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Nina Marissiaux : Suspension d’audience

Publié le 30/04/2019 par Bertrand Gevart / Catégorie: Entrevue

Suspension d’audience, court-métrage documentaire réalisé dans le cadre d’un film de fin d’études de l’HELB par la jeune réalisatrice Nina Marissiaux, nous plonge dans les coulisses des audiences juridiques de Bruxelles, sous le regard de civils passant de chambre en chambre. La caméra s’attarde sur le public d’un procès, et la victime, père de famille ayant perdu ses enfants dans un triple homicide volontaire. La caméra marche à pas suspendus, maintient les mots en travers de la gorge, et laisse à voir un entre-deux, la tension palpable des suspensions d’audience.

Nina Marissiaux : Suspension d’audience

Cinergie : Commet est né ce projet ?
Nina Marissiaux : J’ai toujours eu une affinité avec le milieu juridique et j’ai toujours voulu assister et capter l’atmosphère au cœur d’un procès en assises. Dès lors que ma structure commençait à prendre forme et que j’ai su ce que je désirais raconter, j’ai assisté à énormément de procès.
Mes intentions ont changé au fur et à mesure des repérages. Au départ, je voulais axer le point de vue sur la défense, mais au fur et à mesure des procès, je retrouvais un tas de gens qui venaient voir les procès comme moi.
Durant les premiers mois de repérages, la cour d’assises était fermée, donc j’allais en correctionnelle assister aux affaires de moindres importances en termes juridiques. J’ai pu enfin assister à un procès en assises. Le public est beaucoup plus large et les affaires beaucoup plus graves et difficiles : le procès dure plus longtemps. C’est à ce moment-là que j’ai su comment mon film allait se dessiner. Faire un portrait pudique, avec une caméra qui tend à s’effacer.

C. : Quelle a été l’importance de cette affaire dans l’écriture de votre récit documentaire ?
N. M. : Concernant l’affaire, elle était importante au moment du tournage et surtout lors du montage. Je n’avais pas eu les informations nécessaire en amont pour choisir l’affaire et pour me rendre compte à quel point elle pouvait influencer mon film. J’ai découvert son ampleur le premier jour du tournage. L’on m’a averti que ça allait être un procès pour triple meurtre et que l’accusé n’était pas là. Il n’y avait que le mari et père des victimes qui était présent, dévasté. Nous ne savions pas que c’était une affaire aussi forte et douloureuse. Ça nous a beaucoup affecté de passer cinq jours cloîtrés dans cette salle. C’était très éprouvant. On s’est beaucoup remis en question, surtout lorsque nous étions tournés vers le père, comment le filmer ? Comment filmer quelqu’un qui vient de perdre ce qui lui est le plus cher au monde ? 

C. : Comment avez-vous réussi à filmer avec des cadres aussi travaillés dans une salle d’assises avec très peu de liberté de mouvement ?
N.M. : Les directives originales étaient de s’éloigner le plus possible de ce qui se fait en télévision. J’avais fait en amont un découpage précis de placement de caméra. Mais le premier jour de tournage, l’on m’a annoncé que la caméra devrait rester dans le fond de la salle. Ce n’était pas du tout prévu et encore moins envisageable pour moi car je voulais des gros plans sur le témoin, sur la partie civile aussi. Je n’avais pas accès directement à la salle et en plus de cela je devais rester confinée dans le fond.
Le premier jour, nous avons respecté les règles sommées par les différents responsables à l’intérieur de la salle de la cour d’assises. Mais très vite, nous avons pu bénéficier de souplesse. Et les déplacements de la caméra ont été faisables. Au fur et à mesure, nous nous sommes rapprochés. Mais ce n’est qu’à partir du quatrième jour de tournage sur les huit jours de procès que j’ai pu appliquer mon idée de départ et mon découpage.

C. : Est-ce qu’au début, vu que vous avez été sommés de rester dans le fond, le documentaire prenait une tournure à laquelle vous ne vous attendiez pas ?
N.M. : On s’est demandé avec l’équipe si on forçait ou si on faisait des compromis. De compromis en compromis, on aurait pas eu le résultat escompté, et nous avons tout fait pour avoir ce que nous voulions au départ. Donc, il n’a pas pris une autre tournure même si effectivement cela aurait pu. J’ai travaillé sur l’écriture, un séquencier type, j’avais certaines idées précises, mais dans ce genre de tournage, c’était impossible de scénariser. Tout s’est fait au tournage et au montage avec une matière assez conséquente.

C. : Comment avez-vous collaboré avec l’équipe ?
N.M. : Nous étions deux cadreurs, un ingénieur du son et une assistante. Nous n’étions pas beaucoup, mais je connaissais très bien l’équipe. Le cadreur avait totalement compris ce que je voulais faire, il savait quand couper et quand tourner, malgré le flux de paroles, énorme. Même si au début, il a fallu s’acclimater au langage juridique.

C. : Avez-vous eu des influences pour ce documentaire ? Car il est assez particulier au niveau de sa forme.
N.M. : Oui, la plus évidente serait Raymond Depardon. Ce n’est pas tant le fait de filmer un procès, mais plutôt la manière d’amener les choses, de faire surgir et advenir des choses du réel. J’adore sa manière de mettre de la distance, de la pudeur, qui font la force de sa caméra. Il m’a inspiré dans les références esthétiques.

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