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Entrevue avec Luckas Vander Talen à propos du Vlaams Audiovisueel Fonds

Publié le 01/11/2003 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Entrevue

Créé par le gouvernement flamand en 2002, le Fonds Audiovisuel Flamand (VAF) soutient la production audiovisuelle en Flandre ainsi que la coproduction internationale avec la Flandre, tant dans le domaine du court métrage que du long métrage de fiction, du documentaire, de l'animation et de l'art vidéo. Récemment le VAF vient de créer un atelier pour le documentaire dont le but est de développer quatre projets de cinéastes débutants, sélectionnés par un jury, sous assistance professionnelle ainsi que de les réaliser. Nous avons rencontré Luckas Vander Talen, directeur du Vlaams Audiovisueel Fonds pour en savoir plus. Entretien.

Luckas Vander Talen à propos du Vlaams Audiovisueel Fonds

 

Cinergie : Est-ce que le Fonds Audiovisuel Flamand (VAF) doit son existence à la revendication des cinéastes flamands qui ont mené des actions de « guérilla culturelle », il y a deux ans lorsque Dominique Deruddere a été nominé pour l'Oscar du film international ?
Luckas Vander Talen : Pas vraiment. Cela faitplusieurs années que les cinéastes flamands mènent des actions pour organiser une vraie politique de l'audiovisuel en Flandre. Nous étions organisés un peu comme du côté francophone, la gestion des aides étant faite par le ministère, bien que les choses étaient moins développées. Il existait une commission de sélection examinant les dossiers qui lui étaient remis dépendant du ministre de tutelle pour la signature du contrat. On a donc, il y a quelques années, décidé de créer un Fonds autonome. Le VAF est une asbl subventionnée, ce qui est différent avec la partie francophone du pays. Nous recevons chaque année une dotation qui est de l'ordre de 12 ,5 millions mais qui couvre tout. Aussi bien les salaires que la location des locaux, les aides aux projets, la formation, les ateliers, la recherche, .... Nous avons l'obligation de rendre compte au Ministre mais il ne doit plus apposer sa signature, c'est nous qui décidons souverainement d'après le dossier qui nous est remis. Il y a bien sûr une procédure d'appel qui est possible mais la politique ne joue plus de rôle dans l'attribution des fonds comme cela a pu être le cas antérieurement. Il y a eu l'affaire Camping Cosmos de Jan Bucquoy qui est bien connue. Il y a donc eu une volonté dans le monde politique flamand une volonté de responsabiliser le monde du cinéma en leur offrant un Fonds autonome. Cest bien le ministre qui décide des grandes lignes de sa politique de l'audiovisuel, c'est nous qui les concrétisons de façon indépendante.
L'important pour nous est de juger d'après dossier. Il a donc intérêt à être bien fait. (rires)

C. : Quel est la différence avec la Commission de sélection francophone? Il n'y a pas de collège, ce sont les professionnels qui donnent un avis ?
L. V. :
Nous travaillons avec des lecteurs. Nous recevons des dossiers qui sont examinés par nos lecteurs qui sont anonymes mais dont on peut trouver la liste complète sur notre site.Notre décision est basée sur les rapports individuels ainsi que sur notre propre examen. Enfin, c'est notre Conseil d'Administration qui décide.

C. : Est-ce que vous pensez que la création du Fonds a donné un coup de fouet au cinéma flamand ?
L.V. : C'est trop tôt pour le dire. Un de nos objectifs avoué est de professionnaliser le métier. Les cinéastes se sont plaints d'être confrontés à un secteur chaotique et une politique pas très transparente. Certains films étaient réalisés sans qu'on sache très bien ce qui avait motivé leur mise en chantier. Donc nous devons relever un défi. Nous confronter avec ce que le métier propose. Mettre les choses à plat. Par exemple - et je sais que la question se pose aussi du coté francophone - oser poser la question du coût d'un film. S'il coûte beaucoup d'argent il nous faut des garanties pour que ce film soit bon. L'auteur est-il toujours roi ? Pour moi l'auteur c'est sacré mais en même temps il s'agit parfois d'un investissement de 500.000. C'est de l'argent public qu'il ne s'agit donc pas d'investir à la légère. D'autant que nous recevons énormément de projets et que nos ressources sont limitées. Plus encore que du coté francophone puisque nous ne pouvons pas retomber sur des appoints tels que les obligations des chaïnes de télé, le soutien des câblodistributeurs, l'aide de Wallimage. Nous sommes la seule source devant alimenter financièrement aussi bien des films très commerciaux que des films d'auteurs. Et cela crée des tensions. Lorsqu'on est confronté à une grosse production, nous devons la soutenir, parce que même un film commercial ne peut être monté en Belgique sans argent public.

C. : Outre les longs et courts métrages vous soutenez le documentaire ?
L.V. :
Oui, mais aussi les films d'animation ainsi que ce que l'on appelle l'art expérimental qui comprend le domaine des nouveaux médias. Ceci dit la majeure partie du budget est consacré aux films de fiction que ce soit des longs ou des courts métrages. On a également l'obligation de consacrer une partie de notre budget à des productions de fiction pour la télévision. C'est très bizarre. Du côté francophone, c'est le contraire. Cependant, nous n'investissons pas dans des formats pré-établis mais dans les séries dramatiques et les téléfilms de fiction.

C. : Envisagez-vous de mettre sur pied des Ateliers d'accueil, de production, de création, etc., comme il en existe du côté francophone le CBA, le WIP, Dérives, Graphoui. ?
L. V. :
On a des Ateliers pour tous les genres de création. Il y a un atelier de fiction qui est dirigé par Pierre Drouot et on vient de choisir le maître d'Atelier pour le documentaire. Ce sera Roger Beeckmans que vous connaissez sûrement puisqu'il a travaillé pendant trente ans à la RTB et à l'INSAS. On va faire comme pour la fiction : une sélection de gens qui nous ont proposé des dossiers, écrit un scénario et les réalise. C'est fait avec très peu de moyens. C'est vraiment l'idée d'Atelier. Pour le documentaire, on va faire la même chose. Ce sont des grandes nouveautés par rapport au passé.

C. : Du coté francophone il existe aussi un atelier de création et d'expérimentation comme l'AJC. Existe-t-il une structure comparable en Flandre ?
L.V. :
Cela n'existe pas en Flandre. Les Ateliers n'existaient pas, c'est l'une des raisons de la création du Fonds : apporter une bouffée d'oxygène à nos cinéastes.

C. : Est-ce qu'on envisage, en Flandre, la création de fonds régionaux -peut-être avec votre appui - comme cela s'est développé dans la partie francophone du pays avec Wallimage et le projet de Bruxelles-image ?
L.V. : Je l'espère. On commence à en parler. J'ai eu des contacts avec Daniel Ducarme qui m'a confirmé que cela fait partie de ses ambitions et les flamands vont y être associés puisque Bruxelles est une région bilingue. Donc l'absence d'un tel Fonds en Flandre commence à peser parce que ces fonds s'organisent de plus en plus au niveau européen. Le problème est que nous avons, financièrement, à peine de quoi assumer notre programme. On vit une contradiction. On a été transparent. On a fait une énorme communication. On a notre website. On a parlé de nous dans la presse. Du coup on est un peu victime de notre succès. On a déjà traité 350 dossiers en un an. Ce qui est énorme (y compris venant de non-professionnels, ce qui est plutôt chouette). Il y a une échéance sélective tous les deux mois. Actuellement il y en a une pour les films de fiction. La prochaine sera consacrée au documentaire et à l'animation. Lors de l'échéance passée a eu 62 demandes. C'est énorme. Quand on a démarré on a eu beaucoup de demandes d'aide. On a pensé que c'était normal puisqu'on débutait. Mais tous les deux mois les demandes dépassent les 50 dossiers. Des demandes d'aide à l'écriture, au développent et à la production pour des courts et des longs métrages. C'est trop.
Etant donné qu'il y a une absence de Fonds régional en Flandre et vu que le « Tax Shelter » ne fonctionne pas encore dans la mesure où les investisseurs ont fait remarquer qu'il ne savaient pas, d'après la loi, si l'argent investi ne serait pas taxé un jour. Cette incertitude paralyse l'investissement. empêchant le système de fonctionner. Le Ministre Reynders étant resté en place, son cabinet a tenu compte des remarques et des adaptations seroinent en préparation J'attends que ce système se mette en route et si on peut combiner cela avec un Fonds régional flamand, j'espère que l'on pourra vivre une situation où l'on pourrait orienter certains projets vers ces fonds-là.

 

J'ai plaidé pour qu'on soutienne Time spirit 2. Parce que je connais suffisamment la réalité du box office en Belgique pour savoir qu'un film qui n'a pas entre 500.000 et 1 million d'entrées ne se rentabilise pas. Et du coté francophone c'est encore pire. On connaît les chiffres des entrées. Vous le savez, comme moi, mais un film comme Le Fils --- que je considère comme étant un chef d'oeuvre --- n'a pas fait des entrées énormes. Heureusement, comme c'est un film qui voyage beaucoup et va se rentabiliser à une échelle mondiale. Mais si un film belge ne sort pas de son pays, c'est terrible. Le temps des entrées que Stijn Coninx a eu avec Urbanus doit revenir. Il est très difficile de tenir ces propos aux gens du métier. Mais il faut regarder les choses en face. J'ai entendu le dernier discours d'Henry Ingberg et il a osé le dire. On doit oser se demander si les cinéastes francophones ne sont pas en train de perdre le contact avec leur public. Personne n'aime entendre cela. Le marché n'est pas roi, certes, mais les derniers résultats sont interpellants.

C. : Est-ce qu'il n'y a pas un déficit du côté de la communication et de la promotion de certains films. Lorsqu'on voit comment d'autres pays font connaître leurs films...
L.V. 
: Oui, mais il ne faut pas oublier une chose. On croit que tout film américain marche bien. En réalité il y a des films made in USA qui sortent chez nous avec la promotion qu'on connaît et qui ne marchent pas. Il faut regarder le box office. Il y a un truc étonnant c'est que le bouche à oreille continue à bien fonctionner. On a constaté cela avec Amélie Poulain. N'oubliez pas que le film est sorti à Bruxelles sans sous-titres. Le distributeur ne pensait même pas le sortir en Flandre ! Un film ennuyeux vous pouvez faire ce que voulez vous n'atteindrez jamais le public. Vous avez le bouche à oreille mais défavorable ! Ca c'est très dangereux. Il faut que les gens aient envie de voir un film et qu'ils sortent de la salle satisfaits. C'est vrai qu'il faut que les médias en parlent. Mais ce n'est pas suffisant.

C. : Est-ce que vous comptez développer les coproductions ?
L. V. : Il n'y a pas une politique générale de coproductions parce que chaque dossier a des possibilités de coproductions singulières. Pour certains, il est évident que c'est avec la Hollande mais notre premier partenaire reste évidemment la Communauté française et chaque film ayant l'accord de la Commission francophone peut venir chez nous. A condition évidemment qu'il y ait une raison pour qu'on le soutienne. C'est le cas notamment pour 25° en hiver qu'a produit Marion Hänsel. Le monde du cinéma est un monde assez unitaire avec des équipes souvent mixtes. Les acteurs jouent souvent dans les deux langues. Donc, dés le début, nous avons eu une excellente entente avec nos confrères francophones. D'ailleurs à Cannes nous avons fait des événements pour promouvoir le cinéma ensemble. Et j'ajoute que dans les dossiers qui nous sont proposés il y a toujours des dossiers francophones. On est très ouvert.

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