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Marching in the Dark, de Kinshuk Surjan

Publié le 10/10/2024 par Gauthier Godfirnon / Catégorie: Critique

Présenté au Festival des Libertés, le documentaire Marching in the Dark réalisé par Kinshuk Surjan nous fait découvrir la terrible réalité économique et sociale qui s’impose à moult paysans indiens. Des régions rurales en Inde connaissent en effet un taux de suicide élevé parmi les agriculteurs. Les prix fluctuent à outrance et l’instabilité et l’incertitude face à leur avenir sombre entravent, oblitèrent leur volonté d’aller de l’avant. Le film se centre sur Sanjeevani, veuve introvertie  de l’un de ces malheureux, qui est déterminée à offrir une vie meilleure à elle-même et à ses deux enfants. Elle se lance dans une lutte acharnée contre l'abandon traditionnel des veuves par sa culture et rejoint un groupe de discussion avec d'autres veuves d'agriculteurs. Il est animé par un psychologue et militant local. Toutes ces femmes échangent leurs histoires, leurs difficultés, leur espoir et leurs points de vue divergents avec mesure et bienveillance pour que toutes puissent traverser leur deuil et en ressortir plus fortes. Malgré la précarité tragique qui les affecte, parfois, une once de jovialité se dessine sur ces visages ombrés par le deuil.

Marching in the Dark, de Kinshuk Surjan

Le réalisateur dénonce en filigrane une dualité, une différence entre les rôles qu'assument les femmes et ceux qu'assument les hommes. On voit comment le sort terrible des hommes dans ce monde économique sans merci a un impact direct sur la façon dont les femmes doivent désormais se débrouiller toutes seules. L’une de ces femmes endeuillées lance une demi-blague teintée d’une demi-vérité qu’elle souhaite à peine cacher : les femmes seraient plus fortes dans ce contexte de crise sociale. Même avant la mort de leurs maris, elles étaient déjà occupées à concilier vie de famille et travail acharné en ne fléchissant sous aucun prétexte. Les injonctions de performativité abusive imposées par la société patriarcale indienne poussent ces hommes dans leurs derniers retranchements. Ils sentent une honte viscérale qui dépasse l’entendement et les conduit à cette fin tragique. Et leurs fils ne peuvent verser aucune larme. Qui plus est, la division constante des rôles sexuels semble toutefois jouer en la défaveur des femmes constamment sollicitées, et d’autant plus si elles sont veuves. La société indienne imprime d’affreux stigmates sur ces dernières. Le port du bindi leur étant interdit, elles sont plus facilement reconnaissables. Elles ne peuvent assister à certaines festivités et un second mariage est mal considéré. Dans un acte de révolte discret contre cette société patriarcale pesante, Sanjeevani compte bien trouver la force de devenir indépendante.

L’originalité des gros plans saisissants, esquissant des yeux envoûtants, reflète la profondeur de ces âmes féminines acharnées. En parallèle à ce rapport haletant aux émotions qui submergent ces corps, les images de cette nature hostile et grandiose nous offrent un dépaysement culturel qui nous confronte à nos relatives conditions de confort en Occident tout en nous apprenant des aspects intéressants de la faune et de la flore locales. À quel prix et dans quelle mesure pouvons-nous garantir notre accès illimité à toutes ces ressources ? La valeur de ces biens n’est-elle pas dictée par les aléas de notre propre économie ? Des pans de la philosophie et de la médecine traditionnelles indiennes nous sont aussi dévoilés. Si notre protagoniste ressent une douleur physique et des tensions corporelles aiguës, c’est dû à l’empathie folle qu’elle ressent envers ses semblables à qui elle rend visite pour leur apporter un réconfort unique. Nous découvrons soit dit en passant les vertus des massages à l’ail.

Soutenue par sa communauté, transformée par ces récits de résilience partagés et une solidarité surprenante, Sanjeevani forge sa voie vers un avenir plus prometteur.

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