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"Les Magritte, ce n’est jamais qu’un enfant de 5 ans!"

Publié le 03/02/2015 par David Hainaut / Catégorie: Entrevue

Cofondateur des Magritte, Philippe Logie (Be TV) est celui qui a permis la diffusion télé de la Cérémonie, en Belgique et partout ailleurs, puisque l’événement est relayé par TV5 Monde.

Affiche Les Magritte 2015Cinergie : Pouvez-nous nous rappeler quand a germé l’idée des premiers Magritte du cinéma?
Philippe Logie : 

En février 2010, soit un an avant la première édition. C’est Frédéric Delcor, Secrétaire général de la Fédération Wallonie-Bruxelles qui a eu cette initiative. Quand il a ajouté qu’il faudrait intégrer un média audiovisuel, j’ai levé la main. Très vite, nous étions rejoints par Patrick Quinet et Luc Jabon, qui président respectivement l’Union des Producteurs Francophones de Films (l’UPFF) et Prosper (qui fédère comédiens, scénaristes et réalisateurs). Les Magritte étaient nés, dans l’enthousiasme général!

C. : Et puis?
P.L. : Ensuite, nous voulions lancer les Magritte en novembre de la même année. Là, nous avons vite compris que ça n’allait pas être réalisable (sourire), parce qu’il y avait un tas de choses à faire, comme créer l’Académie Delvaux, composée aujourd’hui de 800 membres. Les premiers jalons ont alors été posés à Cannes. Nous y avons rencontré Alain Rocca, administrateur des Césars, qui nous a assuré son soutien et livré quelques tuyaux pour bien démarrer.

C. : Car, pour rappel, à ce moment-là, il n’y avait plus de récompenses chez nous…
P.L. : En effet. Les Prix Joseph-Plateau (NDLR: qui ont duré de 1987 à 2005), nationaux ceux-là, étaient devenus moribonds et peu médiatisés. Ils souffraient d’un caractère bicommunautaire obscur. Une année, on voulait favoriser le cinéma flamand, une autre le cinéma francophone. C’était problématique.

C. : Alors qu’actuellement, on table davantage sur deux Cérémonies qui se complètent étroitement.
P.L. : Voilà. Rappelons que dans notre pays, la culture est une matière communautaire depuis plus de 40 ans. Il est logique que chacun ait un cinéma différent. Ceci dit, on a d’emblée voulu intégrer la Flandre dans notre vision. Pour être membre de l’Académie, il faut d’ailleurs être citoyen belge avant tout. Stijn Coninx (Marina) est un exemple, comme Matthias Schoenaerts, qui a reçu le Magritte du meilleur acteur pour Rundskop. Seul notre meilleur film doit être 100% francophone. Mais cette année, nous décernerons pour la première fois le Magritte du meilleur film Flamand.

Philippe Logie, cofondateur des Magritte

C. : Inversement, les Ensors font-ils ce travail-là?
P.L. : Oui, il y a des parallèles dans les deux sens! Ces ex-Vlaamse filmprijzen, diffusés en télé sur Prime (NDLR: l’équivalent flamand de Be TV) ont ainsi créé la Meilleure coproduction en 2012. Joachim Lafosse (À perdre la raison), Frédéric Fonteyne Tango Libre) et les frères Dardenne (Deux jours, une nuit) en ont été les premiers lauréats.

C. : Lorsque vous aviez émis le souhait de retransmettre cette Cérémonie, vous l’aviez déjà imaginée, voire rêvée?
P.L. : Oui, pour nous, cela faisait sens. D’abord, parce que comme diffuseur, nous avons des obligations envers le cinéma belge que nous soutenons en (pré)achetant des films. La Cérémonie met en lumière le cinéma belge, donc les films que nous diffusons, ce qui contribue à ce que notre public – qui peut même voter via le Magritte du premier film - connaisse mieux son cinéma national. Sans compter la naissance d’une émission (Home Cinéma) imaginée avec Cinevox, dont nous sommes très contents, des programmations spécifiques, la VOD etc… Après, un lien peut être établi avec Canal + en France, qui accomplit la même chose avec les Césars, en étant le premier soutien du cinéma hexagonal.

C. : Chose étonnante: l’impact des Magritte a été très rapide!

P.L. : Ça, c’est la récompense de l’énorme travail fait en coulisses. Dès la première année, nous avions commandé une étude sur les 7 à 77 ans. Le taux de notoriété avoisinait déjà les 80% ! Aujourd’hui, faites le test autour de vous, tout le monde connaît les Magritte. On ne parle même plus des Magritte …du cinéma!

C. : Avez-vous été surpris par l’acharnement médiatique des débuts ?
P.L. : On s’attendait à une forme de scepticisme, mais pas à avoir autant de détracteurs. Et surtout, à être condamnés d’avance. C’était violent. Mais toute initiative, nouvelle de surcroît, a ses pour et ses contre. C’est aussi lié à un réflexe belge d’humilité et de surmodestie, dans un pays où on a un problème à dire que ce qu’on fait est bien. Or, il n’y a pas de raisons, que nous ne puissions nous aussi, célébrer des talents le temps d’une soirée par an. Je suis conforté dans cette idée quand je lis les nombreux témoignages de remerciements d’anciens professionnels que nous recevons. Nous avons certes beaucoup de festivals en Belgique, et c’est tant mieux, mais il manquait un événement un peu glamour. Même si les aspects oniriques, festifs, exceptionnels ont été critiqués, tout ça fait aussi partie du cinéma. Les Français ont les Césars, alors pourquoi pas nous ?

C. : Et comme cela se passe dans à peu près tous les pays du monde, non?
P.L. : Exactement. Même Israël et le Luxembourg ont leur cérémonie! La démarche n’est pas usurpée. Non, les Magritte n’ont pas été créés pour que des professionnels s’auto-congratulent. C’est juste qu’à un moment donné, on peut faire un focus sur ce qui a été bien pendant l’année, de mettre en avant des acteurs mais aussi des techniciens qui travaillent dans l’ombre. Je suis convaincu qu’un tas de gens se sont déjà fait mieux connaître auprès du public grâce à la Cérémonie. Puis, quoiqu’on dise, on garde quand même un esprit bien de chez nous: pour se rendre au Square, on ne monte pas les marches, on les …descend. Le tapis n’est pas rouge, mais …bleu. Magritte était un surréaliste, son ombre plane chaque année au Square. Idem dans le décalage insufflé dans la présentation: Charlie Dupont va apporter quelque chose d’aussi drôle qu’Helena Noguerra et Fabrizio Rongione, ses prédécesseurs.

C. : Avec le temps, les critiques ont néanmoins fini par s’estomper…
P.L. : Oui, car l’événement est maintenant bien établi. Après, il y aura toujours un traitement propre sur la Cérémonie. Nous l’acceptons. On me parle toujours de l’audience mais oublions-là: chez nous, même un blockbuster ne se mesure pas ainsi. On veille avant tout à la satisfaction du téléspectateur. Et croyez-moi, elle est énorme. La large revue de la presse est là pour en témoigner.

C. : Comment voyez-vous encore la Cérémonie évoluer?
P.L. : Qu’on le veuille ou non, on devra toujours garder certains codes. On doit adresser tous les prix, montrer des extraits et donner un temps de paroles aux gagnants. C’est le noyau dur. Après, nous continuerons à mettre en valeur la diversité de notre cinéma, qui n’est plus seulement social. Regardez, cette année, pour le Magritte du meilleur film, vous avez du cinéma politique avec La Marche de Nabil Ben Yadir, du cinéma d’auteur avec Henri de Yolande Moreau, une comédie romantico-dramatique Pas son genre de Lucas Belvaux, une comédie pure avec Les Rayures du Zèbre et puis, le dernier Dardenne (Deux jours, une nuit). C’est riche et varié!

Philippe Logie, confondateur des Magritte

C. : Dans les années à venir, vous pensez que cet éclectisme sera préservé?
P.L.: Quand on a commencé, on nous a souvent dit "Mais enfin, vous allez tout le temps primer les mêmes, vous n’aurez pas assez de films, etc". Et que constate-t-on? Nous avons chaque année +- 70 longs métrages, on doit refuser des courts et des documentaires tellement il s’en produit. En dépit d’avoir un voisin cinématographique ultra-puissant, comme l'Autriche ou le Canada. Nous avons en Belgique beaucoup de belles choses, beaucoup de talents et chaque année, une nouvelle génération se crée. C’est aussi pour cela que nous invitons des gens moins connus à remettre un trophée.

C. : Cette année, vous avez prévu des animations, comme c’était le cas par le passé avec Jaco Van Dormael, Patar & Aubier…?
P.L. : Oui, il y aura encore une petite surprise. Nous nous sommes aussi dit, tant qu’à faire, débordons du cadre du cinéma. Invitons d’autres artistes. On l’a fait avec Adamo, Ghinzu, Marc Pinilla ou Puggy. Philippe Geluck est venu. Pareil avec l’habillement de nos talents, par Didier Vervaren et Tony Delcampe de La Cambre, dont la reconnaissance est internationale. Le dîner est géré par un chef belge etc. On essaie d’utiliser un maximum de ressources de notre pays tout autour de l’événement.

C. : Cet investissement autour des Magritte, il est donc venu se greffer en plus à votre poste habituel de directeur des acquisitions, chez Be TV?
P.L. : Et oui. Nous avons une toute petite équipe pour piloter la Cérémonie, dont Alexandrine Duez, directrice d’antenne et Marie-Pierre Dinsart, directrice de la communication. Avec plein de gens qui gravitent autour, comme le producteur José Bouquiaux et le réalisateur Vincent Gustin qui est particulièrement créatif. Mais tout cela procure de belles rencontres, y compris en interne car on sort de notre zone de confort. Puis, il y a des auteurs comme Thomas Gunzig et Samuel Tilman. Mais nous devons chaque année nous réinventer. Jaco Van Dormael a prédit que nous étions dans un travail de longue haleine, qui prendrait dix ans. Or, les Magritte, ce n’est jamais qu’un enfant de cinq ans. Il parle, il est débout mais il a encore des choses à connaître, face à l’homme mur des César qui entre dans sa 40ème année ou le vaillant octogénaire des Oscars. Il nous reste encore du chemin! 


En pratique: 

5ème Cérémonie des Magritte du Cinéma, Samedi 7 février au Square à Bruxelles. En clair sur Be TV à partir de 20h00.
Décentralisation à l’UGC De Brouckère (Grand Eldorado).
Site Internet: http://www.lesmagritteducinema.com/

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