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Numérique (suite sans fin)

Publié le 10/09/2009 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Dossier

Prise de vue - animation - projection - relief/ 3D

Nous avons traité, il y a quatre ans, des développements techniques de la chaîne du cinéma. Une époque où le cinéma à petit budget se servait des découvertes de la vidéo et de la télé utilisant le système numérique pour dépenser moins d'argent, opérer en équipe réduite et parfois en utilisant des projections avec des Barco 2K, (opération moins coûteuse et moins lourde que celle des copies en pellicule).
Entre-temps, les techniciens du cinéma ont imposé une caméra numérique munie d'un capteur afin de pouvoir utiliser les otiques que, depuis plus d'un siècle, ils utilisent avec succès. En 2009, qu'en est-il docteur ?
Nous avons décidé de le demander à Kommer Kleijn. Professeur à l'INSAS, au RITCS, à La Cambre, membre de la SMPTE (Society of Motion Picture and Television Engineers), il a créé et préside, depuis 2005, un groupe de travail sur la problématique des cadences d'images de projection du cinéma numérique. Il vient d'imposer, pour le monde entier, des cadences de 25 et 60 images par seconde. Incroyable, mais vrai, et d'une importance qu'il nous explique dans l'entretien que ce membre de l'Union des professionnels du cinéma en relief/3D nous a accordé chez lui. Un capharnaüm d'éléments style plateau pellicule, caméra Super 8 avec plusieurs objectifs à côté d'une Super 16 bricolée, lunettes 3D munies de piles électriques vous permettant de voir dans sa salle munie d'un projecteur Barco 2K, films 3D que vous ne verrez nulle part ailleurs... Kommer est un phénomène sorti de la Haute école technique de Delft, en Hollande. Poursuivant son cursus cinéma, il devient chef opérateur grâce à Ghislain Cloquet et Charlie Van Damme qui lui apprennent son métier à l'INSAS.
Ce jour de grande chaleur, il offre à l'équipe de Cinergie.be de la Jupiler 2007 (la meilleure année nous dit-il) et nous présente un incroyable chat de deux ans, aux poils aussi doux qu'un persan, mais avec une tête moins agressive, d'une race norvégienne reconnue et, vous vous en doutez, extrêmement rare à Bruxelles. Sauf qu'il a débarqué chez Kommer, abandonné par un maître volage, pour dormir lors des projections en 3D, sur les genoux de son nouveau maître. La bière est bue. Action !

Numérique (suite sans fin)

Entretien
Cinergie : Démarrons sur une anecdote intéressante et amusante. Sur Benvenuta, en tant que deuxième assistant du Chef Op Charlie Van Damme, tu utilisais une tête à manivelle sous la caméra, pour cadrer. On se souvient du générique du Mépris de Godard où Raoul Coutard l'utilise, mais nous avons vu, sur certains tournages, des chefs op' transpirer avec ce système. Tu n'as pas eu de souci ?
Kommer Kleijn : La technique ne me passionne clairement que lorsqu'elle est au service de l'histoire. Ce qui m'intéresse, c'est l'interaction entre la technique et l'homme. En ce qui concerne la tête à manivelle, on n'a pas le temps de s'y intéresser à l'école, on est donc intrigué lorsqu'on voit ce système utilisé grâce aux making of des grands films. Sur Benvenuta, on disposait d'une très grande caméra. Walter Vanden Ende, qui s'occupait du cadre, s'était entraîné à manipuler la manivelle chez le loueur de matériel. Moi, pendant trois semaines, j'ai pu peaufiner ma technique à la manivelle en récupérant une caméra Panavision, en stand-by. Cela m'a permis de m'en servir immédiatement après, sur un autre film. L'une des difficultés est que la main droite ne fait pas ce que fait la main gauche, mais elle présente toute une série d'avantages. La tête bloquée est vissée à fond. Il peut y avoir un coup de vent, la caméra ne bougera pas, tant que tu ne bouges pas les manivelles. Et lorsque tu les bouges, la fluidité des plans est parfaite et peu visible. C'est un système extrêmement confortable, qui te permet de mieux te concentrer sur le sujet. On n’est pas stressé, on est cool. 

Prise de vue
C. : Actuellement, avec une Arriflex numérique munie d'un capteur, on peut utiliser tous les objectifs qu'utilise le cinéma analogique. C'est ce qu'utilise Francis Ford Coppola dans ses deux derniers films et Michael Mann. C'est une énorme évolution ?

K.K : Il faut distinguer les caméras de télévision numérique de celles du cinéma numérique. Avant, la différence entre le médium télévisé et le cinéma était que l'un fonctionnait avec un support photochimique et l'autre électronique. Maintenant, on fait, pour le cinéma, des caméras avec un support électronique. Ceci étant, si on fait une liste des critères qui séparent cinéma et télévision, on s'aperçoit que la priorité pour la télé est le direct, alors qu'au cinéma, cela ne signifie rien. On enregistre et puis on rejoue une scène.Si on part du digital movie ou cinéma numérique qui existe depuis 25 ans, en post-production, on s'aperçoit que nous avons des fichiers photoshop, un fichier par image, qui peut avoir toute résolution, en RGB, et que cela peut être non compressé.

Donc, si on compare les caractéristiques de ce format-là, on voit que le cinéma numérique correspond à toutes les caractéristiques du cinéma et pas de la télévision sauf que les deux systèmes utilisent des techniques électroniques pour former l'image et non la photochimie des débuts.
La caméra Arriflex D21/ HD est une caméra numérique. La seule différence sur une Panavision ou une Aaton, c'est qu'il n'y a pas de sortie directe. En outre, ces caméras utilisent un senseur, donc une pièce sensible qui a la même dimension que la pellicule 35 mm. Ce n'est pas par nostalgie, cela a une utilité très précise. Nous avons un immense catalogue d'objectifs qui existent et qui se sont développés sur cent ans. Pour un film ou pour une pub, dans notre travail de chef op', on choisit une série d'optiques. Sans compter que travailler avec la gamme des Leitz ou avec des Cooke n'est pas du tout pareil. Ces différentes optiques nous permettent également d'opérer un choix dans la profondeur de champ, comme on le faisait en utilisant de la pellicule 35mm. Cela, les caméras de télévision n'en ont pas, car les critères pour un objectif sont différents que pour le cinéma.


Animation


C : Explique nous le motion control que tu as créé en petit format à l'Ecole d'animation de La Cambre.

K. K. : Ce qui s'est passé à La Cambre, c'est qu'il y avait peu d'animation en volume et qu'il existait une vraie demande que ce soit en plasticine ou en marionnettes. Une des difficultés de cette technique consiste à gérer les mouvements de caméra. Il y a une technique qui existe qui s'appelle le motion control, un support de caméra disposant de toutes les articulations animées par des moteurs pilotés par des ordinateurs. Le problème, c'est que ce sont des appareils très très grands et très chers. Une école ne peut se permettre d'investir dans une machine de 700 kg qui ne peut même pas rentrer dans ses studios. Vincent, le chef de l'atelier, m'a chargé de trouver une solution partielle. J'ai dessiné une petite machine qui n'est apte à travailler qu'en image par image.

C'est donc une machine légère,105 kg, qui a un mouvement de grue et un mouvement de rail dans l'air pour qu'il n'y ait pas de rail par terre, ce qui permet à une personne seule de l'installer sans avoir besoin d'un machiniste. Les moteurs sont lents, ce qui a l'avantage de coûter moins cher, mais aussi de ne pas blesser quelqu'un. On peut laisser le matériel aux étudiants sans inquiétude.
J'ai réussi à convaincre le numéro 1 au monde de motion control de la construire pour nous. Cette copie a la même précision que la grande. Elle permet de reproduire dans les détails les images en relief, tout en combinant les mouvements des figurines et des images de synthèse. On a appelé la machine Animoko.
Cela marche bien, les étudiants comprennent très vite, les programmes créent des mouvements originaux. Le fabricant anglais a trouvé l'idée tellement chouette qu'il l'a mise dans son catalogue.

Projection


C. : Qu'en est-il des cadences de projection de 25 et 60 images par seconde qui s'imposent dans le monde entier et dont tu es l'un des artisans ?

K.K. : Pour la conversion, en salles, des films en numérique, il a fallu développer un nouveau standard. En cinéma, la projection en 35mm est devenu un standard mondial, ce qui n'est pas le cas de la télévision. On peut aller avec un rouleau de pellicule 35mm dans n'importe quelle salle de cinéma du monde, de l'Inde à la Russie, et cela fonctionne ! C'est quelque chose que les distributeurs et exploitants de salles ne voulaient pas perdre. Cela s'est développé au sein de la S.M.P.T.E. Dans le projet, je ne comprenais pas le choix des cadences d'images. J'ai commencé par me dire qu'en cherchant, j'arriverais à comprendre, mais j'ai fini par saisir qu'il y avait une petite faille. Imago, (l'association des chefs opérateurs européens) m'a délégué, au sein de la S.M.P.T.E. pour essayer d'arranger ce problème.
En fait, il y a deux problèmes qui concernent les cadences d'images. Dans le cinéma numérique, tout le monde est d'accord sur un point, il faut obtenir, au moins, la même qualité, mais aussi la même fonctionnalité qu'avec le 35mm. Tout ce qu'on peut faire avec la pellicule, le numérique doit nous permettre de le faire. Par exemple, contrairement à la télévision qui ne cesse d'utiliser la compression, dans le cinéma numérique, on peut changer chaque image par une image différente pendant une seconde (il y en a 24) si on le souhaite. On a donc décidé de garder la même fonctionnalité qu'avec le 35mm.
Les deux points sur lesquels j'ai travaillé concernent pour le premier, une résolution temporelle plus élevée (60 images secondes), au choix. Simplement, on sait, que 24 images par seconde, c'est très loin en dessous de la capacité de la vision de l'être humain (24 images secondes était un compromis intéressant pour ne pas casser la pellicule à l'époque des débuts du cinéma sonore). Le problème est que la pellicule coûte cher et que le transport de 6 ou 7 bobines pour un long métrage n'est pas évident, il faut être costaud. Par contre, c'est différent en électronique. Imago soutient le projet du 60 images secondes. Les Américains y avaient pensé en soutenant le 48 images seconde.Un très beau format, mais qui a le désavantage d'exclure les DVD et les Blu-ray du système.Pour une résolution temporelle plus élevée, destinée surtout aux films d'action, le 60 est plus apte que le 48 à une bonne diffusion en DVD et Blu-ray, ce qui représente désormais une économie importante dans le monde du cinéma.
Le deuxième point concerne la projection en 24 ou 25 images secondes parce que, hormis la Cinematek qui dispose d'un projecteur analogique pouvant commuter de l'un à l'autre, les salles de cinéma ont soit le 24, soit le 25. Un film en 24 images peut très bien être projeté en 25 images seconde (ce qui constitue la majorité des salles de Bruxelles) et cela à cause de l'investissement financier d'un projecteur aux deux cadences d'images. Le système numérique est plus facile que le projecteur mécanique, il s'agit d'appareils programmés. On peut donc projeter les films 24 ou 25, à la bonne vitesse, sans le moindre problème, celle-ci étant incluse dans le fichier. 

Relief/3D


C. : Qu'en est-il, à l'heure actuelle, du relief ou de la 3D que tu utilises depuis des années ?
K.K. : J'en fais depuis 10 ans. Avant que le cinéma s'y intéresse à nouveau, le relief a déjà connu un boum dans les musées et dans les parcs d'attractions, des sociétés haut de gamme, mais surtout dans les expositions universelles. Les salles IMAX, avec leurs très grands écrans, ont commencé à recueillir le relief, il y a quinze ans. Depuis, la majorité des salles est convertie en relief. En IMAX, cela fonctionne super bien, parce que plus grand est l'écran, plus agréable est le relief. Aujourd'hui, dans les cinémas, le phénomène est tout à fait nouveau. Les salles ont installé le système. La mayonnaise a pris avec les oeufs. Du coup, il y a de plus en plus de studios qui produisent des films en relief et de salles pour pouvoir les diffuser. Pour l'instant, le boum est tellement grand que comparé à la première tentative des années 50, on a quatre fois plus de salles qui existaient au moment du top des années cinquante.

On peut donc espérer ne pas avoir le même flop que dans les années cinquante, lorsque le relief s'est effondré. Ce n'est pas facile du tout de faire des films en relief qui offrent un vrai plus au niveau du récit. De plus, il faut rendre possible une bonne vision pour les gens qui n'ont aucune expérience de ce type de vision. Un des plus grand défi vient de l'inexpérience des spectateurs. On doit tenir compte qu'au moins la moitié des gens dans une salle n'a jamais vu un film stéréoscopique. Pendant le premier quart d'heure, ils vont avoir un certain degré d'inconfort. C'est impossible autrement. Si j'invite un habitant de la forêt amazonienne qui n'est jamais allé au cinéma et que je lui montre, dans ma petite salle, une vidéo, il va stresser. La vision stéréoscopique est quelque chose à laquelle le cerveau doit s'habituer. Une fois qu'il la connaît, on peut faire des choses fantastiques. Il y a aussi un problème : la connaissance sur la stéréographie est très faible. Hormis ceux qui ont travaillé pour les parcs d'attractions, il y a très peu de gens expérimentés pour le tournage stéréoscopique. On va essayer de lancer des cours et des formations.

Web-vidéo en deux parties sur notre site, webzine 141, de septembre 2009 et sur Dailymotion.

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