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Mon colonel de Laurent Herbiet

Publié le 07/05/2007 par Katia Bayer / Catégorie: Critique

Adaptation du roman éponyme de Francis Zamponi, Mon colonel relate la guerre d’Algérie à travers le regard et les mots de Guy Rossi (Robinson Stévenin), un jeune licencié en droit volontaire pour servir sous le drapeau français en 1956. Aide de camp du Colonel Duplan (Olivier Gourmet) à Saint-Arnaud (Est Algérien), il doit étudier la latitude qu’offrent les pouvoirs spéciaux votés à l’unanimité par l’Assemblée Nationale. Rossi, charmant dans son uniforme, devient très vite mal à l’aise dans celui-ci : les exactions de l’armée apparaissent, et la définition de la justice devient élastique…

Mon colonel avec Olivier Gourmet et Robinson Stévenin

Origines

Laurent Herbiet voulait un sujet inédit et ambitieux pour son premier film. Il le trouve en découvrant le livre de Francis Zamponi : ce n’est pas un récit supplémentaire sur l’Algérie française, mais bien un éclairage sur différents drames individuels causés par des militaires en fonction (au nom du maintien de l’ordre et avec les yeux mi-clos du pouvoir politique français). Il développe un scénario qu’il propose à Michèle Ray Gavras (KG Productions), très attachée, comme son époux Costa, à l’Algérie. Très vite, c’est oui. L’histoire de Mon colonel deviendra vite « familiale » : Costa-Gavras et Jean-Claude Grumberg (son complice d’Amen) en signent l’adaptation; Salem Brahimi (ancien de KG qui a monté sa propre boîte, Wamip Films), Luc et Jean-Pierre Dardenne (les copains des Films du Fleuve) et Arlette Zylberberg (RTBF) deviennent coproducteurs du projet. Le temps passe : la productrice estime que beaucoup de scènes doivent être tournées en Algérie, mais le pays n’est pas calme. Mon colonel attend que la situation s’apaise.

Construction

Le film s’intéresse à deux événements : l’enquête liée à l’assassinat mystérieux du controversé colonel Duplan (France, 1993) et le récit militaire et personnel de Rossi, son jeune aide de camp (Algérie, 1956). Pour la distinction et les repères, la première époque est filmée en couleur et la seconde en noir et blanc. À noter, qu’avec le traitement bicolore, l’aspect réaliste de 56 n’en est que plus affirmé et que les scènes violentes (tortures, abus, attentats) secouent fortement le spectateur. Parce qu’elles sont très crues ou parce qu’elles passent par le point de vue d’une jeune recrue de l’armée dépassée par les événements ?

Casting

À travers les deux époques narrées, des personnages s’approchent de près ou de loin du conflit. Ils ont leurs convictions philosophiques et politiques, leurs histoires et leurs destinées. Il y a Guy Rossi, le jeune juriste, qui tente en vain de rappeler à son supérieur qu’à Saint-Arnaud, l’armée pacifie et que l’État français n’a pas déclaré la guerre (nuance). Pour camper ce témoin qui essaye de se positionner fragilement face à son colonel et à sa conscience : Robinson Stévenin, subtil et timide dans le rôle du justicier aux convictions changeantes.

 

Mon colonel avec Olivier Gourmet et Robinson Stévenin

 

Forcément, il fallait un colonel charismatique et un acteur pas timoré : ce sera Olivier Gourmet. Effectivement, celui-ci se révèle despotique et fascinant: il peut aller dans le sens de Rossi comme il peut le manipuler. Amateur du verbe et de l’action, il assure que tout se passera dans les règles. Comment ça : tout ? Et quelles sont les règles ? La première, a été de perdre des kilos (27 !) pour camper le personnage de Duplan : « Un acteur ne reçoit qu’une ou deux fois dans sa vie un scénario, une histoire et  un rôle comme celui du Colonel » (extrait du dossier de presse).

"Au-delà des événements historiques de 1956, de l’invasion de l’Algérie par l’armée française et de la guerre pour l’indépendance du FLN, on vit dans une époque où Georges Bush veut légiférer sur la torture, ce qui se passe à Guantanamo ou Abou Ghraib. C’est terrible qu’aujourd’hui on puisse encore dire qu’il faut torturer des gens. La France est sur la même voie puisqu’un décret est en préparation. Cela veut dire que 50 ans après ces événements et les premiers actes terroristes, on n’a pas vraiment évolué. Il faut parler de certaines choses de manière objective, non pas provocante ni rédemptrice, mais constater la monstruosité de certains hommes.

Ce colonel a, au départ, une vision du colonialisme qui n’est pas dictatoriale. Il reconnaît, dans le soulèvement algérien, une forme de légitimité parce que le colonialisme n’a été qu’une entreprise pour enrichir les colons alors que pour lui cela devait aider un peuple à s’élever au-dessus de lui-même. Je ne défends pas cette opinion-là. Et puis tout à coup, pour défendre les intérêts républicains de l’époque, parce que le gouvernement français a permis que tous les moyens pour ramener l’ordre en Algérie soient utilisés, cet homme va pratiquer la torture. Comment va-t-il glisser là-dedans ? Comment expliquer aujourd’hui l’horreur de manière honnête et sensible ?"

 

 

Dans la catégorie « seconds rôles », on en retiendra plusieurs. Il y a le Lieutenant Galois (Cécile de France) chargé par l’État major de s’intéresser à la vie de Rossi. Sa lecture n’est jamais blasée : elle porte un regard contemporain et vif sur les deux histoires, la publique et la privée. À côtés de ses talons, il y a l’armée, mais aussi un père troublé, Antoine Rossi (Charles Aznavour). Et puis, il y a Rene Ascencio (Eric Caravaca), intellectuel civil et sympa, le bien fidèle Capitaine Roger (Georges Siatidis) et le chef de police Reidacher qui aimerait rétablir l’ordre, même en sortant des codes (Bruno Solo, pour la petite histoire, prêt à tout pour jouer dans le film, même à seulement ouvrir la porte au colonel !).

Mon colonel est un film fort, électrochoc par sa violence, son cynisme et son traitement. Peu de films évoquent les événements d’Algérie de cette façon, probablement parce qu’il reste, d’un côté, des tabous et des blessures vives et, de l’autre, une méconnaissance de cette guerre-là. 

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