À la fin des années 80, la chute de l'Union soviétique a entraîné la réapparition d'une multitude de nouveaux pays et de nouvelles régions à l'est de l'Europe. C'est la cas de la Moldavie qui acquiert son indépendance en 1991. Malheureusement, cette indépendance se concrétise par une crise économique majeure et durable. Pour subvenir aux besoins de leur famille, des milliers de femmes et de mères ont quitté la Moldavie pour émigrer à l'ouest, laissant derrière elles maris et enfants. Présenté au festival Millénium, ce documentaire poignant nous raconte quelques-uns de ces récits familiaux.
Love is not an Orange de Otilia Barbara
L'orange du titre fait référence aux oranges qui ne poussent pas en Moldavie et que les mères envoient à leur famille depuis la Grèce ou l'Italie, pays où bon nombre d'entre elles ont immigré pour se retrouver souvent à faire des boulots dégradants. Dans l’impossibilité de rentrer chez elles, elles restaient en contact avec leurs enfants en envoyant des boîtes remplies de cadeaux et de nourritures. En retour, leurs enfants leur envoyaient des cassettes vidéo sur lesquelles ils enregistraient leur vie quotidienne et les événements qui ponctuent les années qui passent. Cet échange est devenu un rituel pour des milliers de familles, partageant des moments de leurs vies.
La réalisatrice a pu collecté des centaines d'heures d'images qui résultent de ces échanges familiaux. À travers un montage dense de ces images d'archives très intimes, home-movies émouvants, parfois bancals, tremblants et flous - fêtes d'anniversaire, arbres de Noël, glissades sur la neige, ou face-caméras des enfants, surtout des filles, qui parlent à leur maman - Otilia Barbara exprime la fragilité des liens familiaux par le regard d'une génération de mères et principalement de filles qui ont été forcées de vivre séparément pour pouvoir survivre. En réponse à ces lettres filmées, une voix-off dit la voix des mères, leurs considérations sur leur exil, l'absence dure et longue mais aussi sur le futur et les possibilités nouvelles qui s'offrent à elles.
L'ensemble de ces images sont tissées entre elles pour former une sorte de patchwork vidéo aux temporalités incertaines, agencement parfois abstrait de moments, d'instants de vie comme autant de fragments anecdotiques qui deviennent des images-mémoire de ce qu'ont été ces relations éloignées. Elles forment un choeur éclaté de ces souvenirs filmés et finissent également par dresser le portrait d'une ancienne URSS à un moment-clé de son histoire, qui a perdu près de 37% de sa population dû à l'émigration et dont les femmes ont dû assumer, sans le vouloir, la transition d'un régime communiste vers une société capitaliste et se sacrifier pour leur pays en choisissant l'exil.