Le calendrier est festif : le festival de Clermont-Ferrand a 30 ans. Pour la circonstance, il y a un cadeau chouette : un double DVD proposé par l’éditeur Chalet Pointu et la revue Repérages. Sa composition est qualitative et clermontoise : une sélection de quinze courts métrages primés ou remarqués au fil des années par le public, les jurés et les organisateurs du festival. Présentation.
Les Trentièmes rugissants de Clermont-Ferrand
Publié le 01/03/2008 par Katia Bayer / Catégorie: Sortie DVD
En sautant dans une barque, le hibou féminin et sexy, imaginé par l’illustrateur Ronald Curchod, se doutait-il qu’il recueillerait un poisson masculin amoureux et qu’il servirait de visuel aux affiches et aux catalogues du 30ème festival de Clermont-Ferrand, aux sacs des accrédités et aux DVD « Spécial anniversaire » ? Il serait tentant d’interroger le volatile, mais il semble peu enclin à livrer ses secrets, dont la marque de sa robe, et à trahir celui qui l’a tracé. Le problème, c’est que ce hibou, à l’instar de ses pairs, ne répondra pas à vos questions pour la bête raison qu’il ne parle pas mais hulule. Ce n’est pas grave : il reste l’imagination pour combler l’inconnue. Reportez-vous donc au visuel en question, à une affiche, à un catalogue, à un sac ou au DVD copain du festival même si son en-tête, « Les Trentièmes rugissants de Clermont-Ferrand », semble avoir peu d’acoustiques communes avec les hululements mentionnés ci-dessus.
Si c’est le DVD qui a retenu votre attention dans cette liste, les délires précédents seront rapidement délaissés (ce n’est peut-être pas plus mal) au profit du contenu de cette édition « Spécial 30ème anniversaire ». L’initiative n’est pas nouvelle pour le festival qui avait déjà fêté ses 25 ans en DVD en janvier 2004 avec la revue Repérages. À l’époque, les coups de cœur jouxtaient des films tout aussi qualitatifs de réalisateurs passés au long comme Jeunet ou Van Dormael. Ce volume-ci marque plusieurs changements : le compteur de Clermont a cinq ans de plus, Repérages fête ses 10 ans d’existence, et la sélection de films se partage entre des Prix du Public et un best of déterminé par les organisateurs du festival. Au total, 15 courts métrages fous et forts, répartis sur deux disques, affichent une multiplicité comme une singularité de genres, de durées, de provenances et d’histoires.
Pour éviter de courroucer le hibou du début et ne pas trop dévoiler le contenu des films en laissant quasi intact le plaisir délicat de la découverte, une sélection a été opérée en toute discrétion : citons déjà Alice et moi de Micha Wald (Prix du public et Prix Fernand Raynaud en 2005) qu’on ne présente plus, mais dont on vous propose le casting récent de Bella Wajnberg et La religieuse de Diderot de Claude Duty (Sélection française en 1979), l’un des films les plus courts (1’) et efficaces de l’histoire du cinéma démontrant qu'il est possible de faire des films avec de l’humour, de l’imagination, de la gourmandise et un budget peu conséquent.
Parmi les films primés ou remarqués, il serait également louche de passer à côté de I am (not) Van Gogh (Je (ne) suis pas Van Gogh) de l’Américain David Russo (sélection Labo 2006). Celui-ci apparaît à l’image et en voix-off pour exposer à un jury perplexe sa démarche de créateur, sa relation au public et ses questionnements par rapport à la culture. Le film est suffisamment chatouilleur pour donner l’envie de découvrir les compositions précédentes de l’artiste, Populi en 2002 et Pan With Us en 2003.
Autre film, autre impact, mais d’une toute autre nature : Days of Waiting (Jours d’attente) de Steven Okazaki (Grand Prix, Prix de la Jeunesse en 1991). Ce documentaire livre l’histoire d’une Américaine, Estelle Ishigo, née Peck avant, pendant et après la guerre. Lorsqu’en 1941, la guerre éclate entre les Etats-Unis et le Japon, les immigrés japonais naturalisés sont considérés comme des ennemis d’état et expédiés dans des camps de concentration. Estelle ne veut pas se séparer de son mari Arthur qui, lui, est Japonais : les jours d’attente commencent; ils ne s’arrêteront que lorsque la liberté reviendra. Pendant ses années de détention, elle peindra et photographiera ses pairs « au cas où peut-être un jour, quelqu’un voudrait savoir. » Si Days of Waiting a marqué le palmarès de l’époque, il peut avoir encore quelque effet sur les mentalités actuelles car il représente, avec force, un témoignage crucial sur une page sinistre et méconnue de l’histoire mondiale.
Une empreinte. C’est ce qu’Alger la Blanche, court métrage de Cyril Collard dédié à Maurice Pialat, laissait également en 86. L’histoire, celle d’un amour dramatique, dévoilée à Clermont y obtenait le prix Canal + et le Prix du Public. « Alger la Blanche a suscité une ovation de cinq minutes lorsque Cyril Collard est monté sur scène pour recevoir le Prix du Public. Ce fut la première fois qu’il y eut un engouement tel pour un film » mentionnait d’ailleurs Gilles Colpart, critique de cinéma, lors du colloque organisé pour les 30 ans de la manifestation.
Néanmoins, rien n'empêche Alger la Blanche comme ses 14 associés de poursuivre l’histoire initiée à Clermont-Ferrand. Des souvenirs fabuleux et des émotions tangibles ne devraient pas tarder à surgir. La séance n'est pas finie, l'acclamation peut reprendre. Pas d’inquiétude : le hibou ne parlera pas.