz Chammah. Une colère sourde, fruit de l'impuissance qui grandit dans le jeune homme jusqu'à la rupture.

Et après ? On ne guérit pas de la bipolarité. On l'endigue, on la musèle, on l'entrave, mais on ne la soigne pas, elle sera toujours là. Est-il néanmoins possible de la vivre, ou d'aimer une personne atteinte de bipolarité ? Faut-il choisir entre la prison médicamenteuse ou la liberté aussi créatrice que destructrice ?

À nouveau, Lafosse se garde bien de transmettre des opinions arrêtées ou d'imposer ses jugements. Mais par les quelques instants de bonheur familiaux et les élans artistiques qui émergent entre les crises, on est tenté d'y croire.

Que nous resterait-il sinon, sans cette confiance en notre force, et en celle de l'amour ?

 

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