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Minds Meet - Tomas Leyers

Publié le 15/04/2014 par Anne Feuillère / Catégorie: Entrevue

Hors cadre

Le court métrage de Kristof Hoornaert, Kaïn était leur toute première production : il s'invitait directement en compétition officielle à Berlin, en 2009. Lost Persons Area, premier long métrage de Caroline Strubbe, se retrouvait, lui, à la Semaine de la Critique à Cannes. L'année suivante, ça continuait avec Little Baby Jesus of Flandr de Gust Van den Berghe présenté à la Quinzaine des Réalisateurs… et qui y retournait, peu après, avec son second film, Blue Bird. En ce début d’année, le travail intense de Tomas Leyers et de sa petite équipe, porte ses fruits, et c'est un véritable feu d'artifice. Premier long métrage hypnotisant et risqué, Violet de Bas Devos est revenu de Berlin avec le Grand Prix de la section Génération où concourait également une coproduction, Above Us All d'Eugenie Janssens. Un peu plus tôt, Charlie & Hannah's Grand Night Out de Bert Scholiers était sélectionné au Cinémart et l'on découvrait aussi à Rotterdam I Am The Same, I Am The Other, second volet de la trilogie de Caroline Strubbe déjà passée par Toronto. Avec les beaux jours, c'est Welcome Homede Tom Heene qui sort en salle le 26 mars après un passage remarqué à la Semaine de la Critique vénitienne. Et les projets se bousculent. À la barre de Minds Meet, Tomas Leyers, au fond de ses bureaux installés dans des entrepôts de transporteurs près du port de Bruxelles, navigue avec jovialité et fermeté dans le cinéma d'auteur flamand dont il est aujourd'hui l'un des acteurs incontournables. Bourreau de travail, Leyers doit aussi son succès à son pragmatisme venu de sa carrière dans l'événementiel, mais peut-être surtout à son enthousiasme sans bornes, ni cadres, ni barrières.

Cinergie : Minds meets a 7 ans et une actualité foisonnante !

Tomas Leyers : Oui ! Mais c'est un hasard de calendrier, de films au tempo différent qui arrivent en même temps sur les écrans. Mais c'est vrai, il y a beaucoup de choses : WelcomeHome sort en mars. I am the same, I am the other de Caroline Strubbe est sorti en Flandre et à Bruxelles mais pas encore en Wallonie, alors je suis en train de chercher, je trouve que ça vaut le coup, même quelques semaines. Le troisième film de Gust Van Den Berghe,Lucifer, est en postproduction et Violetdevrait sortir en Octobre. On est en train de terminer aussi un documentaire sur Cuba,Anoranza de Flo Flamme. On coproduit le prochain long métrage des frères Malandrin qui seront bientôt en tournage et on est en développement avec Charlie et Hannah, une comédie complètement folle, un truc très bizarre, un croisement entre Woody Allen et Holy Motors de Carax (rires). Mais le nouveau film de Gust aussi, c'est du jamais vu ! Caroline commence petit à petit le troisième film de sa trilogie. Elle travaille aussi sur une comédie, Sidewalks, qu'elle avait déjà écrite. On a plein de projets, j'en oublie certainement. Mais oui, ça explose là. Et nous n'avons pas vraiment 7 ans. Notre premier court métrage, Kain, s'est tourné en 2008, comme le premier film de Caroline. Donc, il nous semble plutôt que Minds Meets a cinq ans puisque nos premiers films ont commencé leur carrière en 2009.

Tomas Leyers, producteurC. : Cinq années seulement et beaucoup de productions…

T.L. : Oui ! Nous étions aussi surpris (rires) ! Mais il faut compter pas mal de coproductions. Surtout avec les producteurs francophones : Le Jour où dieu est parti en voyage et Tango Libre avec Artémis, La Cantate de Tango avec Tarantula, Le monde nous appartient avec MG Productions. Le nouveau long métrage des frères Malandrin se fait avec Versus et nous avions travaillé sur Kill me please avec la Parti. J'aime bien coproduire.

C. : Pourquoi ?

T.L. : Certains projets m'enthousiasment beaucoup. Ce n'est pas forcément que je cherche à coproduire des films, mais j'aime les lire et si ça m'intéresse... Ça a commencé avec Le jour où Dieu est parti en voyage. Personne n'en voulait, moi je l'ai lu et j'ai adoré !

C. : Qu'est-ce qui t'emballe dans un projet ?

T.L. : L'estomac... Il n'y a pas de formule, pas de règles. Il y a deux raisons pour faire des films : il y a celle qui consiste à chercher de l'argent et du même coup l'histoire qui va permettre d'en rapporter, et puis, il y a celle qui consiste à vouloir raconter une histoire et l'on cherche de l'argent pour le faire. Quand j'ai ce deuxième sentiment, qu'il y a une urgence et une authenticité, je m'emballe, j'ai envie de le voir. Et j'avais ce sentiment avec le film de Philippe Van Leeuw. Mais j'ai quand même un certain amour pour l'image. C'est David Williamson qui a fait la photographie de I am the Same, I am the Other. C'est son premier film et sa photo est magnifique. De la même manière, Gust Van den Berghe travaille toujours avec Hans Bruch Jr qui a signé La Cinquième Saison et va tourner son troisième film. Lui aussi a une signature bien particulière. Nicolas Karakatsanis, notre Benoît Debbie, a fait Lost Persons Area et Violet, c'est un magicien de l'image. Je crois que le visuel flamand porte tout de même cet héritage historique et culturel des Primitifs. Les images ne se donnent pas, elles sont mystérieuses, elles sont à déchiffrer. Elles sont comme des peintures. Que ce soit I am the same, I am the Other ou Violet,l'histoire ne se raconte pas à partir des images, mais à partir des non-dits, dans les silences. Je peux dire « Voilà le cinéma que j'aime », mais en même temps, je voudrais bien produire un film d'horreur ! Je suis emballé par un projet, ou pas. Je ne veux pas me cataloguer, définir ce que j'aime. Je n'aime pas les cadres, je veux rester ouvert. Je ne fais pas des films commerciaux pour le moment, mais pourquoi pas ? Si j'adore ?! Tel que je suis aujourd'hui, je dois peut être attendre encore avant de me lancer là dedans. Cela ne fait que 5 ans que je fais ce métier.

C. : Qu'est-ce qui t'a amené à faire ce métier justement ?

Tomas Leyers, producteur

T.L. : J'en ai toujours eu envie. J'ai beaucoup travaillé dans le domaine de la production événementielle. Pendant dix ans, je me suis occupé du concert du Roi Albert II, de « la Belgique danse », un projet où douze villes dansaient en même temps... Et puis, ma femme, Caroline Strubbe, faisait des films, elle était en contact avec le milieu du cinéma francophone belge et j'ai rencontré des gens comme Frédéric Fonteyne ou Patrick Quinet... Quand le VAF, qui existait depuis un an à peine, a proposé une sorte de workshop pour des jeunes producteurs dirigé par Pierre Drouot, je me suis inscrit. Ça a commencé comme ça. Au début, j'ai continué à m'occuper de quelques grands événements. Mais aujourd'hui, je n'ai plus le temps. Je crois que j'ai un peu pris de cet esprit de l'événementiel, et que je l'ai amené au cinéma, dans ma manière de travailler.

C. : Dans quel sens ?

T.L. : Je ne « crois » pas – attention, je mets des guillemets, je prends mes précautions (rires) - au statut dans ce milieu. Un régisseur, un chef op ou un ingénieur du son, tous ont quelque chose à apporter à un projet. Un directeur de la photo doit diriger ses assistants, c'est nécessaire, c'est son job. Mais il n'y a pas de hiérarchie. Quand je suis arrivé dans le milieu du cinéma, j'ai découvert cette sorte de respect uni dimensionnel, ou des traditions très ancrées. Cela m'a vraiment frappé. On me disait « Ah ! Mais ça, ça ne se fait pas de cette manière !» ou « Il faut faire comme ça ». Et je me demandais bien pourquoi. Si, pour certaines choses, c'est très juste, pour d'autres, ça ne l'est pas du tout ! Les films de Gust se font avec des équipes de 4 ou 5 personnes. Il n'y a pas de costumes, pas de maquillage. Et cela ne veut pas dire que ce n'est pas nécessaire. Sur Los Flamencos, je trouvais à l'inverse que le maquillage était plus important que le chef opérateur parce que le projet le définissait ainsi. Chaque projet engendre ses priorités. Mais quand tu dis des trucs comme ça, olala... (rires) !

C. : Est-ce le fait d'avoir appris à travailler dans l'urgence qui t'a formé ainsi ?

T.L. : Oui, sans doute. Ça va très très vite en effet dans l'événementiel. J'ai l'habitude de dire que c'est la production, la postproduction et la sortie en une seule et même heure. On doit être constamment très concentré et très rapide. On ne peut pas discuter de tout pendant des heures. Du coup, au cinéma, j'ai appris à ralentir, qu'un certain temps est nécessaire pour faire mûrir un projet. J'allais trop vite. Je crois qu'au début, j'ai osé mettre en question certains a priori très rigides dans cette manière de faire du cinéma. Little Baby Jesus of Flandr était sélectionné pour la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes et je me souviens que j'ai téléphoné pour leur dire qu'ils ne pourraient pas avoir une copie 35. C'était un film qui avait coûté 65.000 euros, c'était complètement fou de faire une copie 35 ! Je pouvais envoyer un DCP, mais c'est tout. Maintenant, tout le monde envoie des DCP. Il y a à peine deux ans, je devais encore le demander, et même me battre un peu pour que ce soit possible. De la même manière, aujourd'hui, avec les tournages en digital, sur la plupart des films, tu n'as pas besoin de scripte. Ce n'est peut-être pas chouette pour leur boulot, mais c'est comme ça ! Sur certains projets, ce poste est nécessaire, bien sûr, cela dépend des films, mais en général, on peut très bien s'en passer. Pour la continuité, la plupart des gens regardent sur leur ordinateur. Et quand ça arrive au montage, qui se fait en digital, on n’a plus vraiment besoin de ces notes, puisqu'on peut regarder tant qu'on veut les images, ce n'est plus de la pellicule qui pourrait s'abîmer ! Il y a des résistances de ce genre partout, et tout le temps.

C. : Ta méthode de production s'adapte donc à chaque projet.

T.L. : Ah oui ! Chaque projet a un certain battement de cœur, un certain tempo. Je cherche à trouver l'esprit du projet. Je crois que c'est ça mon rôle. Il y aura toujours des frustrations. Notre travail consiste à trouver le chemin. On n’a jamais assez de temps, assez de budgets, assez de moyens. Jamais. Impossible d'éviter toutes sortes de frustrations. Un tournage, c'est du travail, c'est dur. Alors quel est le chemin à prendre pour qu'il y ait le moins de frustrations possibles ? Un long tournage par exemple ? Ou un tournage plus court, mais avec une plus grosse équipe ? En tant que producteur, ce n'est pas à moi de répondre à cette question. Mais c'est à moi de la poser, d'interroger le réalisateur sur ce qui lui semble le plus important. Certains choisissent une grosse équipe où chaque desiderata peut être comblé. D'autres préfèrent une petite équipe, mais 40 jours de tournage pour pouvoir continuer à réfléchir pendant le processus. Et ces questions se posent à tous les niveaux. L'équipement, la caméra, la machinerie, le son, les décors... Il faut sans cesse reposer les priorités. Alors, je reviens tout le temps avec cette question « Pourquoi tu veux faire un film ? ». Faire un film, c'est la folie ! (rires) C'est pas gai ! Tu vas travailler pendant deux trois ans pour que ça sorte une ou deux semaines au cinéma ! Et si dix mille personnes le voient, c'est déjà beaucoup. Tu fais quelques festivals où le film est parfois projeté dans des conditions terribles... Allez, ce n'est pas un boulot très gratifiant ! Donc, pourquoi ? Il faut être très honnête avec ses motivations. Et dès que tu as les réponses, tu recadres le film pour aller dans le sens du projet.

C. : Ton travail de producteur consiste à aménager le réel pour rendre possible ce désir-là ?

Tomas Leyers, producteurT.L. : Oui, et pour y revenir aussi. Parce que les réalisateurs sont parfois tellement plongés dans leur film, dans leurs difficultés, qu'ils perdent de vue leurs buts et leurs motivations. Alors, à chaque fois, j'essaie d'aider à cristalliser leur désir avec les moyens limités à notre disposition. Même le chèque en blanc tant rêvé est une illusion ! Dans l'histoire du cinéma, à chaque fois qu'un réalisateur a eu un budget illimité, il a presque toujours raté son film ! Cette limitation force à cristalliser des intentions. Je me demande aussi pourquoi j'ai envie de me lancer. J'ai fais des erreurs quand mes attentes sur un film et celles du réalisateur n'étaient pas les mêmes, que nous n'étions pas sur la même longueur d'onde, qu'il y avait un décalage entre nous sur les raisons de faire ce film. De temps en temps, il faut s'arrêter pour se reposer ces questions. Les raisons de faire un film sont multiples : parce que je veux le voir, contribuer à l'art, apporter ma pierre à l'histoire du cinéma, être reconnu, parce que je veux gagner de l'argent, voyager, rencontrer des gens... etc. Rien de religieux ou de sacré dans tout ça ! Mais il faut juste bien se souvenir de pourquoi on fait tel ou tel film. Il n'y a pas de bonnes ou de mauvaises raisons, il n'y a pas de jugement de valeurs.

C. : Mais tu produis des films d'auteurs...

T.L. : Quand je suis arrivé dans ce métier, des producteurs faisaient ça très bien, des films qui avaient beaucoup de succès et rapportaient de l'argent. J'ai très vite senti que j'avais un certain je-ne-sais-quoi pour des projets plus pointus. Il y avait un vide à cet endroit, et j'ai décidé de l'occuper. Probablement parce que je partage ma vie avec une femme qui « est » cinéma, que ma main droite - Marc Goyens ici - est un grand cinéphile... Mais, franchement, si je suis honnête, je ne suis pas hyper cinéphile. Je vois beaucoup de choses. Je n'ai pas de barrières et je ne veux pas en avoir. Je crois qu'on ne peut pas juger des films. Qu'un festival présente des films, que quelqu'un dise qu'il présente ce qu'il trouve intéressant, je le comprends. Mais remettre des prix, je trouve ça vraiment débile. Chaque film devrait avoir été conçu sur les mêmes règles et avec les mêmes conditions pour être comparé à un autre. Comment peut-on prendre deux films et les comparer ? On ne fait jamais un film pour un festival ou pour gagner des prix. Si tu fais ça, ça ne marche pas (rires) ! Tu ne peux pas ! Il n'y a pas de formules ! La seule chose que tu puisses faire, c'est penser au mieux pour le film. Alors, je m'emballe et me lance sur des projets auxquels je crois. Et ça reste un pari. Il n'y a pas de bons scripts. On ne peut pas juger d’un film à partir d'un script. Il y a un enthousiasme, au début, cette volonté et à la fin, il y a un film. Et entre les deux, il y a ce chemin, le plus intéressant.

C. : Et comment te situes-tu pendant ce processus ? Tu prends part artistiquement à ce chemin créatif ?

T.L. : Je ne crois pas. Je donne juste des moyens, mais aucun réalisateur ne fait seul son film. Il travaille avec une équipe. C'est tout un processus. Je crois qu'il y a parfois un peu trop d'égo chez certaines artistes quand ils croient qu'ils sont ceux qui créent. En même temps, oui, c'est vrai, c'est leur vision personnelle qu'ils essaient de réaliser. Mais ça interfère toujours avec les choses qui arrivent de partout, des impressions, des gens, des situations qui se présentent... C'est peut-être con, mais je pense parfois à celui qui prépare les sandwichs le matin. S'il l'a fait avec beaucoup d'amour et de soin, le réalisateur arrive, croque dedans, et le voilà de bonne humeur pour commencer son travail. S'il l'a mal fait, avec de la nourriture défraîchie, du pain dur, etc, et bien le réalisateur va commencer sa journée de mauvaise humeur. Et le résultat suivra. Tout ça, c'est un vrai travail de mise en commun, tout est lié. Et en tant que producteur, je peux juste essayer de créer des situations un peu plus favorables que d'autres. Pierre Drouot disait un truc formidable : que le producteur n'a que deux choses à dire sur un film : quand commence un tournage et quand il se termine. Et c'est tout. J'ai toujours gardé ça en tête. Entre les deux, on n’a rien à dire (rires) !

C. : On revient souvent à Pierre Drouot quand on se penche sur le cinéma d'auteur flamand. Est-ce qu'il lui doit d'avoir ainsi émergé ?

T.L. : Les gens, les talents étaient là avant lui. Le cinéma d'auteur en Flandre existait, mais Pierre a permis qu'il se renforce et soit visible. En bon producteur, il a créé des circonstances porteuses, des situations qui stimulent le milieu, qui rendent les choses possibles. C'est un grand réservoir d'enthousiasme et d'énergie qui se répand dans tout le milieu du cinéma. Il croit beaucoup, lui aussi, dans cette dualité du cinéma. Il ne pense pas en terme de cinéma d'art et d'essai ou de film grand public. Non, il a toujours suivi ces deux pistes. D'ailleurs, si le cinéma d'auteur flamand semble mieux se porter que le cinéma francophone, ce n'est pas parce qu'il a plus de talents, ou une politique plus forte et déterminée en matière de cinéma, c'est surtout qu'il y a des films d'auteurs qui ont connu un véritable succès en salle, comme Tête de bœuf ou The Broken Circle Breakdown. C'est ce qui manque peut-être au cinéma francophone. Avec tous ces succès, il y a vraiment, dans le milieu, une certaine excitation, un sentiment d'émulation entre nous tous. C'est un bel esprit de compétition où on se réjouit les uns pour les autres et où tout le monde a envie de se lancer. Et il y a désormais un vrai désir de communiquer, de se parler.

Avec Koen [Mortier], on se voit toutes les deux semaines par exemple. Et sur ce bateau, Pierre pour le moment est le capitaine. Et chapeau, c'est un beau capitaine de bateau pirate (rires). Car nous sommes tous des pirates à qui la liberté de faire les fous a été donnée ! On est moins limité désormais par le VAF. Si aujourd'hui tu as une idée, tu peux essayer. Au Pays-Bas, il faut un script doctor pour présenter un projet, il faut ci ou ça ! Par exemple, le VAF a crée le wildeproject : chaque année, deux élèves qui sortent d'école de cinéma peuvent proposer des films sans scénario, juste un petit dossier, mais rien du tout, pas de producteurs. Et ils ont un budget de 60.000 euros pour faire leur film. Ils peuvent ne pas aller jusqu'au bout, mais ils peuvent aussi réaliser des choses étonnantes. Cette belle idée a fait émerger des gens comme Gilles Coulier, David Williamson, Hans Van Huffel, Gust Van den Berghe… Les conditions ont été créées pour être porteuses et faire découvrir des talents. Et c'est beaucoup oui, grâce à Pierre Drouot, le grand capitaine fou ! Mais c'est lui et toute son équipe. Derrière lui, il y a toute une équipe magnifique avec la même énergie qui fait un boulot formidable et envers qui nous sommes tous très reconnaissants.

C. : Du côté de la distribution, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour que le cinéma d'auteur flamand soit visible partout en Belgique.

Tomas Leyers, producteur

T.L. : Je me souviens que lorsque Lost Persons Area est sorti en salle, un film islandais était à l'affiche partout en Belgique. Lost Persons Area est à peine sorti en Wallonie. Le jour où dieu est parti en voyage pas du tout en Flandre. Je crois que c'est une situation courante, le voisin est partout et toujours moins intéressant (rires). Entre les Pays-Bas et la Flandre, là où la langue n’est même pas en jeu, très peu de films sortent. S'il n'a rien d'exotique, un film ne peut pas être du cinéma d'art et d'essai. C'est une perception erronée, mais elle est là. Et cela même à Bruxelles. I’m the same, I’m an other est sorti aux Galeries pendant sept semaines donc il a existé ici. Mais ça commence toujours avec la presse.

C. : La presse pour toi a un vrai rôle à jouer à cet endroit-là ?

T.L. : Mais bien sûr ! Le public flamand ne connaît pas les frères Malandrin ou Frédéric Fonteyne ! Et vice et versa ! Les Francophones connaissent peut être un peu Fien Troch mais sans doute pas Enthoven ou Strubbe. Peut-être Felix Von Groeningen maintenant, quand c'est son quatrième film.

Soyons clairs, il n'y a pas de cinéma belge, mais un cinéma francophone et un cinéma flamand. Même sortir un film en Belgique, c'est deux réseaux, deux boulots différents. Je suis distributeur, quand je sors un film, je contacte les salles et la presse francophone. On envoie les mêmes mailings. Mais le cercle est vicieux : les salles disent que tant que la presse n'en parle pas, elles ne peuvent pas sortir les films et la presse répond qu'elle ne peut pas en parler tant que le film ne sort pas ! Le serpent se mord la queue. Même chose en Flandre. Si nos films ne sont pas sélectionnés dans un festival, ils n'existent pas. Absolument pas ! Ils n'ont aucune visibilité, aucune existence ! Dans la presse cinéma, cette grande croyance persiste, qu'on ne peut parler des films qu'au moment de leur sortie. Mais c'est une manière de penser, de nouveau, très historique qui ne veut plus rien dire ! La sortie du film n'a plus du tout le même impact. Ça a complètement changé, c'est désormais un faux événement.

Dans les années 70, pour voir un film, il fallait aller en salle, où il était joué pendant plusieurs mois et il n'y avait pas d'alternative. Mais aujourd'hui, en quelques semaines, un film est disponible sur Internet, sur Universciné ou sur BelgacomTV, en DVD ou en streaming. Aujourd'hui, la plupart des films se voient ailleurs qu'au cinéma. Nous cherchons à chaque fois des solutions pour faire parler de nos films, on construit des événements.

Mais la question est toujours la même : pourquoi ne pas écrire sur un film même s'il ne sort pas ? Tu vois, ça aussi, c'est une manière de penser très tenace sans rapport avec la réalité.

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