Connectés avec Le VAF
Créé en 2002, le Fonds Audiovisuel Flamand (VAF) soutient la production audiovisuelle en Flandre ainsi que la coproduction internationale, tant dans les domaines du court métrage que du long métrage de fiction, du documentaire, de l'animation et de l'art vidéo. Il y a sept ans, Lukas Vander Talen, le patron du VAF, nous avait accordé un premier entretien. Aujourd'hui, Pierre Drouot nous explique le développement du VAF, dont les premiers films, depuis deux ans, sont sélectionnés dans les différentes compétitions du Festival de Cannes.
Pierre Drouot est, depuis longtemps, un homme orchestre du cinéma belge. Etudiant au RITS, il réalise avec Paul Collet quelques films dans les années 60-70 (l'Etreinte - une histoire d'O très soft, Louisa, een woord van liefde, un « Jules et Jim » flamand, et Dood van een Non, adaptation d’un roman de Maria Rosseels, à l’époque critique cinéma au journal De Standaard). Il s'intéresse aussi à la production, tout en étant professeur à l'INSAS et produit, entre autres, Les lèvres rouges (1971) d'Harry Kümel, Rue Haute (1976) d'André Arnotte, Jambon d'Ardenne (1977) de Benoît Lamy, To Woody Allen, from Europe with Love (1982) d’André Delvaux, Toto le héros (1991) de Jaco Van Dormael, Abracadabra (1992) de Harry Cleven et Taxandria (1994) de Raoul Servais.
Il disparaît quelques années en Provence, pour se ressourcer parmi les herbes (la marjolaine, le basilic, l'estragon, le serpolet) ou l'huile de Lavande, sachant que Francis Ford Coppola a reconstruit sa réputation sur la planète-cinéma grâce aux vins de Californie. Il est pourtant contacté par le VAF pour s'occuper du Vlaams Audiovisueel Fonds. Il revient donc à Bruxelles avec l'idée de retourner à Cannes, chaque mois de mai, avec un ou plusieurs films afin de retrouver sa chère lavande et son serpolet.
Pierre Drouot, directeur du VAF
P. Drouot : J’ai été producteur, réalisateur, scénariste, prof dans une autre vie … En fait, c’est en sortant du RITS que j’ai commencé à produire mes propres films, puis ceux des autres. Ensuite, j’ai donné cours à l’INSAS.
À 49 ans, j’ai pris un congé sabbatique pendant 10 ans à l’étranger.
Un jour, je reçois un coup de fil pour me demander d’être coach d’un séminaire de fiction organisé par le VAF (qui, entre-temps, s’était créé comme une asbl indépendante de l’Administration).
J’ai fait ça pendant un an, et quand le directeur de l’époque a quitté le VAF en désaccord avec son ministre de tutelle, je l’ai remplacé comme « manager de crise ». Mon contrat a été renouvelé deux fois. Il vient d’y avoir un appel à candidature pour la nomination d’un nouveau directeur intendant, j’ai répondu, et je viens d’être renommé pour 3 ans.
Cinergie : Depuis quand le VAF existe-t-il ?
P.D : Le VAF existe depuis fin 2002. Avant cette date, c’était une structure similaire à ce qui existe du côté francophone, c’est-à-dire une Administration avec un secteur cinéma et une seule commission de sélection.
Début 2000, toute la profession s’est regroupée en disant qu’il fallait que ça change, qu’il fallait de nouvelles structures. Ce mouvement a été à l’origine de la création d’une asbl séparée qui bénéficierait d’une dotation et qui s’occuperait de l’audiovisuel.
Depuis, nous fonctionnons avec plusieurs commissions : deux de fictions, une de courts métrages, une de documentaires, et une autre de films d'animation… Une dernière commission pour les fictions télévisuelles a été mise en place récemment. On travaille par genres, contrairement à ce qui se passe du côté francophone qui eux, travaillent par « longueurs ». Pour nous, un documentaire est un documentaire, quel que soit le format, court ou long.
Nous avons aussi une section « Filmlab » pour des projets plus expérimentaux, et pour les auteurs qui se considèrent hors normes. C’est une section importante, car ces auteurs qui sont passés par le « Filmlab » (assez peu doté, 800.000 euros par an) peuvent ensuite, avec un scénario déjà développé, passer à la commission classique qui sans doute aurait refusé leur projet au départ. C’est donc un stimulant pour les commissions classiques, parce qu’ils voient arriver des projets hors normes, mais qui ont déjà un développement. Comme le disait Prigogine, toute organisation a besoin d’une zone de chaos parce que sans ça, elle meurt. C’est dans la zone chaotique que se crée l’évolution. Ça permet de ne pas s’endormir, de ne pas s'enfermer.
C. : Au début 2000, qu’est-ce qui devait changer, bouger ?
P. D. : Je crois que les gens avaient besoin d’un autre contexte que le contexte administratif, trop proche du politique, trop sclérosé.
Aujourd’hui, nous avons une très grande liberté d’action et de décision, à l’intérieur d’un règlement. Le VAF a un contrat de collaboration (samenwerkingscontract) avec son ministre de tutelle. Mais quand on me demande quelque chose, je dis : « on le fait » et je m’arrange avec le Conseil d'Administration qui ne m’en a jamais empêché. La décision est rapide, sans intervention extérieure.
Je crois que les Commissions sont composées de manière différente de chez vous. C’est nous qui les formons, après avis du secteur, mais sans tenir compte d’un équilibrage philosophique, politique ou autre (les membres de la Commission de sélection de la Communauté française sont nommés par le Ministre de l'Audiovisuel NDLR). Il n’y a jamais d’interventions de quiconque. On est totalement libre, et on ne s’occupe que des problèmes audiovisuels.
On a intérêt à être performant, évidemment, et le but est de faire de bons films.
Il y a un accord tacite avec le secteur audiovisuel qui est de ne pas se plaindre, de ne pas aller pleurer auprès du politique. On ne se plaint pas, on propose. Par contre, on rappelle que le VAF est autonome, et donc personne ne passe au-dessus de sa tête. Chez nous, ce n’est pas le Ministre qui entérine, comme c’est le cas du côté francophone, c’est le Conseil d’Administration. Le pouvoir politique ne nous a jamais demandé de revenir sur une de nos décisions.
C. : En 2000, quand le VAF s'est réorganisé, l'a-t-il fait sur le modèle du Centre du cinéma de la Communauté française ?
P. D. : Le Secrétaire Général de la Communauté française, Henry Ingberg, que je connaissait bien et que je rencontrais régulièrement, avait fait du cinéma son cheval de bataille. C’était exceptionnel. Une administration qui n'est pas portée par la force stimulatrice de quelqu'un de cette carrure ne peut pas gérer convenablement une matière aussi mobile qu'est l'audiovisuel.
Et il n’y avait pas d’Henry Ingberg en Flandre. Ceux qui s’occupaient du cinéma n’avaient pas d’actions stimulantes pour que les choses évoluent. Et j’ai découvert avec beaucoup d’intérêt que la création du VAF a été portée par les ministres successifs de la Culture ou de l’Economie, quelles que soient leurs appartenances politiques.
Fin 2002, la structure du VAF s’est mise en place. Il faut savoir que le VAF n'octroie pas d’aide automatique, pas d’aide à la diffusion, mais seulement une aide à la production. La cellule autonome de Promotion « Flanders Image » qui existait en fait depuis 20 ans, fait maintenant partie intégrante du VAF. Son budget annuel est de 500.000 euros. Il y a encore un département recherche et formation (900.000 euros). Tout ça représentait, en 2009, avec le budget production et les frais de fonctionnement un budget global de 16 millions 800.000 euros.
C. : Et avec cet argent, combien de longs métrages financez-vous par an ?
P.D : Nous travaillons avec des allocations fixes. En « fiction 1 » (pour les premiers ou deuxième long métrage), on donne 550.000 euros. En « fiction 2 » (c’est-à-dire pour un troisième long métrage), l’aide s’élève à 650.000 euros. Nous pouvons donc, avec ces montants, soutenir en principe 8 films par an.
Nous avons aussi des rentrées par les films qui remboursent de l’argent. C’est ainsi que l’année dernière, nous avons pu aider 12 films. Nous soutenons très peu de films, mais avec des montants élevés. Il faut savoir que nos films sont largement majoritaires. L’année dernière, nous avons formalisé un accord de coproduction avec le CCA, accord que nous avions déjà avec la Hollande. Nous sommes bien accueillis par Wallimage qui s’est récemment ouvert aux producteurs flamands.
Nous disposons, depuis l’année dernière, d'une commission « fiction télévisuelle » dotée d'un budget de 2 millions 800.000 euros.
En fait, nous préparons un fonds spécial télévisuel, qui, si cela se réalise selon notre projet, serait doté du même montant que le VAF. Le principe serait basé sur celui d’un fonds hollandais : quand un producteur bénéficie déjà (c’est une condition sine qua non) du financement d’une télévision, il peut présenter son projet à ce fonds qui veut stimuler des programmes tv de qualité exceptionnelle.
Le projet idéal que la VRT, VTM et nous, avons proposé aux instances politiques, était de 15 millions d’euros, c’était plus important que notre dotation. Ce projet est inscrit dans le récent accord de gouvernement flamand et dans le programme des Ministres en charge de la Culture et des Médias. Mais déjà, en 2009, le Ministre de la Culture a décidé de nous doter d’une ligne particulière de 2 millions 850.000 euros uniquement réservée à des séries télévisuelles. Elles doivent faire minimum 6 épisodes de 45 minutes et le financement maximum par le VAF est de 1 million par projet. Nous pouvons donc financer par an deux séries longues et une plus courte (deux fois 1 million, une fois 600.000 par exemple et des aides à l’écriture pour 200.000 euros).
C. : Y-a-t-il un équivalent en Flandre à Bruxellimage et Wallimage ?
P.D : Non et je le regrette. Cette année, notre dotation a été réduite de 832.000 euros (moins 5%). On tranche dans le vif, aussi dans le budget de la VRT, et tout le monde souffre… Chez nous, le secteur audiovisuel est en panique !
Notre Ministre Président a un plan appelé « ViA » (Vlaanderen in Actie = la Flandre en action) pour faire de la Flandre une des cinq régions les plus importantes d’Europe en 2020. Nous posons la question : le gouvernement flamand ne pourrait-il pas se demander si le secteur audiovisuel ne mérite pas d’être un des secteurs de pointe, et si l’importance économique de ce secteur n’est pas porteur ?
Nous, au VAF, nous menons un débat pour qu’il y ait un fonds économique. Nous plaidons pour ce fonds, mais aussi pour savoir comment financer plus largement le secteur audiovisuel.
C. : Il y a eu, récemment, plusieurs films d’auteurs flamands présentés à Cannes.
P.D : Un film il y a deux ans, trois l’année dernière, et cette année, Petit bébé Jésus de Flandr, un film de fin d’étude du RITS, vu par un producteur, Thomas Leyers qui l’a trouvé formidable. Il a financé un nouveau montage et mixage et il l’a montré à Frédéric Boyer qui a eu un coup de cœur et l’a sélectionné tout de suite pour la Quinzaine à Cannes.
Cela fait partie de notre ambition :que certains de nos réalisateurs accèdent à une reconnaissance internationale. Et où reçoivent-ils l’estampille de réalisateur européen ? La consécration, c’est Cannes.
Observez que, depuis trois ans, nous présentons nos films dans les festivals à l’étranger sous le label « Belgian films made in Flanders » ou « Belgian Films from Flanders ». Flanders Image a récemment édité un livre en français et en anglais intitulé « l’autre Cinéma belge » consacré à la nouvelle génération de cinéaste flamands. C'est une démarche dirigée vers l’international qui semble porter ses fruits.
C. : Nous, francophones, nous désespérons de voir que nos films ne remplissent pas nos salles. Ce n’est pas le cas en Flandre. Comment expliquer ce « miracle » du cinéma flamand… Serait-ce dû aux comédiens déjà connus grâce aux séries télévisées ?
P.D : Ce n’était pas le cas auparavant, mais maintenant oui. Nos films sont…. pas plus commerciaux, mais … plus « communicatifs ». Ils ont le souci de raconter une histoire. Ils essayent de regarder les spectateurs dans les yeux, de les intéresser, de les captiver.
Jaco Van Dormael, qui est francophone, a bien compris l'importance de la communication. Jaco a une formation de clown, c’est-à-dire le talent de raconter des histoires tristes qui font rire tout le monde. Connaissez-vous un film plus déprimant que Toto le héros ? C'est l'histoire de quelqu'un de frustré parce que quelqu’un lui a volé la vie qu’il aurait dû vivre. Mais là où réside l’idée géniale, c'est la chanson de Charles Trenet : « Boum,Quand notre cœur fait Boum, Tout avec lui dit Boum, Et c’est l’amour qui s’éveille, Boum etc », que les gens ont dans l’oreille en sortant de la séance. Même si le film est totalement désespéré, ils ont envie de dire à d’autres : « il faut aller le voir ! ».
Et puis, il y aussi le fait que les films flamands sont perçus comme des films flamands. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas de doublage. Chaque film est vu dans sa langue propre, alors qu’en Wallonie, un film italien ou américain est doublé en français. Et quand ces films ne sont pas doublés, ils sont sous-titrés et vont dans le circuit Art et Essai !
C. : Cela ne tient-il pas aussi à une bonne promotion ?
P.D : C’est sûr que la « Propaganda » est très professionnelle. Le responsable de « Flanders Image » Christian De Schutter, a été rédacteur en chef de Moving Pictures, et responsable de la communication pour le Festival International du Film à Gand. Il connaît donc la musique… Le public flamand se reconnaît dans ses films et les identifie facilement. Quand ils ont du succès, qu’ils sont sélectionnés, tous les journaux, les sites et la télé en parlent parce qu’on est fier, tout simplement. Le public est enthousiaste, parfois même pour des films plus fragiles.
C. : Est-ce que l’éducation en Flandre a quelque chose de particulier qui provoque ce dynamisme pour la culture et « à aller voir des films » ?
P.D : Votre dynamisme à vous est assimilé et dilué dans le dynamisme français.
Il n’y a pas la même fibre cinéphile en Flandre, elle est en fait très francophone. Lors de notre plaidoyer auprès du gouvernement flamand, je leur ai dessiné un triangle : la base, c’est l’enseignement jusqu’aux humanités et le grand public, et puis il y a les écoles de cinéma, puis les gens qui font du cinéma. Ce qu’on fait pour le sport, il faut aussi le faire pour les gens du cinéma, leur permettre de se former comme des champions, et donc les mettre en contact avec les modes de pensée les plus performants, les plus avancés etc.
Le niveau de nos écoles de cinéma est bien. Le niveau de la profession aussi… Mais il nous manque les bases (les ados et le public). Et là, c’est un problème. Dans les écoles, voir un film est une activité perçue comme un loisir : « on n’a pas cours ! » La relation à l’audiovisuel n’y est pas assez valorisée.
Il faudrait que des gens qui connaissent le secteur puissent décoder l’audiovisuel pour que les jeunes ne soient pas pris en otage, et apprennent à avoir un œil critique. Ils doivent leur donner des clefs pour pouvoir gérer l’analyse du contenu et de sa manipulation. Il faudrait du personnel spécialisé pour faire ça.
Notre grand plaidoyer aujourd’hui par rapport à l’audiovisuel, c’est que tous les ministres concourent au financement de l’audiovisuel. Comme au Danemark qui, avec ses 5,8 millions d’habitants (la Flandre en a 6 millions), avec une langue ‘inexportable’ comme la nôtre, ont un « Film Institut » qui intègre l’innovation, l’éducation, la Culture, l’emploi, etc : c’est donc une approche globale. Je voudrais que ce soit notre stratégie, en Flandre.
Q. : C’est une stratégie plus facilement applicable en Flandre puisque la Culture est son porte drapeau.
P. D : C’est une erreur. C'était le cas il y a 40 ans au moment de l’autonomie culturelle, mais aujourd’hui, ce combat est gagné, et maintenant, la priorité, c’est l’économie. Le VAF s’inscrit dans ce mouvement. On ne parle pas que de culture dans le secteur audiovisuel. On doit l’aborder sous d’autres aspects, il y a l’innovation technologique, mais il y a aussi l’innovation intellectuelle, la nouvelle façon de raconter des histoires ou encore, comment faire cohabiter la notion d’auteur et la notion de création participative.