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46e Festival du court métrage de Clermont-Ferrand du 2 au 10 février 2024

Publié le 23/02/2024 par Thierry Zamparutti / Catégorie: Événement

Malgré l'enveloppe de la subvention de la Région Auvergne-Rhône-Alpes réduite de 110.000 €, (soit moins 52,38 % par rapport à l'année précédente!), l'ambiance était à la résistance et à la volonté de prouver qu'un Festival comme celui de Clermont-Ferrand reste debout avec le même enthousiasme, la même générosité de films au Marché et un public toujours fidèle.
165.850 entrées ont été comptabilisées n'affaiblissant même pas d'un iota l'engouement pour les différents programmes proposés, essentiellement consacrés aux femmes jusqu'à priver les jurys des trois compétitions principales de tout risque de domination masculine.

 

46e Festival du court métrage de Clermont-Ferrand du 2 au 10 février 2024

Femmes remarquables, présentes dans les sélections 'l'Europe des femmes', le programme 'Décib'elles' consacré aux clips, les séances 'Insoumises' mettant en valeur les femmes indociles ou encore le 'Court d'Histoire' qui invite deux films documentaires de la réalisatrice Carole Roussopoulos où elle accompagne des ouvrières de Besançon en lutte au sein d'une usine au début des années '70. Ces films ne s'évoquent pas sans faire référence à Chantal Akerman et son Jeanne Dielman, 23 quai du Commerce, 1080 Bruxelles, première réalisatrice à prendre la tête du classement Sight and Sound des 100 meilleurs films.

Dès la page 6 du catalogue, une autre femme donne le ton. Il s'agit de la dorénavant ex-ministre française de la Culture Rima Abdul-Malak qui fustige une nouvelle fois, et dernière sous sa fonction, l'incompréhensible décision politique unilatérale du Conseil régional d'Auvergne-Rhône-Alpes.

Trois pages plus loin, le président de cette région, Laurent Wauquiez, déclarait, avec un allant qu'on aurait applaudi s'il n'était pas d'une hypocrisie crasse, « le cinéma est un élément fondateur de notre patrimoine historique et culturel. [...] Cette richesse, nous avons à cœur de la faire vivre, la faire rayonner et la transmettre aux jeunes générations. [...] ..., la Région est heureuse cette année de soutenir le festival... ».

Espérons que la nouvelle ministre de la Culture, Rachida Dati, qui s'est déplacée alors que sa prise de fonction était toute récente (!), puisse ramener certains à la raison. Elle a pu au moins s'entretenir avec le président de 'Sauve qui peut le court métrage', Eric Roux, et une partie de l'équipe organisatrice.

L'argent étant le nerf de la guerre, il a tout de même fallu mettre en œuvre quelques économies à la suite des événements qui ont ponctué ces dernières années. De l'abandon du quotidien du Festival entre autres à l'augmentation du prix du ticket en passant par la suppression de 4 séances des compétitions officielles, le Festival espèrait maintenir l'équilibre.

Pourtant la production mondiale semble se moquer des moyens et elle est revenue en nombre au Marché avec plus de 9.400 films. Il faut remonter à 2019 pour retrouver la même quantité d'inscrits. Y trouver des films iraniens, afghans, syriens ou palestiniens montre que le court métrage est et restera parmi les œuvres les plus libres fabriquées de manière souvent légère grâce au numérique afin de raconter des histoires fortes empreintes de valeurs défendues, espérées et revendiquées par leurs auteurs.

Cette année, la Belgique fut représentée par 211 films dont une petite partie trouva le chemin du public dans les compétitions et les programmes annexes. Ainsi, Une soeur de Delphine Girard, qui ouvrait la séance POLAR, a fait un carton. Les appréciations qualitatives du public que nous avons pu recueillir étaient unanimes et l'aura de ce programme fortement convoité à chaque édition a servi à  lui donner une formidable visibilité.

La séance unique et tardive BLOOD mettant des Bloody Girls à l'honneur fut consacrée aux films de genre parmi lesquels les Dents du bonheur de Joséphine Darcy Hopkins, une coproduction de Need Production, qui a fait détourné les yeux à beaucoup de spectateurs souffrant à la place de la jeune héroïne! Les histoires de dents, en général, on n'aime pas ça.

Dans un autre contexte, Ma Gueule de Grégory Carnoli et Thibaut Wohlfahrt participait aux Prix du Public européen dans l'espoir de remporter le Graal qui consacrera le meilleur de tous à la fin d'une tournée de dix pays. Avec le délit de faciès en toile de fond, cette comédie douce-amère pourrait s'accaparer une bonne part des votes du public, mais la concurrence reste rude.

Toujours hors compétitions officielles, le sensible et émouvant Beyond The Sea d'Hippolyte Leibovici et Assoiffé de Lisa Sallustio, lauréate de la Bourse VOCATION en Arts de la scène en 2021, figuraient dans le programme spécial CANAL +.

Les femmes derrière la caméra sont dans le programme Eur♀ Visions avec, côté belge, le film de Aurélie Reinhorn, lauréat du Prix de la Presse à Clermont-Ferrand l'année dernière. Son altesse protocole trouve ici une place parfaite pour réaffirmer le caractère indocile de son héroïne face aux demandes de son employeur. Et, l'étrange et surréaliste Deer Boy (L'enfant-cerf) de Katarzyna Gondek (coproduit avec la Croatie et la Pologne en 2017).

On s'en voudrait d'oublier dans la section pour les Enfants, le sympathique écureuil de Rémy Durin ponctuant Tête en l'air de ses sauts intrépides ; Va-t-en Alfred ! ou comment accueillir un nouvel habitant en exil, de Célia Tisserant et Arnaud Demuynck, deux coproductions La Boîte... Productions. Puis Next ? (Au suivant?) de Christel Guibert, une courte animation franco-belge soutenue respectivement par Folimage et Popiul qui réinvente le speed-dating.

Au niveau des compétitions officielles, on notera d'emblée un nouveau venu. Monsieur Pimpant, homme-orchestre de The Choolers : viandes et poissons, a été remarqué par les programmateurs (voir ENTRETIEN). Effectivement, pour figurer dans la compétition LABO, il faut s'inscrire pour prétendre concourir dans la partie nationale ou internationale du Festival. C'est à partir de là que les films sont repérés pour constituer les 5 programmes LABO. Expérimentation, narration créative particulière, ovni de tous genres, hybridation diverse, forment une cinématographie différente et complémentaire à l'Art en général. Ce film-ci procure une sensation de dynamisme étrange, entraînés que nous sommes dans un univers de hip-hop, de rap conçu par des personnes différentes parfois peu compréhensibles, mais où la chorégraphie de l'énergie nous fait passer par-delà sans dérangement. Ce documentaire animé évoque ces artistes en perpétuelle envie de scène.

Toujours dans le LABO, Aux confins du monde du brésilien Daniel Frota de Abreu nous convie à l'exercice de l'écoute toute en profondeur afin de réenvisager les éléments de la colonisation du Brésil au XVIIe siècle par les Hollandais. Cette production menée par le Brésil, les Pays-Bas et la Belgique met en parallèle les éléments scientifiques de la faune et la flore récoltées à l'époque avec ce qu'on peut en retirer aujourd'hui.

Au travers de la compétition nationale, Jean-Benoît Ugeux est parti pour devenir un habitué. Après Abada, sélectionné en 2021, Fratres dans la section Films en Région l'année passée, le revoici avec Hiver. Il y convoque la bourgeoisie en vacances d'hiver accompagnée de leur femme à tout faire et de son fils. Les deux garçons du couple montrent une certaine condescendance dans le soutien qu'ils apportent à Auréliano pour lui apprendre à skier. Cela devient la lutte des classes entre ados.

Dans un style social différent, Pavane de Pauline Gay met en scène Corinne Masiero, une ouvrière dans une usine de poissons à la veille de la retraite, et sa fille (Salomé Dewaels) qui en est à la préparation de son premier film de cinéma. Chose amusante, alors que dans la vie Masiero est plutôt une syndicaliste, elle est ici dans un contre-emploi intéressant où elle tente d'expliquer à Alex que travailler dans le cinéma ce n'est pas avoir un vrai métier !

C'est dans la compétition internationale que la Belgique a fini par récolter sa seule petite récompense. Une petite consolation sous forme d'une Mention spéciale attribuée par le Jury étudiant international à The Miracle une animation de Nienke Deutz. C'est une coproduction à trois pays avec la productrice Annemie Degryse qui gère Lunanime à Gand et Les productions de Milou à Saint-Martin-de-Castillon et Peter Lindhout, Koji Nelissen et Derk-Jan Warrink de Keplerfilm (Pays-Bas).  La réalisatrice a souhaité confronter son personnage principal à son envie d'avoir un enfant, ou pas. Elle se retrouve dans une sorte d'hôtel de vacances all-in et tente de trouver un équilibre entre ses pensées qui la débordent et l'envie d'en profiter un maximum à sa manière.

Qu'à cela ne tienne, notre pays s'est fait remarquer dans trois autres animations grâce à leur sélection. C'est suffisamment rare pour être relevé, aucune fiction ne figurait dans le programme.

Wander to wonder de Nina Gantz et Beautiful Men de Nicolas Keppens sont deux coproductions entre la France, les Pays-Bas et la Belgique réalisées en stop-motion. La virtuosité de l'animation  provoque une profonde empathie envers les personnages. Dans le premier, ils pleurent la perte de leur mentor et créateur pour qui ils travaillaient dans sa série télévisée pour enfants. Dans le second, ils pleurent la perte de leurs cheveux tout en espérant les remplacer par des implants lors d'un voyage en Turquie. Malheureusement, la réservation du service est caduque et seulement une seule opération pourra avoir lieu au lieu de trois.

Enfin, la troisième animation, Villa Madjo de Elen Sylla Grollimund, rassemble l'Atelier Graphoui (Bruxelles) et Africalia autour d'une recherche menée par la réalisatrice. Son père, de peau blanche, étant né en Afrique et sa mère, noire, étant née en Europe, participent de l'identité multiraciale d'Elen. Ce documentaire animé invite à se plonger dans une partie de l'histoire de sa famille empreinte de colonialisme.

Ce florilège d'animations permet de faire la transition entre le Festival de Clermont-Ferrand et ANIMA où la plupart seront diffusées.

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