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Martine Barbé - Image Création

Publié le 15/04/2014 par Dimitra Bouras / Catégorie: Entrevue

Nous avons souvent eu l'occasion de rencontrer Martine Barbé dans sa fonction de productrice et, souvent, là où on ne l'attendait pas. Productrice du film de Claude François sur les surréalistes, le Désordre alphabétique, productrice du film d'Yves Dorme, Paroles intimes : dialogues avec le cancer ou encore ceux de Roger Beeckmans, Une leçon de toléranceou Nos cœurs sont vos tombes, sur le génocide du Rwanda. Dernièrement nos chemins se croisent à nouveau avec le film de Mario Brenta et Karine de Villers, Corps à corps, sur la gestation du dernier spectacle de Pippo Delbono. Devant un catalogue aussi hétéroclite, on lui demande comment on devient productrice de films aux sujets aussi distincts.

Martine Barbé : Comme beaucoup de choses dans la vie, le hasard a eu son mot à dire. J'étais professeur de français dans des écoles techniques et professionnelles, mais je m'interrogeais sur l'institution scolaire. Il se fait que j'ai rencontré Philippe Bosman, directeur du Studio l'Equipe, qui voulait créer une maison de production aux côtés des services techniques déjà proposés. Et je me suis lancée. J'ai entamé ma vie professionnelle de productrice en ayant mes bureaux en plein milieu des salles de montage et des studios de mixage.

Mon passé de militante m'a vite positionnée dans le choix des films que j'ai voulu produire. Le Studio m'a donné la liberté de pouvoir créer ma ligne éditoriale. Jacques Vierendeels de la RTBF m'a mis en contact avec Eyal Sivan qui avait un projet extraordinaire sur le procès Eichmann. J'ai été la première à rentrer en production dans ce film, Un spécialiste. Cette opportunité a été un moment décisif dans ma vie. Je me sentais complétement à l'aise et en phase avec le projet proposé.

Martine Barbé, productriceC. : Quand est-ce que cela s'est passé ?

M. B. : En 1994 ou 1995. Ce fut un très grand moment pour plusieurs raisons, notamment parce que c'est un film qui a vraiment questionné les archives, comment écrire un film à partir d'une matière qui a été créée à un moment de l'histoire, comment utiliser ses archives sans les manipuler. Le procès Eichmann avait été intégralement filmé à l'époque. Une partie de cette matière avait été utilisée dans les medias ; Eichmann dans sa cage de verre. Quand Eyal Sivan a redécouvert ces archives, il a pris une position de réalisateur, en utilisant ces archives comme si c'était les rushes du film. Il avait 900 heures de vidéo qu'il a relues sous l'angle de réflexion de la philosophie du mal de Hannah Arendt. Je n'oublierai jamais le moment où Un spécialiste a été montré au Festival de Berlin, la salle était pleine d'Allemands en proie aux réflexions et questionnements sur cette période tragique de leur pays.

C. : Quel est le rôle d'une productrice pour ce genre de films ?

M. B. : Un spécialiste n'est pas mon premier film, mais c'est mon premier grand film. Il a fallu asseoir une solidité de production. C'est un film qui avait un budget plutôt conséquent, et comme on était les premiers à rentrer en production, il fallait trouver des coproducteurs étrangers, travailler main dans la main avec eux, à la fois épouser l'approche du réalisateur et travailler avec les partenaires financiers. Le but étant de marier tout ce monde. C'est un métier qui demande énormément de patience, énormément de tact aussi et d'arriver à ce que chacun puisse adhérer et croire à un même projet. C'est un travail à la fois de contenu, mais aussi financier.

C. : Comment lie-t-on les films d'art et les films politiques dans une même ligne éditoriale ?
M. B. : J'ai été totalement influencée par le milieu artistique, ayant vécu avec des parents artistes, mais également engagés politiquement. Je pense que ça se retrouve dans les 60 films que j'ai produits. Je suis dans une ligne éditoriale à caractère politique, et c'est pour ça que je suis heureuse de faire du documentaire et aider à la réflexion, au questionnement sur le monde. Contrairement à l'immédiateté des medias, prendre le temps de prendre du recul.Martine Barbé, productrice

C. : Est-ce que les réalisateurs viennent vers toi ou c'est toi qui va à leur rencontre.
M. B. : Dernièrement, j'ai été d'avantage curieuse d'aller vers de jeunes réalisateurs. Ça fait maintenant 30 ans que je suis dans ce métier et je suis souvent sollicitée. Les réalisateurs connaissent Image Création, ils connaissent ma ligne éditoriale, et viennent me voir parce qu'ils ont un projet et qu'ils ont l'impression que ce projet va pouvoir m'intéresser. Mais c'est aussi, quelquefois, le bouche à oreille, le hasard. Le dernier film que je produis est un projet d'un jeune auteur, journaliste de formation, que j'ai rencontré par chance, passionné par le cinéma et le vrai travail d'investigation, curieux du patrimoine. J'ai joué le jeu. On a pris le temps nécessaire pour faire aboutir son premier film en tant qu'auteur. Il a fallu l'accompagner, trouver le bon réalisateur, trouver la personne qui allait pouvoir travailler de concert avec lui, ce qui n'est pas toujours facile dans le documentaire, généralement, auteur et réalisateur, dans le documentaire, c'est la seule et même personne. Pour établir ce couple, ça demande beaucoup de travail, beaucoup de rencontres où on se penche sur le scénario, où on le relit, où on essaye de voir comment on peut l'améliorer, etc.

C. : Etre productrice, ce n'est pas seulement trouver les moyens pour produire un film, c'est aussi le diffuser ?

M. B. : J'ai plutôt une ligne éditoriale de documentaires télévisuels. La diffusion salle, je pense que c'est surtout une question d'opportunité. Je pense qu'il y a des sujets, en tout cas, qui peuvent très bien faire une carrière en salle en tant que documentaires. La diffusion d'un film, et surtout dans le documentaire, ne se fait pas uniquement dans l'actualité de la sortie. Il peut avoir une très longue vie. Pour peu qu'il pose un questionnement ou une réflexion, un film peut avoir dix ans et demeurer d'actualité.

C. : Qu'est-ce que cela représente concrètement pour un producteur de prendre des risques ?
M.: Il y a des projets dont on est certain des qualités, mais qu'on n'arrive pas à défendre. Différentes questions se posent. Pourquoi personne ne croit en ce projet ? Est-ce parce qu'il n'est pas assez abouti ou parce qu'il subit un concours de malchance ? À ce moment-là, le risque, c'est de se dire « on va le faire quand même ». Le dernier en date c'est Corps à corps, un film auquel je crois. Et quand on est productrice depuis des années, on peut se permettre de se faire plaisir. Et en faisant ce film-là, je me suis fais plaisir.

Martine Barbé, productriceC. : Quelle est la partie que tu préfères dans ton travail ?
M. B. : C'est participer au montage. En tant que producteur, on est essentiellement dans les dossiers, on raconte le film, on pitche, etc. Dans certains cas, je participe au tournage et ça, c'est passionnant. Je suis très en demande de pouvoir être présente pour le montage, de temps en temps, pour avoir ce plaisir de voir comment les images se mettent en place, comment on arrive à établir cette perspective du récit. Je suis très attachée au matériau et à ce côté artisan et ça, ça remonte à mon enfance quand j'allais dans l'atelier de ma mère, qu'il y avait une toile blanche et que cette toile se remplissait et que sans être finie, on voyait déjà l’œuvre se faire.

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