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Les Secrets de l’amour, Harry Kümel, 1986

Publié le 30/11/2023 par Basile Pernet / Catégorie: Critique

Avec cette compilation de trois épisodes d’une série télévisée des années 1980, judicieusement intitulée Série Rose, Harry Kümel livre un long-métrage aux allures caricaturales et tirant l’art du récit érotique à un remarquable niveau d’exagération et de grotesque. Trois contes choisis parmi les œuvres de Marguerite de Navarre, Nicolas Edme Restif de la Bretonne et Guy de Maupassant, pour des adaptations hautes en couleur, surprenantes d’autodérision, avec un style de mise en scène très théâtral, entre le vaudeville et la comédie de mœurs.

Les Secrets de l’amour, Harry Kümel, 1986

Pour introduire ce périple érotique, Harry Kümel nous donne rendez-vous au XVIe siècle, avec un récit d’apparence bucolique intitulé La Fessée. Il s’inscrit dans le genre de la littérature pastorale, qui met en scène des bergers et des bergères moins préoccupés par leur troupeau que par les questions d’amour, et qui rappelle combien la vie peut être plus douce loin des villes et des préoccupations matérielles – pour le moins au XVIe siècle. Ici il n’est pas question de bergères, mais de fileuses, dont l’une, Mariette, se laisse courtiser par un jeune fermier des environs. Lorsque la chose se sait, Mariette reçoit le châtiment d’être fouettée (sur les fesses) par sa supérieure à l’atelier. Celle-ci n’étant pas insensible aux charmes de ce même fermier, Mariette décide d’exploiter les sentiments du jeune homme à son égard pour se venger. Elle orchestre donc toute une série de tromperies destinée à entretenir la frustration sexuelle de sa patronne, pour finalement la rendre coupable aux yeux de son mari d’un adultère avec le jeune fermier. Fidèle à la tradition littéraire, Kümel met en évidence le comique de la situation qui repose sur l’art de la manipulation ; il reprend ce thème cher à la littérature médiévale qu’est la ruse féminine, abondamment exploitée dans le genre du fabliau érotique.

Le deuxième récit date du XVIIIe siècle et s’inscrit dans la tradition du roman libertin, dont les plus éminents représentants sont Laclos, Sade, ou encore Diderot. Son auteur, Restif de la Bretonne, s’était distingué de son vivant par ses écrits sur l’éducation, les mœurs et les femmes. Dans L’Élève donc, M. Desgrands, un vieux bourgeois retiré à la campagne a l’habitude de changer fréquemment de femme de chambre. Lorsque Suzon vient frapper à sa porte, il se trouve pour ainsi dire frappé d’admiration pour la délicatesse des courbes de la jeune femme. Il se ridiculise dans une pathétique démonstration de son adoration, puis décide d’employer des moyens plus robustes pour la courtiser. Il lui présente son neveu (à l’insu de celui-ci) qui vit dans une des chambres de la maison et lui promet sa main si Suzon accepte tout d’abord de s’offrir à lui. Finalement, les deux jeunes gens parviennent à se rencontrer en secret, Suzon en arrive à éduquer sexuellement le jeune homme, et tous deux finissent par s’unir pour duper M. Desgrands. Ici plus que dans le premier épisode s’installe un climat satirique et moqueur qui porte les personnages masculins au comble du ridicule. Plus que l’art de la manipulation, l’épisode met en scène le voyeurisme et le mensonge – voyeurisme pathétique de l’homme et mensonge opportun de la femme. Pressentie dans une position vulnérable au commencement du récit, la jeune Suzon prend l’ascendant sur les messieurs et les gouverne tous deux.

Enfin, Harry Kümel termine son tour d’horizon par la fin du XIXe siècle avec l’adaptation de la nouvelle La Serre de Maupassant, qui décrit le désarroi sexuel d’un vieux couple de rentiers, rendu plus amer encore par l’audace et les prouesses de leur domestique en la matière. Une nuit, elle reçoit la visite non innocente de l’artisan boulanger du village, sous les regards ébahis du vieux couple qui découvre une version passionnée et sophistiquée de ce qu’il croyait connaître. La prise de conscience est nette. Le jour suivant ils feront la grasse matinée, de même que les jours d’après. En cela, le salaire de la jeune Célestine sera augmenté.

Le plus souvent incisive et sombre chez Maupassant, la satire revisitée par Kümel tient surtout d’un comique décomplexé et tendancieux qui doit beaucoup au jeu des acteurs. Dans ce récit également, rien n’est laissé dans l’implicite, bien au contraire, l’érotisme est appuyé, le plus souvent maladroit avant même d’être scabreux.    

Les Secrets de l’amour est donc un film intéressant pour se plonger dans une mise en scène très années 1980 d’une décadence morale, rurale et/ou bourgeoise, où le comique dépend moins des thèmes abordés que de la caricature grossièrement dessinée, de l’esprit d’exagération et d’autodérision.

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