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Portrait de ma mère poète de Jean-Noël Gobron.

Publié le 08/04/2009 par Philippe Simon / Catégorie: Critique

Un certain art du portrait

En 1987, Jean-Noël Gobron réalisait Portrait de mon père aquarelliste, film documentaire attachant et sensible où il interrogeait avec bonheur la démarche de peintre de son père. Il nous rendait proche un univers pictural fait de passion et d’intelligence et réussissait un portrait singulier en conjuguant les aquarelles et les courts récits autobiographiques de son père comme une seule et même parole.

C’est au détour d’un récit paternel, dans le creux charnel d’un tableau, que surgissait la figure de la mère, personnage énigmatique et comme légèrement effacé mais qui laissait entrevoir une zone d’ombre amoureuse, intrigante et peu commune. Il y avait là comme un mouvement d’aspiration, un appel sur lequel le film de Jean Noël Gobron glissait pour mieux se recentrer sur sa relation de père à fils. Et pourtant cette présence féminine travaillait presque souterrainement la progression du film et demandait par son silence palpable qu’on y revienne, qu’on s’y arrête. Vingt ans plus tard, c’est chose faite.

Portrait de ma mère poète de Jean-Noël Gobron.

Jean-Noël Gobron réalise un portrait de sa mère et cette fois sans l’ombre d’une maladresse. Portrait de ma mère poète est le récit autobiographique que sa mère lui donne face caméra avec dans ce qui se dévoile une étrange complicité. La relation mère fils est ici le point de départ de ce qui autorise le film. Elle ne s’énonce pas, elle est l’évidence qui anime chaque instant, nous laissant deviner plus que voir ce qui dans cet art du portrait est celui de la mère, est celui de Jean-Noël.

Miroir à deux faces où se conjugue le visible et l’invisible, voyage secret entre celle qui se dit et celui qui regarde, Portrait de ma mère poète est l’invention d’une parole commune entre le monde poétique de sa mère et son regard de cinéaste où nous trouvons notre place très simplement.

Pour se faire Jean Noël Gobron élabore une géographie sentimentale, inscrivant l’histoire que sa mère nous raconte dans les différents lieux où elle a vécu, faisant surgir sa vocation de poète de l’espace même qui la nourrit. Et cette histoire est forte et nécessaire. La poésie y est une inclination quotidienne née du quotidien et y revenant sans cesse en une incessante pulsion vitale où les éclats épars des jours et des heures s’éclairent d’une lumière qui transcendant le banal ouvre sur ces paysages imaginaires d’une tranquille rébellion.

En écoutant, en regardant sa mère, en pensant l’enjeu de son film, Jean Noël Gobron fait sienne cette lumière en lui donnant toute son importance, toute sa beauté. Transmission, rite de passage, mémoire partagée, les mots de sa mère, cette façon si particulière qu’elle a de les lier, de les tresser ensemble nous renvoie à cet art du lien, à cette magie qui noue et dénoue les fils tenus qui tiennent nos vies ensemble. Et ce n’est pas la moindre qualité du travail de Jean-Noël Gobron que d’avoir su nous rappeler au de-là du récit passionnant que nous livre sa mère cette évidence si nécessaire que nous ne sommes jamais tout seul.

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