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45ème Festival du court métrage de Clermont-Ferrand

Publié le 21/03/2023 par Thierry Zamparutti / Catégorie: Événement

Comme si la pandémie n'avait jamais existé

Au premier jour, à quelques heures de l'ouverture, il y avait Jacques. Jovial cannois de la quarantaine mais ne fréquentant jamais le Festival de Cannes, il réédite sa passion pour le court métrage et son festival phare en venant, une fois de plus en aficionado, pour cette 45ème édition du festival depuis sa création. Technicien spécialisé en maintenance de machines hautement sophistiquées en service dans l'industrie chimique, il loue sa chambre Airbnb près d'un an à l'avance, prend 10 jours de vacances et arrive les yeux en cœur. Il a raison de s'imposer un tel délai parce que les hôtels sont pris d’assaut à cette période qui coïncide cette année avec la recrudescence de travaux de rénovation ou même de construction dans le secteur de l'hébergement, à quelques mois de trois événements majeurs liés au Tour de France.
Nous ne nous sommes plus jamais croisés ayant chacun des objectifs différents. Les miens étaient récurrents. Comme à chaque édition, j’ai avalé la matière des trois compétitions: internationale, nationale et labo, tout en me gardant une cerise sur le gâteau : le programme libido.

45ème Festival du court métrage de Clermont-Ferrand

Avec environ 160.000 entrées, le festival renoue avec le succès ante-pandémie. Pour la deuxième année consécutive, l'ajout des deux salles de La Comédie, scène nationale, accolée à la Maison de la Culture, représente 1.214 places d'accueil supplémentaires par séance. Nous aurions pu penser que cela aurait dilué le public mais, au contraire, cette offre donne une nouvelle dimension aux programmes proposés et, dès le lundi, quatrième jour du marathon, une cinquantaine de spectateurs restèrent sur le carreau. Pour une séance de la compétition internationale... à 14h30 !

Des salles combles, il y en eu d'autres, dispersées dans la ville. En tout, 12 salles servent à livrer un programme d'une densité rare et pourtant menue comparée aux 8.296 films inscrits et disponibles sur la plate-forme professionnelle shortfilmwire.com. Là, c'est un bon 10% de moins qu'avant les confinements mais la qualité ne baisse pas pour autant, ni la représentativité des diverses cultures du monde. Taïwan, dont l'actualité se fait l'écho inquiet, était à l'honneur avec notamment un saut dans l'horreur, un genre cinématographique qui participe à une partie de la réputation de ses films.

Côté belge, c'est à une déclinaison des genres qu'on assiste

En compétition internationale, on trouve Klette de Michael Abay, une comédie douce-amère de fin d'études au RITCS (Bruxelles). On a tous au moins entendu une fois cette expression « Quel klet ce pei ! » pour désigner l'abruti de l'étape. Ici, il s'agit de Morgane, une looseuse de 26 ans qui vit encore chez sa mère et est nulle part côté affectif, études et, par-delà, boulot. Un programme plus loin, la coproduction belgo-franco-arménienne entre Matching Socks Ventures, Wombat Films et Femala Film propose Il faut tout un village..., une réalisation d'Ophelia Harutyunyan. Dans un contexte de « villages sans homme » en Arménie, Mariam attend son mari parti travailler comme beaucoup d'autres en Russie. Avec les femmes de sa petite communauté, elle s'organise pour conduire les troupeaux aux champs, traire les vaches, relever les défis d'une vie physique éprouvante. Arrivent le jour de son anniversaire et l'espoir déçu que son mari ne rentrera pas pour l'occasion. 23 minutes avec des comédiennes non-professionnelles nous faisant rentrer avec sincérité dans une histoire quasiment documentaire. Pour terminer dans cette sélection, Oil oil oil, premier film presque de genre en noir et blanc, trop long sans être cependant dénué de force, de Manoël Dupont doit son existence à la coproduction entre la Belgique et la France via respectivement Les Films de la Récré et Transfuges. C'est la mise en scène de jeunes saisonniers qui travaillent dans une unité de recyclage d'huile. Une relation amoureuse et a priori éphémère entre deux de ceux-ci va trouver une conclusion constructive. Une sélection qui vaut un peu d'or dans un CV de réalisateur débutant.

En compétition nationale c'est-à-dire mêlant des productions et coproductions françaises, Les Silencieux ouvre le bal en suivant l'ordre chronologique des séances. Basile Vuillemin se lance dans une fiction marine où la question de l'éthique se pose urgemment et sans fard. Un chalutier se dévie de sa route habituelle et navigue en eaux interdites pour ne pas rentrer bredouille. Mais lorsque les marins ramènent le filet s'y trouve un jeune noyé d'origine africaine. Le ton monte ! Une production soutenue côté belge par Magellan Films. Matapang, première fiction de Léa-Jade Horlier, est portée quant à elle par Benoît Roland (Wrong Films) et a bénéficié de l'expérience et de la pertinence de Julie Naas au montage. A nouveau, cette coproduction franco-belge plutôt inspirée fait totalement sens. Au contraire de « klet », « matapang » caractérise une personnalité courageuse, forte, déterminée. C'est le rôle que tient l'héroïne du film, une toute jeune fille née à Manille d'une mère prostituée où elle va combattre cette prédestination avec ses moyens du bord et partir à la recherche de son père. Pour suivre, Les Dents du bonheur réalisé par Joséphine Darcy Hopkins est tout sauf une gentille histoire. Court métrage à classer dans les films de genre, il rend acide l'observation des bourgeoises entre elles et installe une perversité malaisante chez la gamine de la maîtresse de maison lorsqu'elle et ses copines voient arriver la jeune fille de l'esthéticienne à domicile. Katell Varvat est terriblement juste pour interpréter ce rôle de méchante et Lou Deleuze parvient à lui donner le change avec brio surmontant sa soumission au groupe. Need productions assure la partie belge de ce film et y amène notamment Sandrine Blancke dans le rôle d'une des trois bourgeoises. (entretien avec Katell Varvat, voir encadré)

Dans la section labo (se référer aux articles précédents pour saisir sa particularité), Joseph Pierce confirme son indéniable talent. Actuellement disponible sur ARTE TV, Scale reçoit le Prix du Public conquis par une narration portée efficacement grâce à l'atmosphère rotoscopée qui met aux prises le personnage principal avec son addiction à la morphine. Tout se distorsionne et crée un étrange cauchemar esthétique. Celui-ci nous enfonce progressivement dans le drame de cette addiction de Will d'autant plus qu'elle s'aggrave au point qu'il ne parvient plus à gérer sa perception des choses (également Prix de la Critique lors de la dernière édition d'ANIMA). Il s'agit d'une coproduction France, Belgique, Royaume-Uni et Tchéquie avec, aux manettes, les bruxellois de Ozù Productions.

Dans les autres programmes thématiques, on remarquera l'excellente mémoire de l'équipe du festival en charge du programme libido, qui n'a pas oublié certains courts métrages emblématiques de notre production francophone. Libido se voulait léger, coquin, taquin, sensuel, suggestif sans trop en montrer, espiègle (pour reprendre une intention formulée dans le catalogue). Les Amoureuses de Catherine Cosme répond parfaitement à cet objectif. Pour rappel, ce film tout en finesse produit en Belgique par Julie Esparbès (Hélicotronc) raconte comment une mère et ses deux filles vont devoir se débrouiller entre elles pour séduire un jeune maître-nageur. La compétition a priori inattendue est tantôt tendre, tantôt féroce, chacune à leur âge respectif, entre une jeunette, une grande ado et une milf. Chacune, à son stade d'évolution, va mûrir de cette parenthèse et en tirer le meilleur. Plus trash dans son ambiance, plus brut de décoffrage, Partouze de Matthieu Donck clôturait une séance déjà rehaussée par la projection de l'excellent moyen métrage de Gérald Hustache-Mathieu La Chatte andalouse (avec Sophie Quinton au début de sa carrière). Cet autre production d'Hélicotronc rassemblait des comédiens géniaux dans leur rôle: Jean-Benoît Ugeux (le coincé), Ingrid Heiderscheidt et Erico Salamone (en formateurs pour partouzeurs débutants), Catherine Salée (la débutante motivée), Yoann Blanc (l'enthousiaste) et Anne-Pascale Clairembourg (l'épouse de l'enthousiaste). Ou comment faire pour rater sa soirée pour le plus grand plaisir du public.

N'oublions pas non plus une belle représentativité des courts métrages belges dans la section JEUNES PUBLICS qui prend une nouvelle dimension en se décentrant d'une semaine en amont du festival pour accueillir quelque 25.000 scolaires. Arnaud Demuynck (La Boîte Productions et Les Films du Nord) s'est fait une spécialité pour ce public. Il porte, en tant que scénariste et coréalisateur avec Célia Tisserant, Grosse colère ou quand il est question de se confronter à ce sentiment lorsqu'on est enfant. Et en tant que producteur, il confie à la réalisatrice Pascale Hecquet ses adaptations de contes traditionnels. D'une part Pourquoi la neige est blanche ? permet au petit hérisson Giuseppe, au sortir de son hibernation, de recevoir la réponse en direct de son papa et d'autre part Pourquoi les arbres perdent leurs feuilles à l'automne ? contribue à donner une réponse au travers d'un conte à ce même petit héros. Autre production, autre thème, Guillaume Malandrin (Altitude 100) présente une animation de 7 minutes où Jules, le chien, et Juliette, la jeune fille, passent une journée à la plage avec son lot de drôleries et de petites aventures. Jules et Juliette de Chantal Peten. Pour terminer avec une production franco-belgo-néerlandaise, notre compatriote néerlandophone Britt Raes, diplômée de la KASK de Gand déploie tout son talent avec Luce and the rock où un immense rocher vient perturber l'espace et la vie d'un petit village. Le rocher s'avère être un personnage remuant et Luce au départ très fâchée va petit à petit l'apprivoiser. Il m'a semblé y voir une référence au kintsugi, cette méthode japonaise pour réparer notamment la faïence.

Palmarès complet : www.clermont-filmfest.org

Nous avons rencontré la jeune comédienne des Dents du bonheur, Katell Varvat

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