Belge d’origine capverdienne, Carlos Yuri Ceuninck est parti au Cap-Vert où il a rencontré Quirino, un vieil homme septuagénaire habitant d’un village abandonné et qui lui inspira aussitôt un film. Ce film, c’est Omi Nobu, un joyau brillant au cœur de paysages désolés.
Omi Nobu de Carlos Yuri Ceuninck

Dans un village abandonné depuis trente ans, résidait Quirino Rodrigues, un vieil homme accomplissant son quotidien dans une solitude uniquement interrompue par les voix de son poste de radio. Le cernaient des paysages vertigineux rythmés par des formations rocheuses hérissées jusqu’à le réduire à la plus simple modestie d’un homme témoin des affres du temps. L’accompagnaient l’océan agité dont les horizons sans fin rappellent incessamment la fragilité de l’être humain qui, dans l’indifférence, peut s’y perdre sans espoir de retour. L’accompagnaient enfin les ombres du passé, de toutes celles et ceux qui autrefois ont donné vie au village et dont il ne reste que les maisons en ruines, tels des escargots de mer ayant abandonné leur coquille sur le rivage avant de s’évanouir.
Omi Nobu est donc non seulement l’histoire de Quirino Rodrigues, mais le récit d’un lieu aride, voire inhospitalier, bien que grandiose et donnant lieu à des paysages touchant au sublime. Et Carlos Yuri Ceuninck parvient superbement à faire s’épanouir ces différentes strates en les faisant se chevaucher. Les montagnes, le vieil homme et la mer se mêlent pour faire naître des récits à peine esquissés et pourtant d’une grande richesse esthétique autant qu’humaine. Il fait ainsi grandir des significations émergentes au fil d’une histoire qui ne se donne pas tout de go, mais qu’il faut laisser se tisser dans le temps et à travers la trame des images. Il y naît un véritable sens de la poésie où elles ne se contentent nullement de livrer platement leur signification puis d’éclater tel un ballon de baudruche, mais où les différents plans font pressentir un sens qui ne cesse de prendre du relief sans faire autre chose qu’esquisser les contours du tableau. L’essentiel réside entre les lignes, dans l’interprétation, sans toutefois tomber dans l’écueil d’une coquille vide où la suggestion camoufle difficilement la vacuité, puisque Omi Nobu est un documentaire porteur d’une direction précise annoncée dès les premières images.
Or, cette capacité à tout à la fois mêler le besoin de transmettre un message profond et la volonté de laisser libre cours à l’imagination est pour moi ce qui en fait un grand documentaire. Comme de nombreux autres œuvres avant lui, il opère le choix de la retenue, d’un certain naturalisme, mais d’un autre côté il ne s’arrête pas à cette dimension. Dans la monotonie du quotidien, Omi Nobu laisse régulièrement la place à des scènes évoquant le passé, celui de Quirino Rodrigues autant que celui des autres habitants. Une certaine mélancolie alors s’en dégage, voire une atmosphère rappelant peut-être le réalisme magique, puisque sans transition les fantômes du passé surgissent et repartent aussi rapidement qu’ils étaient venus. De ce point de vue, Omi Nobu infuse une part fictionnelle tout à fait à propos qui résonne avec l’histoire du vieil homme pour lui donner une densité nouvelle où sa jeunesse peut à nouveau resplendir dans des scènes parfois fantasmagoriques. Le documentaire de Carlos Yuri Ceuninck n’est donc pas uniquement le récit contemplatif d’une solitude égarée au milieu d’un paysage écrasant, mais aussi celle d’une mémoire qui ouvre à la possibilité d’un recommencement en célébrant l’irréductibilité des histoires collectives.